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La téléphonie sociale : utile, mais mal gérée

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Si la téléphonie sociale constitue un outil intéressant des politiques sociales, la gestion des services se révèle peu efficace. Et, surtout, le pilotage souffre de l'absence de stratégie de l'Etat. Tel est le constat sévère dressé par l'IGAS dans son rapport annuel 1998.

Le coût des services de téléphonie sociale est-il à la hauteur de la réponse apportée ? Non, répond avec fermeté l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans son rapport annuel, rendu public le 16 juin (1). Face au fort développement, ces dernières années, de ce nouvel outil, les enquêteurs se sont interrogés sur son « efficience » à partir d'une enquête, menée en 1998, auprès de sept services subventionnés par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité : Sida info service, Drogues info service, Fil santé jeunes, RESO, Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, Violence conjugale femmes info service et SOS-viols.

Certes, la téléphonie sociale représente « une innovation, dans la conduite des politiques sociales », reconnaît l'IGAS. Cette dernière ne remet nullement en cause l'intérêt d'un tel outil permettant d'individualiser la relation avec l'usager, d'aborder des sujets complexes et largement tabous et de toucher des populations mal connues et rarement rencontrées. Nés de la jonction entre des initiatives associatives et des préoccupations publiques, ces services sont subventionnés à 94 % par les pouvoirs publics (77 % pour le seul ministère de l'Emploi et de la Solidarité) et disposent d'une réelle autonomie dans leur gestion quotidienne. Ce qui leur permet de jouer un rôle de relais des politiques publiques auprès des usagers, avec des contours variables : centrée avant tout sur l'information, la téléphonie sociale peut être complétée par une orientation, un conseil, voire un soutien psychologique. En outre, certains services (Drogues info service, Sida info service, Fil santé jeunes) se sont vu clairement confiés un rôle de prévention.

Appliquant les principes d'anonymat, de neutralité et de gratuité de l'appel, les organismes « s'efforcent de répondre à une demande sociale à la fois pressante et mal connue », estime la mission. De plus, même s'il faut bien sûr rester prudent sur les chiffres, la population touchée est importante : de 5 à 10 % des personnes séropositives auraient obtenu un entretien avec un chargé d'accueil de Sida info service en 1997  25 % des usagers de drogues auraient contacté Drogues info service. Et bon nombre d'indices permettent de penser que les publics sont assez satisfaits des réponses obtenues.

Un entre-deux inconfortable

Néanmoins, une fois délivré ce satisfecit, la suite de l'analyse de l'IGAS est beaucoup plus critique. D'autant qu'elle remet en cause, en raison de ses conditions d'exercice, la pratique utilisée. En effet, si les services avaient à l'origine une fonction d'information et d'orientation, tous ont, à des degrés divers, fait évoluer leur activité vers « l'écoute empathique ». Celle-ci ne se limite pas à la compréhension d'une demande précise, mais cherche à appréhender les difficultés, voire la détresse sous-jacente. L'écoute active est orientée vers l'aide psychologique aux appelants, sans pour autant apporter une véritable prise en charge psychothérapeutique. L'écoute empathique se situe donc « dans un entre-deux dont il convient de maîtriser l'équilibre pour éviter une dérive vers la psychothérapie par téléphone, pour laquelle, en toute hypothèse, ces services ne sont pas préparés, ni qualifiés ».

Devenue « un choix stratégique fort », l'écoute empathique se justifie au regard de plusieurs préoccupations :nécessité pour l'appelant de sortir de son isolement, pour l'écoutant de redonner confiance et d'ajuster l'information et l'orientation à la demande. Et cette pratique est parfaitement cohérente avec la qualification d'un grand nombre de chargés d'accueil téléphonique, psychologues en activité ou retraités. Si sur le fond, l'IGAS ne conteste pas les raisons de ce choix, elle s'interroge néanmoins sur sa pertinence eu égard à ses conséquences en termes de volume d'activité et de coût.

L'écoute empathique allonge, en effet, la durée des communications (de 9 à 20 minutes en moyenne). Ce qui, ajouté à la fréquence des appels « polluants » ou « parasites », liée à la gratuité de la plupart des lignes, pèse sur l'accessibilité des services. Celle-ci est jugée «  médiocre », par les rapporteurs, regrettant que seuls de 15 % à 33 %des appels reçus soient traités. Plus grave, cette écoute empathique est-elle utile, se demande légitimement l'IGAS ? « Aucun élément » ne permet de trancher cette question, déplorent les inspecteurs. « L'attitude des chargés d'accueil ne repose pas véritablement sur la prise en compte de critères cliniques ou sur une méthodologie précise. » S'inquiétant que l'aide psychologique par téléphone soit encore un domaine inexploré par les spécialistes de la santé mentale, l'étude invite fortement à examiner « les bénéfices-risques » de ces pratiques. D'autant que l'analyse pourrait s'appuyer sur l'exploitation des fiches d'entretien qui restent largement inexplorées, faute de temps. Mais l'IGAS n'omet pas que ce « flou » ou cet « empirisme » ont été entretenus par l'Etat, qui n'a pas intégré de réflexion précise sur le mode d'intervention attendu des services. Une attitude qu'elle rapproche d'ailleurs du « soutien ambigu » des pouvoirs publics, au vu de l'imprécision des textes définissant les fonctions de ces services. « On ne peut que regretter que les représentants de l'Etat, dans le cadre des financements accordés, ne se soient pas davantage penchés sur la nature du service rendu par la téléphonie », juge sévèrement l'IGAS.

