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Le squat, un sas pour l'insertion ?

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Comment mettre en œuvre un accompagnement social des personnes habitant un squat sans cautionner une situation illégale et souvent inacceptable ? Telle est la question à laquelle tente de répondre le Comité national de l'accueil des personnes en difficulté dans son rapport Squats et habitat de fortune (1).

Si l'on possède aujourd'hui beaucoup d'écrits sur les personnes sans domicile fixe, peu d'entre eux se sont intéressés aux squats qui, pourtant, se développent depuis plusieurs années. D'où l'intérêt de la recherche menée en 1998 par le groupe de travail sur les « squats et habitat de fortune » du Comité national de l'accueil des personnes en difficulté (2). Lequel s'est appuyé sur une enquête conduite par la direction de l'action sociale  (DAS) en 1997 auprès des directeurs départementaux des affaires sanitaires et sociales sur les points d'hébergement hors structures traditionnelles, et sur l'audition de responsables et d'acteurs associatifs locaux, dont certains ont eu un passé de « squatters ».

Un phénomène d'ampleur

Premier constat : les squats sont une réalité « nationale », affirme le groupe de travail, indiquant que tous les départements ayant répondu se sont déclarés concernés par le phénomène. Relativement limité dans la majorité des zones rurales (où il se confond souvent avec l'habitat de fortune) et dans les villes moyennes, celui-ci peut néanmoins parfois se révéler un vrai problème social et politique local. Mais surtout, les squats constituent « une réalité de masse » dans les villes et les départements fortement urbanisés : de 300 personnes dans le Gard, à Rouen ou en Ille-et-Vilaine... à environ 700 à Montpellier où l'on recense au moins une centaine de squats dont une quinzaine regroupe chacun, au minimum, une trentaine de personnes. Des chiffres qui dépassent les capacités des centres d'accueil et confirment, s'il en était besoin, que bon nombre de sans domicile préfèrent l'inconfort de ce type d'habitat à la fréquentation des centres.

Selon le groupe de travail, tout semble indiquer « un accroissement sensible » de ces situations. Mais plus préoccupant et nouveau, le phénomène concernerait aujourd'hui bon nombre de jeunes, le groupe ayant relevé la présence de jeunes femmes accompagnées parfois d'enfants. Et s'il y a un trait commun à ces publics, qui ne sont pas tous issus de milieux défavorisés et dont quelques-uns ont un niveau d'études supérieur au baccalauréat, c'est leur rejet des institutions sociales, centres d'accueil d'urgence et CHRS notamment, note le rapport. Une attitude qui « s'ancre dans un passé institutionnel douloureux » ou le refus du mode de fonctionnement de ces structures. De fait, beaucoup de jeunes recourent ponctuellement aux services sanitaires et sociaux et fréquentent les lieux d'accueil de jour mais restent farouchement hostiles à l'offre d'hébergement. Ce qui les réunit finalement, c'est « leur sentiment d'appartenir à un mouvement qui défend des valeurs », leur appartenance au monde de la rue étant revendiquée par « fascination de la vie en marge mais aussi comme expression d'un mouvement de critique sociale ».

Néanmoins, relèvent les rapporteurs, le fait que bon nombre d'ex-squatters se sont reconvertis dans l'intervention sociale en direction de leurs anciens compagnons d'infortune témoigne « des potentialités non négligeables » de certains de ces jeunes, sous réserve qu'on sache les aborder. Un constat pourtant qui ne saurait masquer les situations d'extrême misère et souvent de violence, dans lesquelles ils vivent. « Dans les squats, la figure de la victime se confond souvent avec celle du bourreau », souligne le groupe de travail, faisant état de « récits proprement inhumains ». Et là, peut-être plus qu'ailleurs, les travailleurs sociaux sont confrontés à des dilemmes éthiques. Leur aide ne bénéficie-t-elle pas parfois d'abord « à des caïds brutaux qui terrorisent les plus faibles sous leur coupe »   ?

