« Quand la frontière laisse circuler au compte-gouttes quelques voyageurs isolés, munis d'un contrat et d'un laissez-passer en bonne et due forme, cela ne fait qu'accentuer l'existence même de la frontière. » Cette image résume à elle seule le travers que dénoncent les auteurs de l'ouvrage, Cécile Herrou et Simone Korff-Sausse, quand elles évoquent l'intégration souvent « exceptionnelle » et « sauvage » d'enfants handicapés dans les structures d'accueil ordinaires de la petite enfance. Malgré les efforts locaux et le dévouement de militants, la pénurie de places, le manque de moyens, mais aussi la peur face à la déficience, ont construit une réalité bien éloignée de la volonté affichée d'intégration. Résultat : l'enfant handicapé, qui a franchi les obstacles de l'intégration en milieu ordinaire, se retrouve le plus souvent isolé avec sa différence dans un groupe. Situation bien lourde à porter pour ce « tout seul pas comme les autres ». Aussi les deux professionnelles plaident-elles pour un accueil « simultané de plusieurs enfants atteints de handicaps divers au sein d'un groupe d'enfants valides ». Une position qu'elles ne défendent pas seulement sur le papier, mais aussi à travers leur pratique quotidienne.
Cécile Herrou est en effet directrice-fondatrice de la halte-garderie « La maison Dagobert ». Un lieu d'accueil pour « tous » les enfants à la seule condition qu'ils soient, par ailleurs, pris en charge par une équipe spécialisée. Quant à Simone Korff-Sausse, psychanalyste, elle y exerce en tant qu'analyste institutionnelle. C'est avec des mots très simples et à partir des questions entendues au quotidien qu'elles racontent leur expérience. Elles évoquent la question sensible de l'accueil des pères et mères d'enfants handicapés, fragilisés dans leur rôle, mais aussi de celui des autres parents inquiets de cette mixité : « Est-ce que mon enfant ne va pas imiter l'enfant handicapé ? » Se livrant à une véritable « apologie de la multiplicité », les professionnelles n'en abordent pas moins également les échecs, lorsque visiblement « cela ne passe pas ». L'intégration collective est-elle alors un leurre ? Ce sont, bien souvent, les enfants handicapés eux-mêmes qui mettent à jour les limites de cet accueil intégré et signifient « leur besoin d'un milieu plus spécialisé ». Ce qui renvoie d'ailleurs à la nécessité d'instaurer des passerelles entre le milieu ordinaire et spécialisé. Mais « à condition qu'elles se soudent dès le plus jeune âge. Plus tard... c'est trop tard. » V.L.
Intégration collective de jeunes enfants handicapés. Semblables et différents - Cécile Herrou et Simone Korff-Sausse - Ed. érès -120 F.