Principal point faible des services : la gestion. Et le rapport est particulièrement critique sur un fonctionnement, qui conditionne le développement de l'activité à une allocation toujours croissante des ressources publiques et entraîne des pertes d'efficacité. Equipements techniques rudimentaires, faible degré d'informatisation, investissements matériels insuffisants... Mais la pauvreté des moyens n'est pas seule en cause. La mission relève les rigidités de l'organisation du travail qui, ajoutées aux nombreux temps partiels et à la multiplicité des statuts, rendent difficile l'adaptation des services aux variations d'activité. Par ailleurs, l'encadrement des pratiques - les guides et repères pour la conduite d'entretiens sont rares et peu précis - apparaît insuffisant. Ces « inefficiences » expliquent, pour partie, de l'avis de l'IGAS, le peu d'appels traités par chaque chargé d'accueil, un nombre qui tend à diminuer depuis 1994. « Ainsi la pratique de l'écoute empathique, dans un contexte organisationnel insuffisamment rigoureux, conduit à l'utilisation non optimale des moyens alloués à ces services et à la fragilisation de leurs missions. »

ENSP :du professionnalisme, mais un positionnement stratégique à renforcer

Dans son rapport annuel, au chapitre consacré à la formation des cadres du social, l'IGAS présente un audit de l'Ecole nationale de la santé publique (ENSP)   (2). L'inspection rappelle que sa mission première reste la formation initiale, caractérisée par un monopole et un contenu des enseignements défini avec beaucoup d'autonomie par rapport à la tutelle. A ce titre, elle relève la démarche innovante de l'école vis-à-vis de l'Etat, avec la signature, en 1998, d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de gestion (3). L'IGAS note également la qualité de certains produits proposés et le rôle spécifique de l'ENSP dans l'accompagnement des réformes du ministère de l'Emploi et de la Solidarité. De plus, dans ses actions internationales d'expertise et d'ingénierie pédagogique, celle-ci « fait preuve d'un professionnalisme poussé ».

Des lacunes au niveau des formations

Cependant, l'inspection souligne les insuffisances des formations initiales au niveau des modalités de recrutement des intervenants, de la coordination des enseignements et de leur évaluation. Notamment le « cloisonnement [...]tenace entre les filières professionnelles malgré les efforts accomplis par l'école ». De plus, l'offre de formation continue, bien que diversifiée, ne répond pas à certains besoins et reste exclusivement tournée vers les cadres de catégorie A. Quant à l'activité recherche, elle est peu visible et fragilisée par le manque de moyens, jugent les rapporteurs.

Renforcer le positionnement de l'école

Les axes d'amélioration proposés « s'articulent autour de l'amélioration de la qualité des actions et d'une meilleure réponse aux publics divers ». Ils « supposent une réflexion plus approfondie concernant le positionnement stratégique de l'école sur le marché de la formation » avec un engagement de la tutelle sur des objectifs à moyen terme. La mission met en avant un renforcement de la vocation de l'école à promouvoir les politiques sociales et une meilleure appréhension des besoins des usagers. Elle insiste sur la nécessité d'accroître les liens entre la formation initiale et la formation continue. Côté recherche, l'IGAS suggère « une meilleure adéquation entre les moyens et les ambitions ». Enfin, les efforts stratégiques de l'école doivent être soutenus, notamment par des instruments de gestion financière rénovés. Véronique Halbrand

Le désintérêt de l'Etat

Mais le plus grave réside finalement dans l'intérêt limité accordé par l'Etat à cet outil. La mission relève très clairement l'absence de vision stratégique de l'Etat, « qu'il s'agisse du positionnement de chaque service ou de l'orientation de l'ensemble du secteur ». Le développement progressif de la téléphonie sociale a été envisagé « de façon discontinue et segmentée, sans souci de coordination ». Même si, reconnaît toutefois l'IGAS, la direction de l'action sociale commence à s'impliquer dans des initiatives mises en place par certains services. En cause : les carences de la fonction de pilotage de l'Etat, liées à l'éclatement des responsabilités entre les directions ministérielles, et l'insuffisance des compétences des services dans les technologies de la communication.

Soulignant « le caractère novateur et l'intérêt » de la téléphonie sociale, les inspecteurs réclament des « choix politiques clairs » et invitent à résorber les principaux dysfonctionnements. Outre la nécessité de disposer d'études sociologiques sur les usagers, leurs attentes et leur devenir, le rapport insiste sur la mise en place de « règles de gestion plus fermes » et de « pratiques plus homogènes ». Ce qui signifie améliorer l'accessibilité des services, par un encadrement plus précis, et optimiser les moyens par une réflexion sur la restructuration du secteur : rapprochement, voire fusion des services, échanges, contrôle de gestion... Mais cet effort de rigueur suppose aussi que « les organismes réexaminent leur stratégie d'expansion, qu'il s'agisse de la mise en place d'antennes géographiques ou de l'ouverture de lignes spécialisées ».

Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Rapport annuel 1998 - IGAS - La Documentation française : 29/31, quai Voltaire - 75344 Paris cedex 07 - Tél. 01 40 15 70 00 - 150 F.

(2)  ENSP : avenue du Professeur-Léon-Bernard - 35000 Rennes - Tél. 02 99 02 22 00.

(3)  Voir ASH n° 2061 du 6-03-99.

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