« Arrêtons de dire qu'on ne peut pas travailler avec les parents, lance Pierre Van Hyfte, directeur du foyer La Verdière. Dès la première rencontre, il faut les persuader qu'on ne peut rien faire sans eux. Notre démarche repose sur la conviction qu'ils peuvent continuer à exercer leur autorité parentale, même en cas de placement de leur enfant. »
Située à Montfavet, près d'Avignon, dans un grand parc, La Verdière, maison d'enfants à caractère social, est gérée par l'Association départementale du Vaucluse pour la sauvegarde de l'enfance à l'adulte (ADVSEA) (1). Elle accueille 35 garçons et filles de 9 à 18 ans, confiés par le juge, soit en garde directe, soit à travers l'aide sociale à l'enfance (ASE). Un seul est placé au titre de l'ordonnance de 1945. Ces jeunes, plus ou moins perturbés, atteints, pour quelques-uns, de graves troubles du comportement, sont issus de familles défaillantes ou maltraitantes mais ayant conservé l'autorité parentale. Et, c'est à ces parents qui souffrent d'une carence de l'estime d'eux-mêmes, parfois depuis des générations, que l'équipe éducative va adresser le message suivant : « Nous avons besoin de vous. Il n'est pas question que vous vous déchargiez de vos responsabilités sur l'institution. » Ce message est parfaitement connu du travailleur social qui souhaite faire entrer l'enfant au foyer. C'est à lui qu'incombe toute la phase de préparation. Il connaît l'exigence de base : aucun enfant n'est admis si ses parents n'acceptent pas d'être physiquement présents dans l'institution, dès le premier contact. La coopération avec les familles s'est formalisée en 1992.
« L'arrivée d'un jeune ne peut plus se concevoir dans l'urgence, observe le directeur. Maintenant, le référent social extérieur ne nous demande plus s'il nous reste des places, il s'y prend longtemps à l'avance. Il sait que tout un travail préalable lui est nécessaire pour convaincre les parents. Au début, ceux-ci ne viennent pas de gaieté de cœur et pas toujours ensemble. Mais, bientôt, ils réalisent que notre exigence n'est pas un discours creux. Et nous sommes surpris par leur capacité de réaction. »
Premier acte : l'entretien de pré-admission. Il rassemble un certain nombre d'acteurs dans une mise en scène délibérée. L'action se passe dans le bureau du directeur, autour d'une table. Au centre, face à lui, l'enfant, chaque protagoniste ayant une place assignée : ses parents qui l'entourent, le référent social extérieur, le futur référent de La Verdière, le chef de service, la psychologue. Personne ne parle au nom du jeune et c'est à lui que le directeur donne en premier la parole. Pourquoi se présente-t-il à La Verdière ? Comment voit-il son avenir scolaire ? Quels sont les événements familiaux à l'origine de sa venue (2) ? Les père et mère n'interviennent qu'après. Il arrive que l'enfant ne supporte pas leur version, mais il n'est pas autorisé à interrompre ses parents, qui sont d'emblée crédités d'une autorité, provisoirement étayée par celle du directeur.
Chacun des autres participants a un rôle à jouer : la psychologue tente d'aider à lever les réticences, de conforter l'expression de l'enfant face au groupe, de faire émerger des éléments oubliés ou niés sans qu'aucune des personnes présentes ne perde la face, la parole de chacune étant tenue pour vraie. Le chef de service, lui, est garant de la mise en pratique des décisions prises au cours de l'entretien. L'éducateur référent de La Verdière, qui accompagnera le jeune tout au long de son séjour en foyer, assurera l'interface avec les parents, les services sociaux, les éducateurs, le juge et les autres enfants du groupe. Lors de cette première visite, le directeur rappelle aux parents leur implication et les grands moments de présence obligatoire à La Verdière, à savoir les trois réunions de présentation des projets éducatifs (RPPE).
