Recevoir la newsletter

La CMU et son talon d'Achille

Article réservé aux abonnés

Enfin ! La loi instaurant la couverture maladie universelle (CMU) a été adoptée, le 30 juin, par le Parlement. Son renvoi devant le Conseil constitutionnel, prévisible, ne devrait pas la vider de sa substance. Longtemps espéré par les plus démunis et les associations de solidarité, plusieurs fois promis et toujours retardé, ce texte constitue, sur le principe, un incontestable progrès social. Avec, néanmoins, une faiblesse de taille : l'effet de seuil, nouvelle source d'exclusion.

« Ce texte va marquer », souligne l'Uniopss. « Enfin une protection sociale digne du XXIe  siècle », se réjouit-on à Médecins sans frontières, après l'adoption par le Parlement, le 30 juin, de la loi instaurant la couverture maladie universelle. Les associations sont les premières, aujourd'hui, à reconnaître l' « avancée sociale majeure, une des plus importantes de l'après-guerre », qu'évoquait Martine Aubry en présentant son projet au conseil des ministres, le 4 mars (1). Même si,  sur bon nombre de points, le texte leur laisse un arrière-goût d'inachevé, nul doute que leur mobilisation active depuis de longs mois a porté ses fruits.

L'idée des pères fondateurs de la sécurité sociale devient en effet réalité : garantir à chacun le droit à l'accès aux soins. Les 150 000 personnes dépourvues de toute couverture santé, ainsi que les 2,5 millions de bénéficiaires de l'aide médicale gratuite des départements, vont acquérir, à compter du 1er janvier 2000, sur simple critère de résidence, le droit automatique et immédiat à l'assurance maladie. Ce qui met fin au système duel de protection sociale :l'assurance maladie pour les travailleurs et assimilés (retraités, chômeurs indemnisés...) et l'assistance pour les autres. En outre, six millions de personnes vont également accéder à une couverture complémentaire gratuite. Sur ce dernier point, jamais on n'était allé aussi loin. On ne saurait pourtant occulter qu'un quart de la population reconnaît avoir renoncé au moins une fois à se soigner pour des raisons financières. Et qu'à force de réduire ses dépenses de santé, la France est devenue, en deux décennies, l'un des pays européens les moins généreux en matière de taux de remboursement par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). Pour les huit millions de personnes sans mutuelle, acquitter le ticket modérateur ou le forfait hospitalier semble trop souvent insurmontable.

Bras de fer autour de la complémentaire

C'est cette couverture complémentaire qui a été véritablement le point de cristallisation entre les associations et les professionnels du secteur, mutuelles, sociétés d'assurance et instituts de prévoyance. La santé des plus démunis devenant l'occasion d'enjeux stratégiques et de marché. Le gouvernement, en cherchant à ménager la chèvre et le chou, a finalement opté pour un scénario dans lequel les bénéficiaires pourront, à leur choix, obtenir une couverture complémentaire auprès des CPAM ou des prestataires traditionnels. Il a privilégié la voie du compromis entre deux des trois options du rapport Boulard (2), le système centralisé géré entièrement par les caisses primaires, et le système partenarial, centralisé pour la couverture de base, est confiée aux mutuelles et assurances pour la complémentaire. Ce dernier scénario était fortement contesté par les associations, redoutant l'instauration d'un système à deux vitesses où les plus démunis se verraient, dans un souci de rentabilité, cantonnés dans une « mutuelle des pauvres ».

