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« STOP L'INSIGNIFIANCE »

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A travers le mouvement « Stop la violence », les jeunes s'érigent en catégorie sociale et deviennent des acteurs, politiques notamment, soutient Charles Ségalen. Et cela dérange.

« Le mouvement Stop la violence, lancé par les jeunes des quartiers depuis la banlieue nord de Paris, est dit-on, à peine né, en voie de récupération. Ce que confirmerait, avance-t-on, le modeste succès remporté par la manifestation du 29 mai, alors que seuls 2 000 jeunes étaient au rendez-vous contre les 5 000 à 10 000 attendus.

« Il y a la réalité et le discours sur la réalité, ce dernier devenant producteur d'une réalité, pas forcément la même que celle dont il s'inspire. Succès donc d'un certain discours, celui de la “récupération”. Ce discours, après avoir assisté aux premiers ébats de la progéniture, l'avoir bercée, s'empresse de la considérer et de la déclarer mort-née, attribuant l'infanticide aux faiseurs d'anges de service, les politiques. Curieusement. Commodément. Etrange désavœu en paternité pour cet enfant à l'évidence illégitime, hâtivement qualifié d'avorton  suspecté d'être d'un autre, d'origine ô combien douteuse. Et pour cause, à peine prononcés ses premiers mots, le chérubin n'est-il pas en train de dire qu'il n'est pas de violence sans sa graine ? “Comment avez-vous pu, vous les adultes, générer pareille situation ?”, interrogeaient les promoteurs du mouvement lors d'une conférence de presse. Qui va se la “récupérer”, la graine ? Le discours sur la récupération, déniant au profit d'autrui pareille et bien encombrante hérédité, peut se révéler à cet endroit parfaitement projectif, et puissamment abortif. Toute la vérité, même celle, désormais, sortant de la bouche des enfants, n'est pas bonne à dire.

« Tous les mouvements sociaux sont récupérables et ont, de tout temps, pour partie, été récupérés. Le mouvement ouvrier a connu cet avatar. La démocratie elle-même n'a jamais été à l'abri : Slobodan Milosevic, entre autres, ne s'en réclame-t-il pas ?Pour autant, le mouvement ouvrier comme la démocratie n'ont obtenu les succès que nous leur connaissons qu'à l'encontre de discours qui les voulaient récupérés à des fins douteuses. Mai 68 aussi a eu sa part - sa taxe - de récupération. Ces mouvements n'ont pas moins engagé la société dans des tournants qui ont infléchi le cours des événements et marqué profondément notre civilisation.

De la violence à la parole

« Le mouvement Stop la violence est à plus d'un titre remarquable. Il donne l'occasion aux jeunes de se reconnaître, de s'identifier et de se définir eux-mêmes comme entité distincte de leur simple catégorie d'âge, avec sa communauté de sort et de destin, dans des termes - fait nouveau - qui n'appartiennent plus aux seuls adultes :

  « ils se cherchent une appartenance, non pas contre les adultes, mais à défaut de celle que les adultes leur offrent 

  « ils tiennent un discours responsable, autocritique, ce que faisant, ils s'autorisent et légitiment leur discours critique en direction, cette fois, des adultes ;

  « ils parlent de leurs conditions d'existense d'une manière, dès lors, étonnamment parlante : ce que la violence mettait en acte, ils le mettent en paroles. Les mots et le ton sonnent juste. Il devient du même coup impossible, et inconvenant - ce serait les préférer “sauvageons” -, de rester sourd à ce qu'ils dénoncent ou d'ignorer leurs aspirations. C'en est criant ;

  « ils se déclarent, par la même occasion, représentatifs  ils se donnent des porte-paroles et des porte-voix. Ils se médiatisent. Ils deviennent interlocuteurs et, partant - c'est peut-être là que ça se corse -, acteurs, politiques notamment. Ils ne sont plus, tout d'un coup, à leur place ;

  « ils prennent l'occasion de mettre une réalité concrète sur le statut d'apprenant que se pique de leur donner désormais l'Education nationale : non plus simplement consommateurs, mais producteurs de savoir. Ils deviennent à leur tour, de la place qu'ils occupent, et ce d'autorité, donneurs de leçons. Y compris de civisme. Les temps changent ?

Un fait de société

« Ce qui de remarquable, au final, s'impose, c'est l'émergence d'une catégorie d'âge, jusque-là “mineure”, s'érigeant en catégorie sociale à bien des égards majeure. C'est plus qu'un fait social, c'est un fait de société, un événement. Semblable à ceux qui par le passé, depuis l'avènement de classes sociales réputées jusque-là mineures et insignifiantes - esclaves, gens de peu, ouvriers, femmes, se découvrant une identité de sort et de destin et, partant, un discours - ont produit dans la société des bouleversements dont notre civilisation comme notre culture aujourd'hui s'honorent.

« L'attention portée au réel suppose de faire un vide en soi, disait Simone Weil qui reconnaissait l'attention, plus que la volonté, comme vertu fondatrice de la morale. Mais “il est des événements, écrivait Nietzsche, qui mettent un siècle à nous parvenir.“ “On parle souvent de la violence du torrent, jamais de celle des rives qui l'enserrent”, nous rappelle, pour conclure, Brecht. »

Charles Ségalen Educateur spécialisé Association Olga-Spitzer - Service social de l'enfance 9, cour des Petites-Ecuries - 75010 Paris Tél. 01 53 34 34 34.

Tribune Libre

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