Déficience des équipements de transport, absence de bureau de poste, maintien de l'ordre aléatoire : dans les années 70, la nouvelle cité du Franc-Moisin-Bel Air à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), 11 000 habitants, est en voie de ghettoïsation. Le désenclavement s'amorce dans le cadre du développement social des quartiers puis d'un contrat de ville. Aujourd'hui, le quartier, classé zone urbaine sensible, poursuit sa réhabilitation.
Parmi les initiatives pour réinscrire les habitants dans la ville : l'espace de service public (1), « lieu polyvalent d'accueil, d'information, d'orientation et de modernisation ». Ouvert en 1995, il regroupe diverses institutions de la sphère publique autour de trois pôles principaux : l'action sociale avec les assistantes sociales (CCAS, CAF, CRAMIF) et un écrivain public l'insertion professionnelle pour les adultes la « démarche quartier » visant à développer la communication entre habitants, professionnels et associations.
Amener les services de base au cœur des quartiers, c'était déjà le credo du rapport Picard en 1991, qui préconisait une plus grande proximité des usagers et une meilleure cohérence entre les divers prestataires. En 1996, l'Etat conjuguait volonté d'améliorer la qualité du service rendu et lutte contre l'exclusion, en diffusant, dans le cadre du pacte de relance pour la ville, un appel national à projets de plates-formes de services publics. L'idée était d'encourager les sites inscrits dans un contrat de ville, soit à créer un espace unique regroupant différents services jusque-là inexistants, soit à favoriser la mise en réseau des services disponibles.
Une cinquantaine de sites ont été retenus dont une dizaine (2) ont fait l'objet d'une évaluation par la délégation interministérielle à la ville (DIV) dans un rapport paru en mars 1998. Premier constat : les projets, de configurations très variées, sont essentiellement axés sur des services sociaux. Et les dispositifs mis en place sont majoritairement une émanation des collectivités locales qui en assurent la maîtrise d'ouvrage. On y trouve peu de services de l'Etat, sinon les établissements publics dont il a la tutelle, essentiellement la caisse d'allocations familiales (CAF). Et, sauf à Strasbourg, l'ANPE renâcle à se déconcentrer dans les quartiers. Police et Education nationale sont pratiquement absentes, et les entreprises de réseau - SNCF/RATP, EDF, La Poste, la Compagnie des eaux - pas toujours impliquées.
Malgré cette approche plutôt restrictive du champ des services publics, l'impact est positif. Le regroupement de permanences déconcentrées de différentes institutions, l'accueil commun, ne peuvent que faciliter les démarches des usagers.
Mais au-delà des satisfactions locales, les plates-formes répondent-elles à l'intention première de l'Etat : rétablir l'égalité de tous devant le service public en restaurant sa « lisibilité » aux yeux des citoyens ? Et d'une manière plus générale, sont-elles une incitation à la modernisation des institutions ? Transformation qui ne relève pas uniquement de la politique de la ville, mais intéresse tous les habitants du territoire.
Pour répondre à ces questions et s'ouvrir à d'autres initiatives, l'espace de service public, avec l'appui de Profession banlieue, avait organisé une journée d'échanges et de réflexion à Saint-Denis (3).
Point info multi-services, plate-forme ou espace, ou encore maison de services publics : autant de dénominations, autant de réalités.
