Afin de dispenser l'enfant de répéter indéfiniment les sévices subis et d'éviter le caractère traumatisant de témoignages multiples, l'article 706-52 du code de procédure pénale prévoit que l'audition d'un mineur victime d'une infraction sexuelle doit faire l'objet d'un enregistrement audiovisuel. Cet enregistrement pouvant être exclusivement sonore si le mineur ou son représentant en fait la demande.
Issue de la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs (1), cette disposition entre en vigueur « au plus tard au 1er juin » prochain. Un délai accordé pour permettre une mise en place progressive des moyens nécessaires, sachant qu'une quinzaine de juridictions procédaient déjà, depuis plusieurs années, à un tel enregistrement. C'est d'ailleurs pour permettre une « application effective et homogène » de cette procédure qu'une circulaire d'Elisabeth Guigou datée du 20 avril dernier vient en préciser les conditions, les conséquences et les modalités pratiques. L'occasion de présenter ce dispositif qui, selon le garde des Sceaux, nécessite « des efforts d'adaptation de la part de tous les magistrats, enquêteurs, fonctionnaires et auxiliaires de justice ». La ministre souhaitant, par ailleurs, qu'un protocole sur le recours à la procédure audiovisuelle soit signé entre les autorités judiciaires, les services de police et les unités de gendarmerie, dans le ressort de chaque cour d'appel et de chaque tribunal de grande instance. Protocole qui pourra être intégré aux autres instruments qui ont déjà pu être élaborés au sein des juridictions en matière de protection des mineurs victimes. Et être largement diffusé aux membres du barreau, aux travailleurs sociaux, aux personnels de santé ou de l'Education nationale.
• Article 706-52 du code de procédure pénale, issu de la loi du 17 juin 1998, J. O. du 18-06-98.
• Circulaire crim-99-4/F1 du 20 avril 1999, à paraître au B. O. M. J.
La loi du 17 juin a rendu obligatoire l'enregistrement pour les seules auditions de mineurs victimes d'infractions sexuelles.
L'enregistrement n'est obligatoire que pour l'audition d'un mineur victime. Tel n'est pas le cas, souligne la circulaire :
• lorsqu'un mineur est entendu commetémoin dans le cadre d'une procédure concernant une infraction sexuelle. L'enregistrement du témoignage n'étant pas pour autant interdit
• lorsque la victime, mineure au moment des faits, est devenue majeure au moment de son audition.
Le fait que le mineur se soit constitué partie civile par l'intermédiaire de ses représentants légaux ou de son administrateur ad hoc est sans incidence sur l'obligation d'enregistrement.
Il doit s'agir d'une des infractions dont la liste est donnée par l'article 706-47 du code de procédure pénale :
• viol
• agression sexuelle
• exhibition sexuelle
• corruption de mineur
• pornographie enfantine
• atteintes sexuelles sur mineur.
L'enregistrement concerne également la tentative de meurtre ou d'assassinat d'un mineur accompagnée d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie.
Aux termes de la circulaire, les systèmes expérimentaux actuellement utilisés pour les autres infractions commises à l'encontre des mineurs et notamment les mauvais traitements peuvent être maintenus.
L'enregistrement est obligatoire pour toutes les auditions, qu'il s'agisse de la première ou desautres auditions ultérieures qui devraient être réalisées. La procédure est également applicable aux auditions réalisées par le juge des enfants lorsqu'il instruit une procédure à l'encontre de mineurs auteurs d'infractions sexuelles commises sur des victimes, elles aussi, mineures.
Par contre, l'audition d'un enfant victime pendant l'audience devant la juridiction de jugement ne donne pas lieu à enregistrement. De même, l'article 706-52 n'est pas applicable en cas de confrontation du mineur avec un tiers, en particulier la personne mise en examen, sauf si celle-ci l'accepte de façon expresse.
L'enregistrement ne peut avoir lieu qu'avec l'accord du mineur ou de son représentant légal. Les magistrats peuvent toujours s'y opposer par une décision motivée. Par ailleurs, la loi n'a pas prévu de sanction en cas d'absence d'enregistrement.
S'agissant de l'accord du mineur, les enquêteurs rechercheront l'adhésion de l'enfant à l'enregistrement « le plus en amont possible de la procédure, et en pratique dès la première évocation des faits », relève Elisabeth Guigou. Laquelle juge « souhaitable que lestravailleurs sociaux susceptibles de recueillir les révélations d'abus sexuels soient informés de cette nouvelle modalité procédurale, pour en avertir le cas échéant les enfants ».
La loi ne définit pas le seuil à partir duquel un mineur est capable de donner son consentement. Elle précise seulement que le représentant légal n'est appelé à se substituer à l'enfant que si ce dernier « n'est pas en état » de donner son consentement. Selon la circulaire du 20 avril, ce sera le cas pour les « enfants extrêmement jeunes ou dont l'état de santé ne leur permet pas » de donner un consentement.
Seule la capacité de discernement du mineur, appréciée par les magistrats, doit être prise en considération, insiste la ministre. Ce n'est qu'à défaut de discernement que l'accord du représentant légal de l'enfant doit être demandé. C'est aux enquêteurs de solliciter l'accord du représentant sachant que l'absence d'initiative de ce dernier ne justifie pas de ne pas recourir à un enregistrement.
L'accord d'un seul représentant légal de l'enfant est suffisant. Dans l'hypothèse où il devra être procédé à la désignation d'un administrateur ad hoc parce que les intérêts de l'enfant apparaissent en opposition avec ceux de ses différents représentants légaux, l'accord de ces derniers n'aura pas à être demandé. Le magistrat en charge de l'enquête ou de l'information devra apprécier si l'administrateurad hoc doit donner son accord. Rien n'interdisant au juge de solliciter son avis.
La loi n'a pas posé de formes particulières pour le recueil du consentement à l'enregistrement. Pour la circulaire, il est toutefois« indispensable » que l'accord figure formellement dans la procédure écrite.
Elle considère donc « opportun » que l'accord de l'enfant « figure en liminaire et sous la forme d'une réponse à question dans le document enregistré ». Et « souhaitable » que l'accord émanant du représentant légal de l'enfant soit recueilli par procès-verbal signé de l'intéressé.
Si le mineur est entendu à plusieurs reprises, son accord- ou celui de son représentant - devra être renouvelé à chacune de ses auditions pour que celles-ci puissent être enregistrées.
Si une première audition n'a pas été enregistrée en raison du refus d'un mineur, mais que ce dernier doit être de nouveau entendu, il devra, cette fois également, être demandé son accord pour un éventuel enregistrement, précise encore la ministre de la Justice.
Les raisons pouvant présider à un refus d'enregistrement ne sont pas précisées par la loi. D'après la circulaire, c'est essentiellement par souci deprotection de l'enfant lui-même qu'un refus pourrait être opposé. L'accord de l'enfant ne lie pas le magistrat du parquet ou le juge d'instruction qui pourront toujours s'y opposer.
Il appartient au magistrat, après consultation des officiers de police judiciaire concernés, d'apprécier strictement si le recours à l'enregistrement doit être proscrit.
L'incapacité de communication de l'enfant à raison de son âge, de son état de santé physique ou mentale, l'urgence, ou encore la faible gravité des dommages résultant de l'infraction (notamment en cas de simple exhibition sexuelle) pourront justifier un refus d'enregistrement, indique la ministre. Sachant qu'une liste des motifs possibles de refus ne peut être dressée.
Par ailleurs, l'appréciation de l'opportunité d'un enregistrement peut évoluer au cours de la procédure. Le juge peut ainsi différer l'enregistrement jusqu'à ce que les conditions pour y procéder soient réunies.
La décision du magistrat refusant l'enregistrement doit être motivée. Elle n'est susceptible d'aucune voie de recours.
Pour le ministère, il est souhaitable que le magistrat fasse connaître son opposition aux enquêteurs le plus rapidement possible afin d'éviter que le mineur soit informé, après que son accord a été recueilli, qu'en dépit de cet accord, aucun enregistrement ne sera effectué.
La loi a créé un délit spécifique de diffusion de l'enregistrement réprimé d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende. La diffusion d'une seule image ou de la seule voix tombant sous le coup de la loi.
Aucune sanction n'est attachée au non-respect de la procédure d'enregistrement. En conséquence, souligne la circulaire :
• la personne mise en examen ne pourra pas obtenir l'annulation de l'audition d'un mineur qui n'aurait pas été enregistrée
• l'absence d'enregistrement ne saurait justifier la nullité de l'audition à la demande de la partie civile
• enfin, un enregistrement réalisé sans que le consentement du mineur ait été recueilli ne saurait entraîner la nullité de l'audition elle-même. Même si, dans une telle hypothèse, « il semble [...] que la victime [soit] en droit de demander la nullité de l'enregistrement, et de s'opposer à son utilisation au cours de la procédure ».
La circulaire distingue le déroulement des opérations d'enregistrement de celui de l'audition du mineur.
Le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire chargé de l'enquête ou agissant sur commission rogatoire peuvent requérir toute personne qualifiée pour procéder aux opérations d'enregistrement.
En pratique, le recours à une personne privée devra néanmoins resterexceptionnel. Selon la ministre de la Justice, il est en effet « souhaitable que les opérations soient directement réalisées par des fonctionnaires de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie formés à l'utilisation de matériel vidéo. C'est donc uniquement lorsqu'une telle solution ne pourra être mise en œuvre qu'il devra être recouru à une personne extérieure ».
La personne requise devra alors prêter par écrit le serment d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience, sauf si elle est inscrite sur une liste d'experts. Elle sera soumise au secret de l'enquête et de l'instruction et ne pourra révéler le contenu de l'audition sans violer le secret professionnel.
Les opérations d'enregistrement doivent être contrôlées par des enquêteurs, officiers ou agents de police judiciaire. Un procès-verbalindiquera les opérations qu'ils auront eux-mêmes effectuées ou qui auront été effectuées sous leur contrôle par la personne requise.
Les auditions enregistrées ne doivent pas nécessairement avoir lieu dans des locauxspécifiquement aménagés à cette fin et réservés à cet unique usage, même s' « il n'y a toutefois que des avantages à aménager de tels locaux », remarque la circulaire. En tout état de cause, les locaux devront assurer la confidentialité de l'entretien et « présenter une certaine convivialité, du moins une neutralité suffisante pour faciliter la libre expression de l'enfant ».
Un dispositif de séparation peut être mis en place entre le lieu de l'entretien où se trouve la caméra et le lieu de mise en œuvre du matériel d'enregistrement. Le recours à une glace sans tainest ainsi possible. La circulaire précisant cependant qu' « il est alors souhaitable que ce dispositif soit expliqué au mineur ».
L'audition d'un mineur, qu'elle soit ou non enregistrée, doit toujours faire l'objet d'un procès-verbal. Ce dernier doit être rédigé au cours de l'audition ou à l'issue de celle-ci. Il convient de permettre à l'enfant de relire ou de se faire relire sa déposition et de la signer. D'après la circulaire du 20 avril, lespropos d'un enfant très jeune dont l'audition à proprement parler n'est pas envisageable, peuvent être recueillis de façon plus informelle dès lors qu'est rédigé un procès-verbal précisant notamment les conditions de ce recueil.
Les propos tenus lors de l'entretien n'ont pas à être intégralement reproduits dans le procès-verbal et peuvent donner lieu à des reformulations. Mais le langage utilisé pour l'enfant pour décrire les atteintes sexuelles dont il a été victime devra être respecté.
Les attitudes ou gestes du mineur au cours de l'entretien ou à l'occasion de telle ou telle question pourront figurer au procès-verbal, note également la circulaire.
La loi du 17 juin 1998 a légalisé la possibilité d'autoriser, lors de l'audition ou de la confrontation du mineur, la présence d'une personne de sa famille, de l'administrateur ad hoc,d'un psychologue, d'un médecin ou d'un éducateur.
Il est exclu que le mineur ou sa famille décident des personnes qui pourront assister aux actes, indique la ministre de la Justice : seul le magistrat du parquet ou le juge d'instruction pourra autoriser une telle intervention aux côtés du mineur. La décision pouvant aussi être prise d'initiative par le magistrat.
En outre, la présence d'une personne est exclusive de toute autre. Et son rôle est conçu comme « entièrement passif » :elle n'a pas à répondre aux questions à la place du mineur, ni à l'interroger, insiste en particulier Elisabeth Guigou.
Le but de l'enregistrement est d'éviter ou de limiter les auditions ultérieures du mineur. Mais celles-ci restent possibles, explique la circulaire, si elles s'avèrent indispensables pour la manifestation de la vérité au cours de l'enquête ou de l'information. L'enregistrement n'interdit pas non plus une audition pendant la procédure d'audience. Au demeurant, le respect des droits de la défense ne peut priver la personne poursuivie de faire interroger la victime qui l'accuse.
Des principes qui doivent néanmoins être conciliés avec l'intérêt de la victime, tempère la ministre de la Justice. Notamment, au cours de l'enquête, une nouvelle audition d'un mineur dont la déposition a déjà été recueillie et enregistrée ne pourra intervenir, sauf urgence, sans l'accord préalable d'un magistrat du parquet. La circulaire estime également « souhaitable » qu'au cours de l'information, le procureur de la République puisse requérir du juge d'instruction de bien vouloir l'informer préalablement à toute nouvelle audition de l'enfant afin d'être en mesure de donner son avis et de pouvoir, le cas échéant, s'opposer à cet acte.
« D'une manière plus générale », affirme Elisabeth Guigou, « des réquisitions du ministère public tendant à s'opposer à de nouvelles auditionsdu mineur victime devront intervenir de façon systématique, aux différentes phases de la procédure, dès lors qu'il apparaîtra que cet acte n'est pas véritablement indispensable et qu'il risque de lui causer un grave préjudice ».
La loi exige le placement sous scellés fermés de l'enregistrement ainsi que l'établissement d'unecopie destinée à en favoriser la consultation ultérieure au cours de la procédure.
Les enregistrements doivent être totalementdétruits à l'expiration d'un délai de 5 ans courant, soit à compter de la date d'extinction de l'action publique à la suite d'un classement sans suite, d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement, soit à partir de la date à laquelle la condamnation de l'auteur des faits est devenue définitive.
Aux termes de la loi, sur décision du juge d'instruction, l'enregistrement peut être visionné ou écouté au cours de la procédure. Sa copie peut toutefois être consultée par les parties, les avocats ou les experts, en présence du juge d'instruction ou d'un greffier. La décision du magistrat n'a pas à être motivée et ne peut faire l'objet d'un recours, précise la circulaire.
Par ailleurs, les dispositions habituelles relatives à la délivrance de copie de pièces d'une procédure sont expressément écartées. Aucune copie de l'enregistrement ne pourra donc être remise à l'avocat, ni, a fortiori, à la personne mise en examen. Mais la copie de l'enregistrement peut être visionnée par les avocats des parties au palais de justice dans des conditions qui garantissent la confidentialité de cette consultation.
L'article 706-52 ne traite que la consultation au cours de la procédure d'instruction mais ne concerne pas les visionnages intervenant à l'occasion d'un acte de procédure (2), remarque la ministre de la Justice. Cette consultation ne constitue pas un acte de procédure et n'a donc pas à faire l'objet d'un procès-verbal ou d'un rapport. •
F. E.
(1) Voir ASH n° 2081 du 21-08-98.
(2) Un procès-verbal faisant état du visionnage de la cassette devra au contraire être établi lorsque l'enregistrement sera utilisé à l'occasion d'un acte de procédure nécessaire à la manifestation de la vérité (interrogatoire, confrontation, expertise, audition du suspect...).