Il est clair qu' « une action en direction des squats ne peut en effet être valablement organisée que dans la perspective de leur disparition », affirme l'étude, rappelant qu'outre les situations de violence, le squatter est l'occupant sans titre d'un domaine privé ou public. Pour autant, cet objectif ne saurait être confondu avec l'organisation d'une chasse aux squatters, ajoute-t-elle. Et « ce n'est pas accepter les squats, ni les cautionner que de prendre le temps d'aller à la rencontre des squatters, d'en comprendre les parcours et les motivations et de tenter d'organiser dans la durée un accompagnement social adapté qui seul permettra qu'ils s'en sortent durablement ». C'est ainsi que les rapporteurs mettent en garde contre une « réponse irréfléchie » à la demande de logements de certains squatters et qui risquent d'être rapidement dégradés. « Le réalisme impose qu'on tente de faire jouer aux squats un rôle de “sas” », estiment-ils, ce qui nécessite du temps pour entrer en contact, nouer des liens... Et selon eux, la mise à exécution d'une décision d'expulsion ne devrait pas intervenir sans que le point de vue des services sociaux et des associations, ayant tissé des relations avec les squatters, ait été entendu. Au risque sinon de recréer de nouveaux squats, dans des conditions parfois pires que les précédentes. Pas question pourtant de voir dans cette démarche « laxisme » ou « aveuglement », se défendent les auteurs du document. Il s'agit de connaître de l'intérieur le squat et ses occupants en « s'y rendant physiquement ». Ce risque, selon eux, doit être pris « pour ne pas avoir demain à répondre à l'accusation d'avoir accepté l'inacceptable ». Sachant que lorsque les accompagnateurs sociaux ne peuvent exercer leurs missions, ils ne doivent pas hésiter à se tourner vers les forces de l'ordre. « Ne pas alerter celles-ci serait devenir complice », affirme avec fermeté le rapport.

Des réalités très diverses

Si le rapport est intitulé Squats et habitat de fortune, la réflexion du groupe de travail porte essentiellement sur les situations de squat. Ce dernier désigne le plus souvent un logement ou un immeuble habité par des occupants sans titre avec une certaine forme d'organisation collective. Alors que l'habitat de fortune vise des lieux de vie encore plus précaires, par exemple des micro-espaces avec des personnes seules. Par ailleurs, la notion de squat recouvre également des réalités très différentes, l'étude distinguant les squats :

 de l'extrême misère (avec des hommes d'un certain âge) qui se confondent souvent avec l'habitat de fortune 

 marqués par la violence, la délinquance et les toxicomanies : souvent le fait de jeunes dominés par la figure d'un caïd 

 ouverts à une intervention sociale à caractère individuel et collectif : ces squats sont souvent stabilisés, relativement organisés et plutôt ouverts aux travailleurs sociaux.

« On ne pénètre pas par effraction »

A partir de cette éthique qui concilie l'objectif de disparition des squats avec l'accompagnement dans la durée, le rapport formule une série de recommandations, qui sont autant de conseils pratiques pour l'action des intervenants.

La démarche d'aller dans les squats doit être soigneusement réfléchie. « On ne pénètre pas par effraction quand on entend y mener une action sanitaire et sociale. Le respect dû aux personnes implique qu'on y soit invité. » Et pour le groupe de travail, l'outil privilégié pour développer une intervention sociale en direction des squats et abris de fortune est l'équipe de rue dont le rattachement à un SAMU social, un lieu d'accueil de jour ou à un centre d'hébergement est souhaitable pour éviter l'isolement.

Deuxième règle : il n'apparaît pas judicieux de souscrire au projet d'aménagement du squat souvent revendiqué par ses occupants. Les expériences de ce type s'étant pour la plupart mal terminées. Par contre, tout autre chose est de bâtir un vrai projet avec les personnes qui souhaitent avant tout préserver leur vie communautaire. Celui-ci devient alors « un processus négocié », ce qui n'empêche pas d'ailleurs de convenir en attendant d'une solution transitoire : réinstallation provisoire dans un lieu précaire, voire maintien temporaire dans le squat.

D'autre part, toutes les dispositions « visant à traiter humainement les situations d'expulsion » s'appliquent aux situations de squat, insistent les rapporteurs. C'est ainsi que celles concernant la prévention et le relogement des personnes doivent être utilisées. Et « a fortiori doit être proscrite et fermement combattue l'utilisation de méthodes non légales visant à déloger les squatters ».

Une certitude pour le groupe de travail : le maintien du service de l'eau fait partie « de ce minimum d'humanité incompressible » que la collectivité nationale ne peut refuser. Et le rapport plaide pour le droit au maintien de l'eau, y compris dans les squats dont les conditions d'hygiène sont souvent déjà désastreuses. Ce coût pouvant être pris en charge dans le cadre du dispositif prévu par la loi contre les exclusions pour les factures d'eau impayées.

