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Une collaboration au profit des plus démunis

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Confrontées aux difficultés d'un nombre croissant de familles, des assistantes sociales du Gers ont fait le pari d'associer les institutions financières à la lutte contre l'exclusion.

« Sur les 170 000 habitants du département, environ 12 000 se situent en dessous du seuil de pauvreté, dont 5 000 vivent de minima sociaux », estime Pierre Lasserre, vice-président du conseil général du Gers, responsable de la commission des affaires sociales. Or, ici comme ailleurs, plus l'argent manque, plus les risques de voir les personnes en difficulté adopter des comportements inadaptés face aux banques augmentent : conduites d'évitement, par peur de s'adresser au banquier  enchaînement d'erreurs liées à cette politique de l'autruche et à une grande méconnaissance du fonctionnement du système financier.

Impliquer d'autres partenaires

La vocation d'une institution financière n'est certes pas de gérer la misère. Hélène Kimiavi et Pierrette Luche, assistantes sociales de la circonscription d'Auch, en conviennent aisément (1). Mais elles pointent également le nombre croissant de personnes et de familles - des femmes seules, en particulier - qui, « en même temps que leurs problèmes financiers, ou à cause de ces derniers, ont à affronter, individuellement, des relations avec la banque de plus en plus tendues, pour ne pas dire conflictuelles ». D'où le profond sentiment d'impuissance et d'humiliation éprouvé par les usagers et, parallèlement, le durcissement des organismes financiers, confrontés à un accroissement de leur clientèle insolvable. « Celle-ci n'est d'ailleurs plus uniquement constituée de RMistes, mais aussi de personnes disposant de petits salaires qui, par le passé, ne venaient pas nous voir », précise Maryvonne Galibert-Navarro, adjointe au chef de la circonscription d'action sociale.

De ces constats est née, courant 1996, la conviction que le social doit sortir de ses murs. « La lutte contre la pauvreté est une guerre que nous ne pouvons pas mener seules, déclare Hélène Kimiavi. Il faut impérativement impliquer d'autres partenaires. » Lesquels ? Pourquoi pas les banquiers, pour tâcher, ensemble, d'éviter que les soucis des particuliers ne dégénèrent en désastres, économiques et humains ?

Il est évidemment difficile d'imaginer des travailleurs sociaux et des organismes financiers œuvrer la main dans la main, tant ces deux univers semblent éloignés l'un de l'autre. Cependant, il leur arrive d'avoir des « clients » communs, par exemple lors de procédures de surendettement. L'idée du service social de secteur est donc de chercher à approfondir ces contacts occasionnels, pour mutualiser des approches et des savoirs différents, mais complémentaires. Les banques connaissent la législation et les dispositifs qui régissent leurs activités  les travailleurs sociaux ont l'expérience des publics en difficulté : l'intérêt bien compris des premières est de prévenir les crises vécues par ceux que les seconds souhaitent, pour leur part, accompagner avec de plus grandes chances de succès.

« Sans imaginer de solution miracle, nous pensions qu'il pouvait être fructueux de réfléchir ensemble aux moyens d'améliorer les relations entre les institutions financières et les personnes démunies. Et, qu'à tout le moins, il serait intéressant, pour nous, de mieux connaître les méthodes, les besoins et les attentes des banquiers en la matière », précise Patricia Messaoudi, l'une des initiatrices de la réflexion, aujourd'hui responsable du service de lutte contre l'exclusion au conseil général.

Des hypothèses vérifiées

Avant d'aller plus loin, les assistantes sociales de secteur souhaitent tester le bien-fondé de leurs intuitions, auprès des collègues comme des usagers. Le rôle de La Poste, présente au plus près des publics, notamment de ceux qui disposent de petits budgets, l'importance de la Mutualité sociale agricole dans ce département rural et la connaissance qu'a la Maison départementale de l'enfance et de la famille des difficultés des mères isolées, ont tout naturellement conduit Hélène Kimiavi, Pierrette Luche et Patricia Messaoudi à contacter leurs consœurs en fonction dans ces trois organismes. Partageant des préoccupations similaires, les six professionnelles constituent alors, début 1997, un groupe de travail sur les exclus des banques, animé par Guylène Martin, une consultante de Toulouse.

Soutenues par la commission locale d'insertion d'Auch (2) et la direction de la solidarité départementale, ces actrices de terrain réalisent un questionnaire visant à mieux cerner le vécu des usagers des organismes financiers, notamment de ceux qui constituent le public des services sociaux. Du découvert à l'interdit bancaire, cette enquête leur permet de vérifier l'ampleur et la diversité des problèmes. Et de les conforter dans l'idée qu'il est urgent d'intervenir. Les assistantes sociales pensent judicieux d'agir de deux manières : par l'information, déterminante pour prévenir d'éventuelles catastrophes, et par l'invention d'un système de médiation susceptible de contribuer à (r) établir le dialogue entre les banquiers et leurs clients en difficulté et d'aider ces derniers à éviter les « accidents » de paiement et la spirale du surendettement.

Le plus dur restait à faire : rencontrer les responsables des organismes financiers. L'intervention de Jacques Lesponne, directeur des actions interministérielles à la préfecture du Gers, coprésident de la commission locale d'insertion d'Auch et membre de la commission de surendettement de la Banque de France, sera, à cet égard, décisive.