Deuxième acte : les parents reviennent à La Verdière présenter leur enfant à l'équipe éducative et le laissent pour deux jours de reconnaissance.
Lorsque l'enfant est admis définitivement, son année va être rythmée par les trois grandes étapes que sont les RPPE. Première réunion en septembre : présentation de son projet par le jeune. Deuxième, fin janvier : évaluation de mi-parcours. Troisième, fin juin : bilan de l'année écoulée et projet pour l'année à venir. Chaque réunion rassemble, en une unité de lieu, de temps et d'action, six jeunes, leurs parents, leur équipe éducative et leurs référents sociaux extérieurs, en tout une trentaine de personnes. L'enfant s'exprime d'abord, puis les professionnels qui l'accompagnent, enfin ses parents. Et ainsi pour chaque jeune. La théâtralisation n'est pas innocente. Elle est créatrice de tension et de qualité d'écoute.
Le projet a été longuement préparé par le jeune avec son éducateur référent, à qui il a confié ses craintes, ses attentes, ce qu'il souhaitait voir changer dans ses relations avec sa famille. C'est à partir de ces réflexions et d'entretiens avec la psychologue qu'il l'a construit et écrit. Et qu'il le lira devant tous, au cours de la première réunion de présentation. « Chaque enfant doit avoir son écrit pour conserver une trace de son projet, même si en réunion il ne relit pas tout et improvise, explique Marie-Edith Texier, psychologue.
La préparation des réunions de présentation des projets éducatifs se fait aussi avec les parents. Chaque éducateur s'est vu attribuer, dans le cadre de ses horaires, une heure et demie par semaine et par jeune (il est généralement le référent de trois garçons ou filles) pour intervenir auprès des familles et des partenaires extérieurs. Des rendez-vous sont prévus, une fois par mois, à La Verdière ou au domicile des parents. Mobiliser ces derniers exige d'aller les solliciter et de revenir à la charge. Par exemple, pour qu'ils rencontrent les enseignants de leurs enfants ou au moins qu'ils accompagnent l'éducateur dans cette démarche. « On sentait la nécessité d'impliquer les parents. Mais on avait des craintes sur les modalités de fonctionnement. Au départ, ils étaient très réticents, redoutant le grand déballage public en réunion. Mais on n'y règle pas de comptes on s'en tient au projet. Notre souci majeur est d'être positifs », observe Antoine Salvetti, éducateur spécialisé.
Pourtant, quand arrive la réunion, il faut parfois aller chercher des parents. Quitte à « faire le taxi », quand ceux-ci ne peuvent pas se déplacer ou habitent loin. Il n'est arrivé qu'une seule fois que l'équipe agisse contre leur gré. Il s'agissait d'une mère alcoolique et toxicomane. « Nous savions que ce qui l'empêchait de venir, c'était l'image négative qu'elle avait d'elle-même. Il fallait l'aider à assumer celle-ci », explique Pierre Van Hyfte.
Faire en sorte que les jeunes osent s'exprimer et dire tout ce qu'ils ressentent, c'est aussi le souci des éducateurs. Que ce soit au quotidien, en RPPE, en groupe hebdomadaire de discussion ou en conseil mensuel de jeunes, où ils abordent des thèmes qui leur tiennent à cœur, ils doivent bannir toute violence verbale.
Les professionnels, eux non plus, ne sont pas à l'abri du risque d'agressivité et réfléchissent régulièrement sur leur pratique. Outre un important travail d'écriture sur leurs actes éducatifs, ils participent, chaque mois, à une réunion de supervision obligatoire. De leur côté, les cadres travaillent avec un superviseur différent.
Le personnel administratif et des services généraux, ainsi que l'infirmière, ont bénéficié d'une formation sur le travail avec les familles.