A Pessac (Gironde), le dispositif, installé sur le quartier de Saige, s'appelle plate-forme service public et maison du droit (4). Il est l'aboutissement de toute une réflexion commencée en 1993 à l'initiative de la ville et de sa mission DSU. Réunissant des agents des institutions publiques et para-publiques de tous niveaux, des groupes de travail se penchent sur les dysfonctionnements des services publics : complexité et inadéquation face aux besoins des citoyens. En 1995, le consensus se fait autour d'une charte locale, engagement collectif à améliorer les services, que parapheront 70 signataires : de la préfecture jusqu'aux associations. « La charte, c'est la légitimité de la plate-forme, remarque l'un des trois agents permanents, Olivier Delaulanié. Grâce à elle, on a pu enclencher une dynamique de changement. On peut réunir les gens de toutes hiérarchies et faire remonter les problèmes très haut. » A la plate-forme de Pessac, tout tourne autour de la fonction essentielle « d'aiguillage social ». Pas de permanences sur place si ce n'est occasionnelles. L'accueillant oriente les personnes vers les structures extérieures compétentes. « Nous n'avons aucune prétention à remplacer les services publics, explique Olivier Delaulanié. Il ne s'agit pas de s'éparpiller mais de prendre le temps d'écouter, pendant une heure si nécessaire. On fait un diagnostic de la situation, on passe des coups de fil, on oriente, parfois on accompagne. Il arrive que les gens aient un sentiment d'injustice énorme. Quand la CAF, par exemple, leur réclame le remboursement d'indus. C'est à nous de leur expliquer les recours possibles. » Dans le prolongement de la démarche, la maison du droit, financée par l'Etat via l'appel à projets national, assure une information juridique, des activités de médiation et d'aide aux victimes. Autre volet de la plate-forme : l'information collective. Une semaine des droits de l'Enfant a été organisée avec les partenaires. Et en préparation : un projet de campagne sur le surendettement.
L'enjeu de la plate-forme, à Pessac, n'est pas tant le regroupement dans un lieu unique que la coordination horizontale des agents concourant à une culture commune susceptible d'induire un état d'esprit nouveau : la plate-forme devient alors un dispositif permanent d'interpellation des services publics en vue de les inciter à évoluer. Sa vocation n'est pas de résoudre des situations au cas par cas, au risque d'exonérer les services publics ordinaires d'une nécessaire remise en cause.
A la maison des services de Roubaix-Trois Ponts (Nord) (5), ouverte en 1998, on affiche la même ambition d'éviter à l'usager le parcours du combattant. Mais ici, tous les services sont regroupés. 14 administrations s'y côtoient sur 2 400 m2, certaines y installant une antenne en fonction des besoins : impôts au moment des déclarations, centres aérés à l'époque des vacances.
Avec cette configuration, ne se trouve-t-on pas devant un centre administratif bis se contentant d'une juxtaposition de services ?
« Non, répond Jackie Bercié, animateur au service d'accueil commun où 300 personnes passent quotidiennement. Les gens viennent avec une question à régler, on en découvre dix derrière. Nous les aidons à bien identifier leurs problèmes et l'ordre de priorité de ceux-ci. Grâce à un travail en réseau, les agents ont acquis une bonne connaissance de ce que font les autres administrations. La proximité leur permet d'élaborer des stratégies communes. Par exemple, un agent EDF et une assistante sociale vont résoudre ensemble un problème de coupure de courant. Pour une action transversale, nous avons mis en place des commissions à thème qui se réunissent dans la maison des services : jeunesse, prévention, logement... Bailleurs sociaux et assistantes sociales peuvent ainsi se rencontrer pour régler des contentieux de loyer. S'y retrouve également tous les deux mois le groupe d'amélioration des services publics rassemblant les administrations locales. En ce moment, il planche sur les moyens de faciliter la mise en place de l'euro. » Par ailleurs, Jackie Bercié insiste sur l'importance, au sein de la maison, des espaces informels propices aux contacts interpersonnels qui favorisent la résolution des problèmes. C'est le cas d'un lieu apprécié dont tous les locataires ont accepté les frais supplémentaires : la salle à manger commune et sa kitchenette.
A Lyon, ce sont deux points info médiation multi-services (PIMM'S) qui ont ouvert en 1995 (6). Cette fois-ci à l'initiative de six entreprises de mission de service public :La Poste, France Télécom, EDF, la SNCF, la Générale des eaux, les Transporteurs lyonnais. Objectif : modifier les relations entreprise-clients. Sur chaque plateau, quatre emplois-jeunes interviennent comme agents médiateurs. Le PIMM'S offre également des services de proximité et une aide vers l'emploi. Les prestations, peu onéreuses, sont payantes. Son statut juridique d'association loi 1901 le rend autonome vis-à-vis de ses partenaires économiques. Le PIMM'S (avec deux « m » ) est un sigle déposé. Une union des PIMM'S (Lyon, Brest, Blois, Marseille) respectant une charte déontologique s'est constituée. « Nous ne nous parachutons pas, précise Alain Blum, administrateur, mais répondons à la demande des municipalités. Les associations sont parties prenantes et représentent la moitié des membres des conseils d'administration. »
Si les entreprises de service public osent parler de rentabilité (moins d'impayés), en général on préfère évoquer l'efficacité socio-économique. La déconcentration en plate-forme a un coût mais les services rendus sont aussi source d'économies :contentieux réduit, circuit de prestations sociales amélioré. Exemple : l'accélération d'un versement de RMI se traduit par une économie de bons alimentaires. Seulement l'institution qui paie n'est pas celle qui économise. Et chacune garde les yeux sur sa ligne financière...
Mais on ne peut tout mesurer à l'aune du rendement :pas question de faire de l'abattage se rebiffent des accueillants pour qui la qualité d'écoute prime sur le nombre d'usagers reçus.
Ecoute qui d'ailleurs demande des compétences spécifiques. Encore expérimentales, il n'y a pas de formation bien établie pour les agents d'accueil de ces plates-formes chargés d'écouter et d'orienter les personnes vers les différentes administrations. En l'absence de référentiel de métier, la DIV a mis en place un groupe interinstitutionnel pour réfléchir à la construction de formations communes. En attendant, la formation des agents, pragmatique, adaptative, est plutôt du type « immersion en institution » ou « culture commune de projet », la qualification s'acquérant par la confrontation des pratiques. « Des pratiques nouvelles qui devraient inciter les services publics à de nouveaux modes d'intervention », espère-t-on du côté de la DIV. Dans le milieu traditionnellement catégorisé de l'administration, la polyvalence fait peur. Et certains agents administratifs se demandent si leurs supérieurs, les cadres territoriaux, très spécialisés, sont prêts à faire évoluer leurs services.
Doit-on former les agents administratifs à des outils généralistes d'analyse des besoins des usagers ?Ou former des généralistes recrutés hors de l'administration à la médiation entre les usagers et le service public ?
De plus, l'arrivée de ce nouveau métier ne va-t-il pas encore brouiller les frontières des professions sociales ? Non, affirme Bénédicte Madelin, directrice de Profession banlieue. « L'agent polyvalent d'accueil ne remet pas en cause le rôle du travailleur social, précise-t-elle. Face à la diversification des formes de précarité, il occupe le champ libre entre l'usager et le travailleur social qui prend le relais pour la mise en route des prestations et l'accompagnement. »
Françoise Gailliard
(1) Espace de service public : 75, rue Danièle-Casanova - 93200 Saint-Denis - Tél. 01 49 33 92 70.
(2) La Seyne-sur-Mer, Pessac, Montreuil, Mantes-la-Jolie, Le Havre, Strasbourg, Tourcoing, Chambéry, Sarcelles, Tarbes.
(3) Le 25 mars - Profession banlieue, centre de ressources pour la politique de la ville, est un lieu d'échanges et de qualification des professionnels qui interviennent dans les domaines du développement social urbain : 15, rue Catulienne - 93200 Saint-Denis - Tél. 01 48 09 26 36.
(4) Plate-forme service public et maison du droit : Place de l'Horloge - 33600 Pessac/Saige - Tél. 05 56 15 25 60.
(5) Maison des services : 71, avenue de Verdun - 59100 Roubaix - Tél. 03 20 99 10 00.
(6) PIMM'S : 14, rue Serpollières - 69008 Lyon - Tél. 04 72 78 91 81.