De même, selon l'étude, le squatter a droit à une offre d'accompagnement individuel inconditionnelle de la part de la collectivité et des services sociaux. L'intervenant social doit répondre rapidement aux demandes d'aide individuelle, en particulier en matière d'accès aux droits. Néanmoins, la distribution de ces prestations ne doit pas fausser la relation d'accompagnement sur une longue durée, estiment les rapporteurs. Celle-ci doit entre autres permettre de mieux comprendre pourquoi l'offre locale d'accueil et d'insertion, notamment en matière d'hébergement et de réadaptation sociale, ne répond pas aux attentes de ce public. L'étude relève d'ailleurs que ce constat a permis l'ouverture à Bordeaux et à Toulouse de lieux d'accueil et d'hébergement à bas seuil d'exigence où d'anciens squatters jouent un rôle d'animation. Il n'en reste pas moins que, face au grand nombre de squatters fortement désocialisés, les parcours d'insertion proposés apparaissent inadaptés. Alors, comment éviter d'ajouter une errance institutionnelle à une errance personnelle ? La priorité, face à un tel public, doit être de privilégier « un mode de prise en charge stabilisant » où n'est pas fixée a priori une limitation de durée d'accueil et d'hébergement, affirme le groupe de travail. Lequel considère que, malgré les possibilités offertes par la législation sur l'aide sociale à l'hébergement, «  tout reste à faire dans ce domaine qui va du “lieu de vie“ à l'habitat autoconstruit, en passant par la maison de retraite adaptée ». Et pour les rapporteurs, la philosophie de l'accueil inconditionnel dans une finalité d'intégration sociale, qui a fait le succès des accueils de jour, devrait être étendue à la sphère de l'hébergement et du logement.

A côté de ce suivi individuel, un accompagnement social collectif, lui conditionnel, pour ne pas cautionner l'existence du squat, doit être développé. Sachant que satisfaire à la revendication collective d'un groupe de squatters peut souvent être interprété comme une forme de reconnaissance, estime l'étude. Néanmoins « si ce choix est fait, malgré ce risque, il faudra prendre la peine de le justifier et de l'expliciter ». Le débat sur l'accès à l'énergie, qui a traversé le groupe de travail, est d'ailleurs révélateur des difficultés à circonscrire les limites de cet accompagnement collectif. Alors que certains membres ont considéré que donner un accès à l'énergie pourrait être compris comme une forme de légalisation des squats, d'autres ont jugé à l'inverse que cette option, au-delà de ses aspects humanitaires, était conforme à la volonté affichée de bâtir un projet avec les personnes quand c'est possible. Aussi les participants se sont-ils mis d'accord pour privilégier l'analyse au cas par cas en la matière.

Un projet d'habitat

De façon générale, le critère essentiel pour prendre en compte la revendication collective doit être la volonté des occupants de sortir du squat, considèrent les rapporteurs. « Il doit y avoir négociation d'un véritable projet d'habitat adapté entraînant des obligations réciproques. » Et c'est possible, défendent les auteurs de l'étude, citant plusieurs expériences. A Bordeaux, les ex-squatters de la coordination des sans-domicile ont ainsi géré, pendant trois ans, avec l'aide des associations, un lieu d'accueil et d'hébergement et des logements d'urgence et d'insertion. L'expérience est maintenant pérennisée sous la forme d'un CHRS adapté. A Toulouse, d'ex-squatters s'occupent de pavillons acquis par les pouvoirs publics dans le cadre du plan Périssol. Ceux-ci accueillent sans limitation de durée des personnes en grande difficulté. Enfin, à Saint-Brieuc, un groupe de jeunes punks a été réinstallé provisoirement dans un wagon aménagé et participe, parallèlement, à la définition d'un projet d'habitat collectif avec le soutien du programme « Igloo-les toits de l'insertion ».

D'ailleurs, le rapport insiste sur la nécessité d'impliquer les publics dans la démarche. « Les squats sont parfois l'expression d'une forte capacité sociale d'auto-organisation dans des conditions d'extrême précarité », relève-t-il. Et « l'offre d'accompagnement social n'aura de sens que si elle est conçue comme le prolongement » de ce qu'ils ont déjà mis en place. Cette implication des publics concernés devant également se conjuguer avec un véritable partenariat entre les responsables publics et sociaux.

Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Disponible au secrétariat DSF1 (Mme Claudette Zimmermann) de la direction de l'action sociale : 11, place des Cinq-Martyrs-du-Lycée-Buffon - 75015 Paris - Tél. 01 44 36 95 67.

(2)  Institué en 1995, celui-ci rassemble dans un but d'information, de réflexion et d'échanges des représentants des pouvoirs publics, des associations et des entreprises publiques œuvrant en commun dans le champ de l'urgence sociale. La direction de l'action sociale assure son secrétariat.

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