Le nombre de personnes interdites de chéquiers n'a cessé d'augmenter depuis 1993, pour atteindre, fin 1997, 2,4 millions (+ 10 % par rapport à l'année précédente). Inquiet de cette tendance, le Conseil national du crédit et du titre a commandé une étude au Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) (1), une première, selon les chercheurs.
Qui fait l'objet de cette interdiction ? Comment ces personnes vivent-elles cette situation ? Quel rôle joue la précarisation économique, notamment le chômage ? Faut-il changer la loi ? Ont ainsi été interrogés 1 850 inscrits au Fichier central des chèques. Au premier abord, rien de très surprenant ne ressort de ces entretiens : parmi les personnes interdites de chéquiers, les employés (26 %) et les ouvriers (32 %) sont surreprésentés, mais aussi les professions indépendantes. De même, 18 % étaient au chômage au moment de l'interdiction (dont 61 %depuis plus de six mois), plus de la moitié avaient des revenus instables d'un mois sur l'autre et les deux tiers étaient endettés. Assez logiquement, également, les personnes évoquent des difficultés financières chroniques l'année précédant la sanction, et d'abord des problèmes à assumer les charges de logement. Enfin 12 % des ménages concernés sont monoparentaux (contre 7 % dans la société en général).
A ce tableau qui lie clairement, dans la majorité des cas, l'interdiction de chéquier à une situation de précarité économique et sociale, viennent se greffer des éléments moins attendus. On apprend, en particulier, que 77 % des personnes attendaient le versement d'une somme sur leur compte, au moment de la signification de l'interdiction. Et « le retard d'encaissement » est l'événement le plus souvent cité parmi ceux « ayant pu concourir à l'interdiction ». S'ajoute alors au sentiment de « sanction morale forte », celui « d'injustice » . D'autant que pour plus de la moitié des personnes, le montant de l'impayé est inférieur à 2 000 F . La période sans chéquier- plus ou moins longue selon la capacité à régulariser la situation - est toujours « difficile à vivre » et synonyme de restrictions des loisirs, de l'habillement, mais aussi des soins, constatent les chercheurs. Les publics concernés soulignent le coût de l'interdiction, le handicap qu'elle provoque et ses effets pervers. « Donc, en fait, tu as la tête sous l'eau et eux ils t'enfoncent », commente l'une d'entre elles. Néanmoins, 54 % estiment que leur situation s'est améliorée. En témoignent les menaces moins fréquentes de saisie ou de coupure d'électricité, surtout pour ceux ayant pu rapidement régler leurs dettes.
Au final, outre les catégories très particulières des « consommateurs négligents » et des travailleurs indépendants en faillite, l'étude distingue des profils bien distincts : celui des personnes « en situation de précarité, fragilisées suite à un événement familial et/ou professionnel » et qui, le plus souvent, réagissent de manière assez virulente à l'interdiction celui qu'elle désigne comme de « jeunes étourdis ». Pour eux, la situation relève plutôt d'un accident de parcours, même si la précarité et la faiblesse de leurs revenus d'étudiants ou de travailleurs intérimaires sont à prendre en compte.
(1) Les personnes interdites de chéquiers - Crédoc : 142, rue du Chevaleret - 75013 Paris - Tél. 01 40 77 85 50. Etude non disponible.