Lors de la deuxième réunion de présentation des projets, le jeune fait le point. Tenant compte de ces éléments, l'éducateur référent, qui a suivi l'enfant en entretien chaque semaine, va moduler son action auprès de lui et de sa famille. En mai, devant les parents et tous les professionnels, il présente le bilan de son intervention et propose une orientation. Après discussion, le jeune est invité à entrer, à écouter ses parents lui communiquer la décision des adultes et à dire ce qu'il en pense. A partir de là, il élaborera, en entretien avec la psychologue, son bilan de fin d'année et son projet pour la future rentrée, qu'il présentera lors de la troisième RPPE.
Encouragés à échanger entre eux et avec l'équipe dans le conseil des parents, à s'informer et à donner leur avis dans le conseil de maison, les parents évoluent dans leur attitude. Les frères et sœurs à la maison bénéficient d'ailleurs des retombées positives. Néanmoins, si des progrès sont réels, l'enfant placé ne pourra pas toujours retourner chez lui. Actuellement, sept jeunes passent leurs week-ends dans des familles d'accueil. En effet, la transformation est lente, pour les parents comme pour les enfants.
On compte un tiers de sortants chaque année. Les réorientations sont plus nombreuses que les retours en famille. Les adolescents les plus perturbés sont admis en lieux de vie. D'autres, en apprentissage, sont reçus dans des foyers. Les plus âgés, ayant vécu en studio à La Verdière, sont accueillis par le service jeunes majeurs de l'ADVSEA.
Françoise Gailliard
Cette façon de formaliser la relation parents-enfant-éducateur n'est-elle pas un peu autoritaire ? Et si les parents refusent... ? - Il arrive effectivement que les parents refusent. Heureusement d'ailleurs, sinon notre outil serait très dangereux ! Néanmoins, au niveau de l'admission de l'enfant, on s'est aperçu que chaque fois qu'on avait fait l'impasse de la présence des parents, on n'arrivait plus, lors de la prise en charge, à remonter le courant. Aussi, lorsqu'ils refusent, nous différons l'admission. Le temps, pour le travailleur social référent, de mener en amont un travail de construction avec la famille pour la préparer à être acteur du placement. Par contre, nous acceptons tout à fait que, lors de la prise en charge, des parents ne puissent pas venir aux réunions du fait de résistances trop importantes. Mais ils ne sont que 5 % à 10 % dans ce cas. Et lorsque les parents n'arrivent plus du tout à suivre ? - C'est arrivé, mais de façon très isolée. Et là, c'est effectivement une des limites de notre démarche. Lorsque les difficultés des parents sont telles qu'ils ne peuvent plus adhérer à nos propositions, cela pose un problème pour l'enfant. Il va en effet être le seul dans l'institution à ne pas avoir sa famille à ses côtés. Quels enseignements tirez-vous de votre expérience ? - Notre démarche permet d'écarter le danger d'une relation trop fusionnelle entre l'éducateur et l'enfant. Elle a d'ailleurs eu pour effet de diminuer fortement la violence des éducateurs vis-à-vis des enfants. Les intervenants sont plus respectueux des enfants et des parents. De même, et on ne s'y attendait pas, les familles respectent davantage le travail éducatif. On se rend compte, finalement, - même si c'est difficile à gérer - que lorsqu'on permet aux parents d'exercer leur autorité parentale, sans jugement de valeur, ni a priori sur leur histoire, ceux-ci se réinvestissent dans leur fonction parentale. Et ils ne font pas marche arrière. Propos recueillis par Isabelle Sarazin Pierre Van Hyfte est directeur du foyer La Verdière.
(1) ADVSEA : 641, chemin de La Verdière - 84140 Montfavet - Tél. 04 90 31 00 83 - Une vidéo a été réalisée sur l'expérience du foyer La Verdière - 150 F (port compris).
(2) Cette question, liée au contenu de l'ordonnance de placement, est en discussion dans l'équipe, car la réponse peut aller à l'encontre du but visé, qui est de retisser la respectabilité des parents.