Recevoir la newsletter

A l'écoute des bébés et des jeunes enfants

Article réservé aux abonnés

Parce que la souffrance n'attend pas le nombre des années, c'est dès sa conception qu'il faut porter attention aux capacités relationnelles du bébé. Et réfléchir aux stratégies susceptibles de soutenir les enfants et leurs parents.

« Ma mémoire précédait ma naissance. » Cette citation de l'écrivain Patrick Modiano, qu'ils auraient pu placer en exergue à leurs travaux, illustre les préoccupations de nombreux professionnels réunis en congrès à Roubaix, à l'initiative de l'association La Cause des bébés (1). Alors que des siècles durant, la question même de l'enfance ne se posait pas, le bébé s'est, relativement récemment, vu décerner le statut de personne à part entière. Aujourd'hui, éclairé par de plus fins projecteurs, le fœtus in utero entre sur le devant de la scène.

Le nouveau-né n'arrive pas sur terre sans bagages. On sait notamment qu'il existe des phénomènes d'horloge organique, c'est-à-dire de rappel, par l'expression de symptômes, d'événements anténatals, explique le professeur Loïc Marpeau, gynécologue-obstétricien (CHU de Rouen). De même qu'on n'ignore plus, par exemple, que les voies physiologiques de la douleur sont en place dès 26 à 28 semaines d'aménorrhée. « Ces constatations, et bien d'autres, sont redoutables de conséquences, estime le médecin, car nous disposons maintenant de techniques d'intrusion qui peuvent perturber la tranquillité du fœtus. Et que nous sommes capables aussi de discerner des désordres, qui pourront s'avérer n'avoir rien de suspect, mais induisent des angoisses susceptibles de gâcher une grossesse, et éventuellement de gêner l'instauration des relations mère-enfant. »

La communication périnatale

Témoignant de cet autre regard qu'apporte le fait de considérer l'enfant à naître « comme un sujet désirant, capable de montrer tout à fait clairement son plaisir, son déplaisir, et de prendre aussi des initiatives, très tôt dans la vie intra-utérine », Catherine Dolto-Tolitch, haptothérapeute, appelle à ne pas méconnaître la sensibilité et les capacités participatives du bébé en gestation. Dans son univers liquide, chaud, sonore, vibratoire, odorant et mobile, explique-t-elle, « celui qu'on appelle encore fœtus est déjà en quête de communication et d'échanges chargés de sens. Il est à l'affût de ce qui fait signe et réagit fortement aux événements qui se produisent dans son entourage. » A ce « guetteur joyeux », mémorisant déjà ce qu'il vit là intensément - ce qui ne sera pas sans répercussions sur son développement ultérieur -, l'haptothérapeute propose un accompagnement destiné à l'aider à dialoguer avec ses parents, si tant est, évidemment, que ces derniers le souhaitent. Découverte en 1945 par le Néerlandais Frans Veldman, l'haptonomie se définit comme « la science de l'affectivité et du contact psychotactile »   (2). Cette expérience de rencontre, qui peut débuter très précocement dans la grossesse, constitue un jeu d'approche subtil entre un tout-petit et ses parents qui l'invitent à se déplacer dans le giron maternel. « Le contact tactile étant signifiant comme un langage, estime Catherine Dolto-Tolich, cela suppose un petit apprentissage, plus ou moins facile à notre époque où beaucoup d'adultes sont des infirmes du toucher. » Le bébé, lui, comprend vite l'appel qui lui est fait, et il peut lui-même esquisser des propositions. « On a véritablement l'impression d'une danse à plusieurs partenaires », note l'haptothérapeute qui souligne l'intérêt de développer la présence de la mère à son enfant, et sa capacité à le sécuriser, par exemple lors d'une intrusion médicalement nécessaire.

Parents exclus, enfants exclus ?