Cette voie bâtarde ne contente finalement personne. Les modalités selon lesquelles les bénéficiaires de la CMU choisiront leur prestataire complémentaire restent encore obscures, déplorent les associations. Lesquelles regrettent également le silence du texte sur les moyens dont les publics disposent pour faire valoir leurs droits, en cas de litige. Insatisfaction également chez les autres partenaires. La caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) redoute que les usagers couverts entièrement par les caisses primaires ne soient « ghettoïsés » par cette rupture avec le droit commun. Pas question non plus pour la plupart des mutuelles et des assureurs que la sécurité sociale marche sur leurs plates-bandes. En février, dans un protocole d'accord, la CNAM et les organismes complémentaires - à l'exception de la Fédération des mutuelles de France - affirmaient vouloir définir ensemble « le panier de biens et de services éligibles au remboursement »   (3). De fait, mutuelles et assurances vont participer, aux côtés des caisses d'assurance maladie et des syndicats du secteur médical, au chantier, ardu, des six prochains mois : la définition des prestations ouvertes aux bénéficiaires de la CMU et des tarifs pratiqués par les professionnels de santé. Des négociations placées sous la haute surveillance des associations, qui craignent toujours une couverture au rabais pour les plus démunis et une privatisation rampante de la protection sociale. Et du gouvernement, qui n'entend pas laisser déraper les dépenses de santé.

Un seuil couperet

Autres motifs d'insatisfaction, pour les associations, l'exclusion du dispositif des étrangers « sans papiers ». Et surtout l'adoption du seuil de revenus, véritable couperet qui vient exclure de la complémentaire environ deux millions de personnes situées juste au-dessus. D'emblée, les associations de solidarité avaient demandé le relèvement du plafond mensuel, pour une personne seule, de 3 500 F à 3 800 F, seuil de pauvreté défini par l'INSEE. En vain. Seule concession finalement accordée : un Fonds d'accompagnement, alimenté sur une base volontaire, par les mutuelles et les assureurs, doit aider les personnes dépassant de peu le plafond à payer leur complémentaire. Reste qu' « avec ce fonds, on n'est plus dans le domaine du droit », regrette Médecins sans frontières. Une minorité de personnes à bas revenus va se trouver renvoyée aux aléas d'une action facultative. Aussi l'Uniopss entend bien, à l'avenir, « saisir toutes les occasions de faire pression » pour obtenir le relèvement du seuil ou, mieux, une prise en charge dégressive de la complémentaire jusqu'au niveau du SMIC. Afin que la CMU soit à la hauteur de son ambition. Universelle.

Céline Gargoly

Neuf milliards de francs

Le gouvernement estime à neuf milliards de francs le coût total du dispositif, montant que l'opposition juge sous-évalué :

 cinq milliards proviendront de la recentralisation des sommes consacrées à l'aide médicale par les départements ;

 le reste, d'une taxe de 1,75 % sur le chiffre d'affaires santé des mutuelles et des assurances (1,75 milliard de francs) et du budget de l'Etat.

Les dispositions clés de la CMU (4)

La couverture maladie universelle  (CMU) garantit à toute personne, quelle que soit sa situation, une prise en charge de ses soins par un régime obligatoire d'assurance maladie. En outre, elle affirme le droit à une couverture complémentaire gratuite et à la dispense d'avance de frais, pour les publics dont les revenus sont les plus faibles. Sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel, qui devrait être saisi par les parlementaires de l'opposition, ces dispositions entreront en vigueur au 1er janvier 2000.

Une couverture maladie de base obligatoire

Toute personne qui, aujourd'hui, ne bénéficie pas d'une couverture obligatoire sera affiliée à un régime d'assurance maladie, selon les principes suivants :

  l'universalité. Quiconque réside en France métropolitaine, ou dans un département d'outre-mer, de façon stable et régulière, est automatiquement affilié au régime général de la sécurité sociale, s'il n'a pas de droits ouverts à un autre titre dans un régime de base. Il ne peut y avoir ni refus d'affiliation, ni exclusion ou suspension des droits aux prestations maladie 

  l'automaticité. Il suffit de fournir une carte d'identité ou une carte de séjour (pour les étrangers) au guichet de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) pour obtenir l'ouverture des droits. L'intéressé n'a pas besoin de rechercher préalablement de quel régime il relève 

  l'immédiateté. L'affiliation est immédiate, dès le dépôt de la demande, sur justification de la résidence et de l'identité du demandeur. Elle ouvre droit, sans délai, au bénéfice des prestations en nature du régime général. Dans un second temps, la caisse primaire vérifie si le nouvel assuré n'a pas déjà des droits ouverts dans un régime de base et contrôle le montant de ses ressources. Les personnes sans domicile fixe doivent se faire domicilier auprès d'un organisme agréé ou d'un centre communal d'action sociale 

  la contributivité. Les bénéficiaires dont les revenus sont supérieurs à un plafond doivent acquitter une cotisation proportionnelle à leurs revenus. Le plafond mensuel de ressources, qui sera déterminé par décret, devrait être de : 3 500 F pour une personne seule, 5 250 F pour deux personnes, 6 300 F pour trois personnes et 7 700 F pour quatre personnes, majoré de 1 400 F par personne supplémentaire à charge. Toutefois, le défaut de versement de cette cotisation, sauf cas de mauvaise foi, n'autorise pas les régimes obligatoires à suspendre les droits 

  la continuité. Une personne ne peut pas perdre le bénéfice de sa prise en charge, sauf situations particulières strictement prévus par la loi. Aucune institution ne peut cesser de verser les prestations en nature des assurances maladie et maternité, si elle ne s'est pas assurée, au préalable, que l'intéressé relève d'un autre régime ou d'un autre organisme. Et, dans cette dernière hypothèse, la couverture maladie reste maintenue jusqu'à la date où l'organisme compétent se substitue à celui qui assure la CMU. La loi crée le statut d'ayant droit autonome pour les jeunes, dès l'âge de 16 ans. Cette qualité est également reconnue, sauf refus express de leur part, notamment aux conjoints et ascendants de personnes appartenant au régime général. La demande d'affiliation peut être déposée auprès des services sociaux du conseil général ou des communes, d'une association agréée ou directement auprès de la CPAM. Le régime de l'assurance personnelle est supprimé.

Une couverture maladie complémentaire

Les publics ayant accès gratuitement à la couverture de base, ont aussi droit à une protection complémentaire et au tiers payant. La loi ouvre la possibilité aux mutuelles, compagnies d'assurance et institutions de prévoyance de créer un fonds d'accompagnement à la protection complémentaire des personnes dont les ressources sont supérieures au plafond. La couverture maladie complémentaire donne droit, en plus de la dispense d'avance de frais, à la prise en charge intégrale du ticket modérateur et du forfait hospitalier, ainsi que, dans certaines limites, à la prise en charge, au-delà du ticket modérateur, des dépenses engagées pour l'optique, les prothèses dentaires et les dispositifs médicaux à usage individuel. Elle est accordée, pour une durée de un an renouvelable, sur décision du préfet. Toutefois, en cas d'urgence sanitaire ou sociale, elle peut être attribuée immédiatement, pour les personnes présumées remplir les conditions de résidence et de ressources. La protection complémentaire est gérée selon le choix du bénéficiaire, soit par la CPAM- pour le compte de l'Etat -, soit par une mutuelle, une institution de prévoyance ou une compagnie d'assurances. L'intéressé adresse sa demande à la caisse et indique l'organisme qu'il choisit pour le service des prestations.

Reconnaissance du rôle des associations et services sociaux

La loi consacre le rôle d'accompagnement des services sociaux, des associations et des organismes à but non lucratif agréés, ainsi que celui des établissements de santé. Ces structures sont habilitées à apporter leur concours aux demandeurs, dans leur démarche d'affiliation au régime de base d'assurance maladie et de protection complémentaire. Ils peuvent, en outre, avec l'accord des intéressés, transmettre les documents afférents à l'organisme compétent.

Financement du dispositif

Le financement de la couverture maladie de base est assuré, pour l'essentiel, par des transferts au profit de l'assurance maladie. La couverture complémentaire tire ses ressources, quant à elle, d'une taxation des institutions de prévoyance et des mutuelles. Sophie Courault

Notes

(1)  Voir ASH n° 2109 du 5-03-99.

(2)  Voir ASH n° 2084 du 11-09-98.

(3)  Voir ASH n° 2106 du 12-2-99.

(4)  La loi comporte, également, un volet « sanitaire », voir ce numéro.

L'ÉVÉNEMENT

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur