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Sortir du clair-obscur

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Quels sont les fantômes omniprésents qui hantent les débats autour de la question familiale et qui nous empêchent d'y voir clair ? Une interrogation fondamentale à la veille de la prochaine conférence de la famille.

Reléguée un temps au second plan par une gauche au pouvoir, mal à l'aise dans la gestion d'un domaine fortement connoté « de droite », la politique familiale est pour le moins revenue sur le devant de la scène. La tenue, depuis 1996, de conférences de la famille annuelles (1), regroupant les pouvoirs publics, les partenaires sociaux et les associations du mouvement familial, ainsi que la mise en place, en août 1998, d'une délégation interministérielle à la famille (2) ont affiché la volonté du gouvernement de Lionel Jospin de relance d'une politique dans ce secteur, davantage considérée comme un axe essentiel de la prévention de la violence et de la délinquance. Tout au moins s'agit-il de rendre plus lisibles et plus cohérentes les orientations d'une nébuleuse d'interventions : prestations familiales, réforme du code de la famille, modes de garde de la petite enfance. L'année 1998 aura aussi vu la réalisation de nombreux rapports parmi lesquels celui de la sociologue Irène Théry (3), analysant les bouleversements de la cellule familiale, l'efficacité redistributive des prestations et préconisant « de repenser la politique familiale ». Cette réflexion, souvent passionnante, a pris la mesure des transformations de la question familiale, mais a malheureusement été en partie occultée, jusqu'au recul du gouvernement en juin 1998, par le débat houleux concernant la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Et de fait, achoppant à des problèmes et des malentendus mal résolus, les réalisations concrètes et les changements restent bien en retrait de l'avancée des idées.

Lever le voile

Rien de vraiment étonnant à cela si l'on considère, comme l'ont fait récemment l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et le Centre d'études, de documentation, d'information et d'action sociale (Cedias), lors d'un colloque organisé conjointement (4), que la formulation des réformes à venir nécessite avant toute chose que « les implicites de la politique familiale » soient bien davantage mis à jour. Car cette politique reste, plus que d'autres, chargée de références, de présupposés non explicites, presque inconscients. D'abord, explique Monique Sassier, sous-directrice de l'UNAF chargée des études et actions politiques, « parce que la famille serait connue de chacun, aurait quelque chose de naturel, et aussi parce que le poids de l'histoire y est particulièrement frappant ». Dès lors, poursuit-elle, « si l'on veut refonder la politique familiale, il faut rechercher les traces des impensés, des non-dits encore agissants dans sa construction ». Ainsi, les grandes caractéristiques de la politique familiale française - sa forte institutionnalisation, l'existence d'un important mouvement associatif, son lien passionnel avec le natalisme, ou enfin son caractère encore normatif - « renvoient toutes à cette part d'implicite », selon le sociologue Michel Chauvière. Laquelle constitue périodiquement un frein à la refondation de la politique familiale.

Dans ce « refoulé » mal assumé, le natalisme tient une bonne place, s'accordent à penser les spécialistes. Historiquement, la politique familiale a en effet été l'instrument de lutte contre « la dépopulation » pourvoyeuse de « déchéance nationale ». C'est la famille nombreuse qui doit alors être encouragée. Cette thématique, rendue obsolète par le baby-boom, l'émancipation des femmes et l'idée que les enfants sont le résultat de choix individuels, reste néanmoins présente dans les préoccupations de certains partis politiques et très fortement au sein des associations familiales. Celles-ci interpellent d'ailleurs fréquemment les gouvernements, jugés responsables de la dénatalité. S'il ne réclame pas de politique nataliste, le président de l'UNAF, Hubert Brin, demande encore que « la natalité soit une affaire d'Etat ». En outre, les interventions actuelles restent marquées par la politique de la femme au foyer qui a longtemps fait office de politique familiale. Penser en termes d'aménagement de la vie de travail pour les femmes suppose évidemment de s'émanciper d'un tel héritage.

Ordre familial, ordre social : quelles relations ?

Bien présente aussi, l'idée, toujours sous-jacente, d'une famille au fondement de l'ordre politique, légitimant et naturalisant en quelque sorte les hiérarchies sociales. Et comme aujourd'hui ordres familial et social sont dissociés - on parle de privatisation de la famille - « certains ont la nostalgie d'un ordre politique basé sur la famille », explique le sociologue Jacques Commaille. Sans pour autant répondre à cette nostalgie ou prôner le retour à la famille traditionnelle, toute politique en ce domaine est toutefois porteuse d'un modèle familial normatif, pas toujours facilement compatible avec l'ouverture de la politique familiale à l'accompagnement de la vie privée, des événements familiaux sans qu'interviennent de critères moraux. Et si les formes concrètes de la cellule familiale sont multiples aujourd'hui, « il n'est pas sûr que le modèle familial de référence se soit diversifié », estime Irène Théry. En témoigne d'ailleurs, selon le conseiller d'Etat, Jean-Michel Belorgey, « notre attachement à un modèle familial français qui prend très peu en compte les modèles d'autres cultures », citant le cas flagrant des critères du regroupement familial pour les immigrés. Une des facettes de la politique familiale est donc bien, au fond, « le contrôle des modes de constitution de la famille ». Or, rappelle Jacques Commaille, « celui-ci ne vise pas à assurer le bonheur des individus, mais à protéger une institution qui remplit une fonction stratégique pour la société ».

Enfin, si les politiques familiales, outils à de multiples fins, sont aussi, notamment à travers les prestations, des instruments de redistribution sociale et de réduction des inégalités, elles sont parfois de manière moins avouée des moyens de lutte contre le chômage. Tel est le cas de l'allocation parentale d'éducation, qui a eu un impact très clair sur les chiffres du chômage, le taux d'activité des femmes élevant deux enfants (dont le dernier a moins de trois ans) ayant chuté (70 % en 1994 contre 53 % en 1997).

Ce sont bien les tiraillements entre ces objectifs divers et concomitants, et souvent ignorés comme tels, qui façonnent le visage de la politique familiale et permettent de comprendre ses hésitations et ses incohérences. A cet égard, deux exemples sont significatifs des errements et des « tensions contradictoires », selon l'expression de Jean-Michel Belorgey. Ainsi le champ de l'obligation alimentaire a été volontairement réduit dans les années 70, rappelle le conseiller d'Etat, dans un objectif d'autonomie des personnes. De même, elle a été volontairement écartée pour l'obtention du RMI. Or, aujourd'hui, déplore-t-il, « elle devrait jouer à plein pour les personnes âgées en l'absence de politique familiale prenant en compte toutes les générations ». De même, souligne-t-il avec le sociologue Michel Messu, comment interpréter la redécouverte subite des « solidarités familiales », qui n'ont rien de nouveau, sinon comme un appel à la contribution financière des familles ? La frontière entre sphère privée et sphère légitime de l'intervention publique serait-elle en train de bouger dans le sens d'un renvoi de la famille à elle-même ? La question du partage des rôles entre l'Etat et la famille, « jamais définitivement figé », note Michel Messu, se pose par exemple de manière cruciale actuellement dans le cas des personnes handicapées vieillissantes dont les parents décèdent.

Vers une nouvelle politique familiale ?

Attention donc, avertissent certains, à ce que la famille ne serve pas de béquille à un Etat providence en difficulté. Car, juge Jean-Michel Belorgey, « s'il n'appartient pas à l'Etat de dire ce qu'est une famille, elle reste une affaire d'Etat comme les libertés le sont ». Nombreux sont ceux qui plaident pour une politique réaliste, c'est-à-dire adaptée aux recompositions et bouleversements familiaux. Sur quelles bases ? Dans quelles perspectives ? Les traits des futures orientations, que l'on pouvait deviner à la lecture des rapports d'étude, se dessinent assez clairement.

Ainsi tous rappellent encore une fois la nécessité de s'atteler à une tâche centrale et ardue :repenser le lien familial, « réarticuler autrement le lien de filiation et le lien conjugal », selon les termes d'Irène Théry, ou encore, selon ceux de Jacques Commaille, « construire une nouvelle fiction juridique qui intègre les changements ». Le code civil et le code de la famille sont donc clairement invités à un toilettage qui donne des repères et sa place à chacun : beaux-pères, demi-frères et sœurs, différentes générations. Dans cette optique, le groupe de travail sur le droit de la famille, installé fin août dernier par la ministre de la Justice, Elisabeth Guigou, devrait, s'il respecte son calendrier, proposer un projet de réforme d'ici à la fin de l'année (5). Autre axe essentiel : le soutien à la parentalité, qui a fait récemment l'objet d'une mesure concrète, avec la mise en place de réseaux d'appui, d'écoute et d'accompagnement des parents par la délégation interministérielle à la famille (6). Cette mesure s'inscrivant d'ailleurs au sein d'une politique familiale de la caisse nationale des allocations familiales et de la DAS de moins en moins définie par les seules prestations et davantage tournée vers l'offre de services, comme l'ont souligné leurs directeurs respectifs, Philippe Steck et Pierre Gauthier. Enfin, plusieurs grands virages restent à prendre par la politique familiale française : celui de l'intégration des personnes âgées et de la charge qu'elles constituent pour les familles quand elles deviennent dépendantes, celui de la prise en compte accrue des besoins éducatifs de l'enfant au-delà de la petite enfance et surtout celui d'une politique qui facilite l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale pour les hommes et pour les femmes. Sachant que pour ce dernier point un bastion reste à conquérir : le monde de l'entreprise.

Mais ceux qui auront à mettre en œuvre ces orientations et à faire des choix seront confrontés à un dernier implicite - et non des moindres. L'enjeu, selon les options choisies (entre universalité et conditions de ressources, entre cotisations et fiscalisation), est bien de savoir, relève l'économiste Bernard Friot, si la politique familiale participera au système de mutualisation que nous connaissons ou bien si elle accentuera la tendance qui s'amorce vers une politique d'assistance, toujours davantage ciblée sur les plus pauvres.

Valérie Larmignat

Notes

(1)  La prochaine devrait avoir lieu en juin. Voir ASH n° 2076 du 19-06-98.

(2)  Voir ASH n° 2081 du 21-08-98.

(3)  Outre le rapport d'Irène Théry (voir ASH n° 2072 du 22-05-98)   on peut citer ceux de Claude Thélot et Michel Villac, « Politique familiale : bilan et perspectives » (voir ASH n° 2072 du 22-05-98)   de Michèle André sur la vie quotidienne des familles (voir ASH n° 2073 du 29-05-98), qui ont contribué à la préparation de la conférence de la famille  et plus récemment celui de Béatrice Majnoni d'Intignano, « Egalité entre femmes et hommes : aspects économiques » (voir ASH n° 2110 du 12-03-99).

(4)   « Les implicites de la politique familiale  »  : 8 et 9 avril 1999 - Paris - UNAF : 28,  place Saint-Georges - 75009 Paris - Tél. 01 49 95 36 00 - CEDIAS : 5,  rue Las-Cases - 75007 Paris - Tél. 01 45 51 66 10.

(5)  Voir ASH n° 2083 du 4-09-98.

(6)  Voir ASH n° 2110 du 12-03-99.

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