Parmi les questions posées par les parents aux professionnels qui les accompagnent durant la période pré et postnatale : quel sera le devenir de leurs bébés ? C'est cette interrogation qui taraude l'équipe pluridisciplinaire du service du docteur Micheline Blazy, à l'hôpital du Vésinet (Yvelines). Les femmes qui y sont accueillies pendant deux à six mois, en fin de grossesse ou lorsqu'elles viennent juste d'accoucher -la naissance ayant toujours lieu ailleurs -, sont, dans 80 à 90 % des cas, en situation d'exclusion, note Micheline Blazy. Comment faire pour que le bébé, en risques de maltraitance, ne tombe pas dans les mêmes pièges que sa mère - son père ayant, quant à lui, quasiment toujours disparu de la circulation ? « On profite de ce moment de la grossesse pour faire une prise en charge médicale, psychologique et sociale des mamans, en espérant ainsi avoir une action préventive également pour les enfants. Et en postnatal, précise Micheline Blazy, nous soutenons l'établissement des liens mère-bébé, et procédons à une évaluation de cette relation. »

Dans un certain nombre de cas, environ un sur dix, une séparation s'avère néanmoins nécessaire : le placement de l'enfant est alors préparé avec sa maman, pour que la séparation ne se transforme pas en rupture - susceptible notamment d'entraîner la survenue immédiate d'une nouvelle grossesse. Par ailleurs, pour les mères qui choisissent de confier leur enfant à l'adoption, un travail particulier est fait avec un psychologue, à la fois individuellement et par petit groupe. L'accouchement et ses suites sont préparés avec les jeunes femmes, informées de leurs droits : veulent-elles être accompagnées au moment de la naissance ? Souhaitent-elles voir le bébé ? Lui donner leur nom ? Lui laisser une lettre ?

Quand on observe l'histoire des femmes qui viennent au Vésinet, commente Micheline Blazy, on constate souvent des phénomènes de répétition transgénérationnelle qui posent douloureusement problème : exposition précoce à des ruptures affectives multiples, persécution, sévices sexuels - avec la honte qui accompagne ces expériences et qui, elle-même, comme dans un cercle vicieux, n'attend que sa propre confirmation.

Au travers des générations, explique Myriam Szejer, psychanalyste, présidente de La Cause des bébés, « le non-dit peut charrier la transmission des affects, voire des affections ». Ainsi cette petite Agnès, âgée de 18 mois, qui ne faisait plus ses nuits depuis son premier anniversaire. Son symptôme pointait en fait une demande portant sur un secret qui liait depuis quatre générations les femmes de cette famille, et ne parvenait pas à se faire entendre.

La parole des petites victimes

Encore faut-il, pour l'entendre, considérer l'autre comme un véritable interlocuteur, aussi jeune soit-il. C'est ce que fait Catherine Konstantinovitch, juge des enfants à Annecy, qui n'hésite pas à faire venir les bébés à l'audience, à les écouter et à leur parler. « Le nourrisson, comme ses parents, déclare la magistrate, est partie à la procédure d'assistance éducative. A ce titre, il faut qu'il soit entendu, et les décisions le concernant doivent lui être signifiées et expliquées. »

Spécialisée dans l'accueil des jeunes enfants victimes d'abus sexuels, Liliane Daligand, psychothérapeute et professeur de médecine légale à Lyon, considère également que l'exclusion des enfants de leur propre discours est une nouvelle - et très dommageable - violence qui leur est faite. Bien sûr, « il est difficile de concevoir qu'une petite boule de chair soit devenue un corps de parole où réside un sujet ». Mais précisément, cette croyance en l'infirmité langagière de l'enfant constitue un argument pour nombre d'abuseurs : à cet enfant, on peut faire subir n'importe quoi puisqu'il ne sera pas capable de traduire ses sévices en mots. Or, que la petite victime dénonce explicitement l'agression par son langage (et ses dessins), ou qu'elle la manifeste dans son corps, par l'expression de symptômes, la situation typique, explique Liliane Daligand, est justement celle de l'enfant qui n'est pas entendu, car nié dans sa crédibilité même. « L'enfant est dit fabulateur ou mythomane, alors que rarement la petite victime orne ses paroles de la parure de la fable. Mais la finesse même de ses perceptions et l'abondance des détails fournis se retournent contre son auteur : c'est une histoire comme savent si bien en raconter les enfants. » Et l'accusation de mensonge devient alors le sévice principal, souligne Liliane Daligand.