Sortir des clichés

Convaincu de la justesse de l'analyse des assistantes sociales, Jacques Lesponne les présente au directeur de la Banque de France, Georges Mader. Celui-ci les accueille avec une pointe d'étonnement, qui se mue, rapidement, en réel intérêt pour leur projet. Connaissant parfaitement les difficultés des particuliers, Georges Mader rallie le petit groupe de travail et lui sera d'un précieux concours. Outre les informations et conseils pratiques, donnés au fil de rencontres régulières, sur le fonctionnement du système bancaire - et la psychologie de ses représentants -, le directeur de la Banque de France apporte sa caution à l'organisation, en octobre 1997, d'une première réunion avec les responsables des établissements financiers existant à Auch.

« Avec l'image qu'ont les travailleurs sociaux, de personnes qui distribuent l'argent sans savoir le gérer, nous étions, au départ, assez perplexes sur leur désir de nous rencontrer », confie l'un des banquiers présents au rendez-vous. Quant aux assistantes sociales à l'origine du projet, elles reconnaissent avoir probablement, elles-mêmes, un peu trop tendance à diaboliser les banquiers... Dissiper les préjugés réciproques et mieux comprendre, de part et d'autre, les différentes logiques d'intervention a permis, au fur et à mesure des réunions, de dégager un terrain d'entente et de passer à l'action, inscrite au plan départemental d'insertion 1998 et au budget du conseil général. Dans le respect des identités professionnelles et des compétences de chacun.

S'agissant du volet préventif du projet, consacré à l'information, les banquiers et les assistantes sociales se sont partagé la rédaction d'une petite plaquette, judicieusement intitulée Mes sous et mes soucis !!! Elle répond, de façon simple et vivante, aux principales interrogations révélées par l'enquête menée auprès des usagers des services sociaux (sur les formalités d'ouverture d'un compte, les moyens de paiement, le crédit). Tiré à 3 000 exemplaires, ce document a été mis, en novembre dernier, à la disposition des Auscitains, dans différents lieux de la ville (CCAS, CAST, mission locale pour l'emploi...), ainsi qu'à la Banque de France et à La Poste, mais pas dans les autres établissements financiers.

Parallèlement, les assistantes sociales organisent régulièrement, depuis le printemps 1998, des sessions collectives de sensibilisation et d'éducation budgétaire. Proposées avec la collaboration de l'association Finances et pédagogie, elles sont notamment destinées aux femmes et aux jeunes (bénéficiaires du RMI ou en formation).

Par ailleurs, un premier contact, fructueux, a déjà été établi, par le groupe de pilotage de l'action, avec les organismes régionaux ou nationaux de crédit, souvent liés à la vente par correspondance ou par téléphone. Il s'agit, là aussi, d'en savoir plus sur leurs objectifs et leurs méthodes, pour informer les usagers de manière appropriée.

Une fonction de conseillère en médiation bancaire

Ne pas agir à la place de, mais instruire et orienter les publics dans leurs démarches. Tel est le but du volet le plus novateur de la démarche gersoise : la création d'une fonction de conseil en médiation bancaire. Il ne s'agit pas de doubler le travail des assistantes sociales ou des conseillères en économie sociale et familiale, ni évidemment de s'improviser banquier. Mais, grâce à des connaissances permettant de se situer à l'interface de ces deux mondes, l'objectif est d'aider les usagers à mieux prendre en charge des problèmes, dont la source est parfois autant à chercher du côté du manque de communication et de l'incompréhension que de la pauvreté.

Ayant vocation à être un lien - et à mettre du liant - entre les différents acteurs, Bénédicte Grossac, 24 ans, a été recrutée début décembre, par le conseil général, dans le cadre des emplois-jeunes (3). Encore lui fallait-il, d'abord, apprendre à connaître les divers intervenants. Epaulée par un double tutorat - bancaire et social -, la jeune femme, titulaire d'une licence d'économie, a bénéficié, pendant six mois, d'une formation très concrète. Accueillie à la Banque de France et dans différents établissements financiers de la ville, elle a pu étudier les procédures

- amiables et contentieuses - mises en place par les intéressés, lorsqu'ils rencontrent des difficultés avec leur clientèle. Que ce passe-t-il, sur place, en agence et qui contacter, pour quel problème ? Combien de temps, dans chacune des banques, dure la phase précontentieuse ? Quels types de courriers sont alors adressés aux clients ? « Pour aider efficacement les gens, il fallait que j'ai une idée précise de leur situation du moment, c'est-à-dire aussi du temps dont ils disposent pour entreprendre telle ou telle démarche », explique Bénédicte Grossac. D'autant, découvre la jeune femme, grâce au volet « social » de sa formation, que les usagers accumulent parfois leur courrier sans le lire (ou le comprendre), quand ils n'affirment pas, tout simplement, n'en avoir reçu aucun...

Il est trop tôt pour évaluer le travail entrepris par la conseillère, dans l'espace « Médiation bancaire », ouvert en centre-ville. Elle n'y exerce que depuis la fin du mois de mai. Mais on attend beaucoup de cette initiative, avec l'ambition d'aider le public à prendre plus activement part à la résolution de ses difficultés.

Il serait tout aussi prématuré d'affirmer qu'au-delà de cette normalisation, escomptée de leurs rapports avec les personnes démunies, les responsables des établissements financiers sont prêts à aller plus loin dans l'innovation. Toutefois, les assistantes sociales ont encore beaucoup d'idées à leur soumettre...

Caroline Helfter

Notes

(1)  Circonscription d'action sociale : 12, bd Sadi-Carnot - 32000 Auch - Tél. 05 62 61 91 00.

(2)  Qui inscrit cette action et son financement dans le plan départemental d'insertion adopté le 25 mars 1997.

(3)  Sa rémunération est assurée par l'Etat. Cependant, sa formation initiale, ainsi que les différentes actions du projet, font partie du plan départemental d'insertion 1999 et leur financement (115 000 F) a été prévu dans le budget départemental voté le 19 mars.

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