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La percée des épiceries sociales

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Apparues au début des années 90, les épiceries sociales s'inscrivent dans une volonté de rompre avec la logique d'assistance. Et de proposer, autour de l'aide alimentaire, des actions éducatives.

Bien qu'encore peu nombreuses, les épiceries sociales ont le vent en poupe. Essentiellement concentrées sur la région parisienne et l'ouest de la France, les premières expérimentations font l'objet d'une curiosité grandissante de la part des professionnels de l'action sociale mais aussi des élus. « Nous sommes tellement submergés de demandes que nous avons dû instituer un jour de visite le deuxième mardi de chaque mois », confie Jacques Lauverjat, l'un des animateurs de l'épicerie sociale de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) qui fonctionne depuis octobre 1994. « On assiste à un petit phénomène de mode. Chaque maire veut son épicerie sociale », confirme Françoise Pradier, chargée de mission à la Fédération française des banques alimentaires qui dessert actuellement une centaine de structures. Département pionnier, l'Essonne en possède déjà six et quatorze sont actuellement en cours de création...

Des lieux de consommation mais aussi d'échanges

Conçues comme des magasins pas tout à fait comme les autres, les épiceries sociales ont pour objectif de rompre avec la logique d'assistance symbolisée par la remise de colis alimentaires. « C'est une expérimentation qui m'apparaît comme une forme d'aboutissement logique de l'évolution en profondeur qu'a connue l'action sociale depuis une vingtaine d'années dans notre pays. Délivrer des bons alimentaires c'était certes nécessaire mais insuffisant. C'était en tout cas plus proche de l'aide sociale ponctuelle que de l'action sociale en profondeur », assure Gérald Hérault, maire de Montgeron, municipalité de l'Essonne où l'épicerie sociale a ouvert ses portes en janvier 1997. Et qui accueillait, il y a peu, un colloque sur ce thème (1).

Très concrètement, ces boutiques atypiques se veulent des lieux de consommation, mais aussi d'information, d'échange et de socialisation. L'aide alimentaire n'est plus, dès lors, une fin en soi mais un levier pour appréhender d'autres problèmes rencontrés par l'usager. L'alimentation sert de support à la mise en place d'actions éducatives centrées sur l'équilibre nutritionnel, la cuisine, la gestion du budget... L'occasion, par exemple, de travailler sur des habitudes alimentaires souvent coûteuses et, qui plus est, généralement sources de carences. « Les femmes que nous accueillons ont pour la plupart perdu le goût de cuisiner, tout ce qu'elles souhaitent c'est aller au plus vite et se débarrasser du souci des repas. De fait, nous avons certains produits comme les salades, les poireaux ou les endives qui ne partent pas... », observe l'une des animatrices de l'épicerie sociale de Brétigny. « Lorsque des personnes pauvres ont davantage le réflexe de fréquenter le Mac Donald que de cuisiner un hachis Parmentier, il relève de la responsabilité des travailleurs sociaux de leur rappeler combien coûte un repas préparé chez soi », renchérit Brigitte Davenas, directrice de la caisse d'allocations familiales (CAF) de l'Essonne. Celle-ci intervient dans l'ensemble des projets en chantier sur le département et a également édité une petite brochure intitulée L'épicerie sociale, du projet à la réalisation   (2).

Généralement épaulées par les associations caritatives, la CAF et le conseil général, les municipalités sont donc de plus en plus nombreuses à abandonner la remise de colis alimentaires pour se lancer dans la création d'une épicerie. S'il n'existe pas de modèle unique- chaque structure possédant sa propre histoire et son mode de fonctionnement - ces échoppes à but non commercial sont généralement approvisionnées par les banques alimentaires ou grâce à des accords conclus avec les grandes surfaces locales. Les usagers pouvant, ensuite, choisir eux-mêmes ce qu'ils souhaitent acquérir. « Ce n'est pas parce que l'on est pauvre que l'on doit se faire imposer telle marque de pâtes ou de riz », remarque Brigitte Davenas. « En s'acquittant d'un prix, même modeste, le bénéficiaire redevient aussi un consommateur, c'est-à-dire, dans une économie de marché comme la nôtre, un acteur de la société », ajoute Gérald Hérault.

Un crédit de 90 F par semaine

A Sainte-Geneviève-des-Bois, l'épicerie sociale, baptisée « l'Escale » (espace de solidarité, conseils alimentaires et libre-échanges), est née d'un partenariat entre le centre communal d'action sociale (CCAS), la CAF et deux associations caritatives (le Secours catholique et l'Entraide protestante). Ouverte trois jours par semaine, elle est animée par 25 bénévoles et profite également de la présence, bi-hebdomadaire, d'une conseillère en économie familiale et d'une assistante sociale, toutes deux mises à disposition par la CAF. Côté usagers, seuls ceux ayant moins de 35 F par jour bénéficient d'un droit d'accès : « Nous additionnons l'ensemble des ressources telles que le RMI, les allocations familiales, l'APL, l'API... et nous soustrayons le loyer, l'électricité et la carte orange. La somme ainsi obtenue est ensuite divisée par le nombre de jours dans le mois et par le nombre de personnes dans la famille », précise Jacques Lauverjat, bénévole à l'Entraide protestante. S'il est accordé, le crédit s'élève à 90 F par semaine pour une personne seule (120 F pour deux, 150 F pour trois). La contribution demandée représente 10 % du prix réel et les droits sont ouverts pour trois semaines et peuvent, le cas échéant, être renouvelés : « Sur les 420 familles passées par l'épicerie en 1998, 90 % d'entre elles sont venues moins de dix fois. Et sur les 34 personnes reçues hier, 8 ne s'étaient plus manifestées depuis octobre 1998. En ce sens, nous ne faisons pas du tout de l'assistanat puisque nous accueillons surtout des personnes en situation de rupture qui attendent de percevoir le RMI, des allocations ou leur retraite », insiste Jacques Lauverjat. Au-delà de l'accueil individuel, les conseillères en économie sociale et familiale font, de temps à autre, la cuisine sur place. Et les animateurs de l'épicerie participent également à la gestion de la « boutique bébé », mise en place dans les locaux de la CAF, où les jeunes mères peuvent récupérer des vêtements, se faire prêter du matériel, mais aussi poser des questions concernant la petite enfance, l'alimentation du bébé, la puériculture...

Autre lieu, autre philosophie : à Marguerite, dans le Var, l'épicerie, ouverte récemment, résulte d'un partenariat entre le CCAS, la CAF et le conseil général. Elle compte un responsable permanent et trois assistantes sociales qui assurent une présence régulière. Le plafond de ressources des personnes pouvant être accueillies ne doit pas dépasser 25 % de plus que le RMI. Et le crédit accordé s'élève à 75 F hebdomadaires. Les droits sont ouverts pour 12 semaines, renouvelables autant de fois que nécessaire. Aucune participation n'est exigée, mais les usagers sont, en revanche, invités à s'investir dans la vie de la structure (ménage, mise en rayon des produits, accueil...). Sur les 54 familles reçues depuis l'ouverture, dix participent quotidiennement à ces tâches courantes. Et elles sont, au total, une vingtaine à intervenir plus ponctuellement. Comme le souligne Mireille Gomes, assistante sociale, l'ambition initiale était surtout d'explorer d'autres modes de fonctionnement du travail social : « Il s'agissait de passer de l'accompagnement individuel et de l'aide directe à des actions d'intérêt collectif. De miser davantage sur la relation et la création de liens. Dans ce contexte, l'épicerie représente avant tout un support. Nous aurions tout aussi bien pu concevoir le projet autour d'un atelier de sérigraphie. »

Ne pas devenir un centre social bis

Alors que certaines épiceries, soucieuses d'assurer une prise en charge globale de l'usager, n'hésitent pas à sortir du champ alimentaire pour aborder la santé, le logement, le travail, voire l'éducation des enfants ou l'accès à la culture..., toute la difficulté consiste, bien sûr, à savoir où poser les limites. « Il importe, à mon avis, de ne pas trop s'éloigner du'cœur de métier " : l'épicerie sociale n'a pas vocation à devenir un centre social bis », soutient Jérôme Guedj, vice-président chargé de l'action sociale, de la santé et de l'insertion au conseil général de l'Essonne. A Evry, où l'ouverture d'une épicerie est programmée pour l'automne prochain, les différents partenaires ont effectué un important travail de réflexion préalable en tentant notamment de définir au mieux ce que cette nouvelle structure devait apporter et comment elle devait se situer dans le paysage local : « Pour cela, nous avons essayé de préciser ce qu'elle devait être, mais aussi ce qu'elle ne devait pas être », raconte Philip Aïdan, directeur développement social/santé et CCAS à la mairie d'Evry, qui estime que l'épicerie ne doit, en aucun cas, devenir un guichet pour toutes les demandes sociales. Ni un espace où l'on pourrait accepter tout le monde et régler toutes les situations.

Si elle renouvelle indéniablement la façon de concevoir l'aide alimentaire, la formule rencontre d'autant plus de succès, auprès des municipalités, qu'elle permet également de mettre un point d'arrêt à des budgets qui, ces dernières années, ne cessaient d'augmenter. Et qu'elle contribue aussi à centraliser les demandes et donc à mieux les coordonner. « J'ai mis en place ce dispositif parce que j'en avais marre que l'on m'appelle toutes les deux heures pour me demander si l'on pouvait donner 100 F à Mme Machin », reconnaît sans ambages un élu.

La centralisation est d'ailleurs imposée depuis l'origine par les banques alimentaires qui, habituées jusqu'ici à travailler avec le secteur associatif, refusent de signer avec les CCAS et exigent qu'une association, regroupant les différents acteurs, soit créée avant d'entériner toute convention. Elles insistent également pour que toutes les associations, présentes sur la commune et bénéficiant déjà d'une convention avec la banque, rejoignent l'épicerie sociale avant de donner leur feu vert. Une « concentration » que le Secours populaire, qui refuse systématiquement de s'associer aux épiceries sociales, juge préjudiciable aux usagers : « Nous ne sommes pas contre les épiceries sociales, mais nous ne souhaitons pas y participer parce qu'il nous semble plus pertinent de travailler en réseau, de créer des partenariats que de s'intégrer les uns, les autres, plaide Olivier Grignon, secrétaire départemental. Le fait de se regrouper n'augmente pas forcément l'efficacité de la réponse. Alors que les épiceries sociales proposent une aide multiforme par le biais de l'alimentation, les bons alimentaires nous permettent de répondre aux situations d'urgence des sans-abri ou des sans-papiers. D'où l'intérêt de maintenir une diversité de réponses. »

Des laboratoires d'expérimentation

Dans le même esprit, certains travailleurs sociaux jugent « un peu léger » de ne pas conserver au sein des CCAS une marge de manœuvre pour les personnes ne répondant pas aux critères requis pour accéder aux épiceries sociales. Certains dénoncent également les durées d'ouverture des droits trop réduites pour entreprendre un réel travail d'accompagnement sur le long terme. Tandis que d'autres encore, beaucoup plus critiques, fustigent « une nouvelle forme de contrôle social enrobée dans un discours très politiquement correct »  : « Les usagers choisissent, mais on choisit pour eux ce qu'ils vont pouvoir choisir, s'indigne une assistante sociale. En fait, il s'agit encore une fois d'un projet établi par des experts institutionnels et associatifs fondé sur les représentations qu'ils se font des besoins des usagers. »

Comme le résume Jérôme Guedj, « tout dispositif de lutte contre l'exclusion génère ses propres formes d'exclusion ». En ce sens, les épiceries sociales n'échappent pas à la règle. Reste qu'en dépit de leurs limites et de leurs faiblesses, elles constituent de véritables laboratoires d'expérimentation. Et contribuent, sans aucun doute, à explorer d'autres modes d'intervention dont le secteur a, aujourd'hui, cruellement besoin.

Nathalie Mlekuz

Notes

(1)   « Epiceries sociales »  - Colloque organisé, le 19 mars, par la mairie de Montgeron avec le partenariat de la CAF de l'Essonne et du conseil général - Contacts : Isabelle Le Bihan ou Brigitte Bureau - Tél. 01 69 83 69 00.

(2)  CAF de l'Essonne : 2, impasse du Télégraphe - 91013 Evry cedex - Contact : Eliane Daumet - Tél. 01 60 91 18 15. Dans le même esprit l'Uncass a élaboré une revue de presse sur le sujet, disponible sur simple demande au secrétariat général : Tél. 03 20 28 07 50.

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