Dans d'autres cas, l'enfant peut être entendu et compris comme victime - y compris par le magistrat -, mais les conséquences de ses dires sont telles en termes d'exclusion, qu'il est amené à se rétracter : devant faire face au groupe familial indigné, il préfère s'accuser de mensonge - et ne saura plus, finalement, s'il a été réellement victime ou pas. Il peut aussi renoncer à la révélation par lassitude de répéter : les adultes multipliant auditions et expertises pour décider eux-mêmes de l'exactitude de ses propos, l'enfant est alors dépossédé de sa propre expérience, qui n'est vraie qu'authentifiée par des tiers. D'autres enfants, poursuit la psychothérapeute, peuvent être tellement pris dans l'imaginaire parental, qu'il leur est impossible de produire une parole qui les coupe de leur maltraitant  cette complicité les conduit par exemple, quand ils sont tenus d'expliquer des traces de coups, à les justifier par de multiples raisons matérielles ou accidentelles, dont ils sont les seuls responsables. « Le secret est là comme une instance qui les fonde et ces enfants, devenus de véritables infirmes de la parole, sont aussi ceux que l'on retrouve souvent, dans leur vie d'adulte, en tant qu'agresseurs violents et victimes consentantes », déclare Liliane Daligand.

Profondément blessé, l'enfant qui a perdu confiance dans le mode d'expression langagier peut traverser dans la mutité de longues périodes de sévices. Et son entourage affirmer ne l'avoir jamais entendu pleurer, gémir, ou même simplement protester, « sinon, bien sûr, je me serais arrêté »... L'enfant victime muselle ainsi ce qui parle en lui. Et il faudra alors l'aider à réintégrer le langage qui, dès sa conception, inscrit le bébé dans la communauté des êtres faits par et pour la parole.

Caroline Helfter

SOUTENIR LES PARENTS LORS D'UNE IMG

En cas de décision d'interruption médicale de grossesse  (IMG), l'accompagnement haptonomique constitue aussi une aide précieuse pour la triade parents-enfant. C'est aux côtés de ces bébés « exclus de la vie », que travaille Frédérique Authier, psychanalyste à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart. Membre de l'équipe de diagnostic anténatal, Frédérique Authier est au fait des difficultés, voire du désarroi des professionnels, confrontés aux limites de leur pouvoir. Elle écoute aussi les femmes ou les couples qui souhaitent la rencontrer à la suite de l'annonce du diagnostic envisageant une IMG, ou après la perte de leur enfant. Ces histoires de vie qui s'achèvent dans la mort, non pas comme toute vie indissociablement porteuse de sa fin, mais par décision d'arrêt conduisant un couple à se séparer de l'enfant rêvé, constituent une expérience traumatique. Laquelle n'est pas toujours suffisamment reconnue comme telle par l'équipe médicale. Les médecins, en particulier, souligne la psychanalyste, devraient assumer davantage la responsabilité de leur acte fœticide - qui ne se réduit pas à sa dimension « médicale » technique de « réparation » par élimination du fœtus - et ne pas faire porter aux parents le sentiment profond d'être les seuls décideurs. Ces derniers, lorsqu'ils renoncent au projet de vie qu'ils avaient avec cet enfant-là, doivent disposer de suffisamment de temps pour pouvoir advenir à la parentalité et reconnaître leur bébé comme une petite personne qui n'a pas pu vivre. Il est indispensable, affirme Frédérique Authier, d'éviter le « pas de charge » pour les IMG, afin de permettre au couple d'intégrer cette souffrance à son histoire. « Parler, nommer cet enfant, lui reconnaître le statut d'être humain et le droit de mourir », tel est le sens de cette écoute singulière de la psychanalyste en maternité.

Notes

(1)   « Le bébé et l'exclusion »  - Rencontre organisée du 25 au 27 mars - La Cause des bébés : 23, rue Gutenberg - 92120 Montrouge - Tél. 01 49 65 09 19.

(2)  Pour un exposé plus complet des caractéristiques du dialogue haptonomique, lire la contribution de Catherine Dolto-Tolitch : Que savent les fœtus ? - Ed. érès 1997 Coll. « Mille et un bébés »   (une vingtaine d'ouvrages disponibles)  - 38 F.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur