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Les chemins de la liberté

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Un logement, un budget, un projet :pour tenter d'enrayer, en amont, les processus d'exclusion, le foyer éducatif Céline-Lebret, de Limoges, propose un accompagnement personnalisé à des adolescentes aux parcours chaotiques.

A 18 ans, un jeune peut sortir d'un établissement de l'aide sociale ou de la protection judiciaire de la jeunesse sans aucun accompagnement, explique Jean-Marie Farges, responsable du service d'accueil personnalisé en milieu naturel (APMN), qui dépend du foyer éducatif Céline-Lebret (1). Or, les adolescentes qui ont été placées en institution font souvent part de leur sentiment d'abandon éprouvé lorsqu'elles s'en vont. La surprotection de l'internat constitue, pour nombre d'entre elles, une sécurité par rapport à l'extérieur, et leur passage de l'institution au dehors est marqué par des ruptures, des angoisses, une impossibilité de s'adapter à ce milieu et à ses exigences. C'est pourquoi Jean-Marie Farges fait actuellement avec Sandy, Yasmina, Angélique, Magali et Aline, un bout de chemin pour les aider à conquérir leur autonomie. Mamans pour deux d'entre elles, ces cinq jeunes femmes, entre 18 et un peu moins de 21 ans - âge limite d'un tel accompagnement -, ont toutes connu des parcours plus ou moins difficiles. Ils les ont amenées à demander un soutien éducatif à la protection judiciaire de la jeunesse ou à l'aide sociale à l'enfance (sous forme d'un contrat de jeune majeure), et une admission dans le service d'APMN du foyer Céline-Lebret.

Offrir de nouveaux horizons

Habilité, sous mandat judiciaire ou de l'ASE, à recevoir des jeunes filles de 10 à 21 ans présentant des troubles du caractère et du comportement, le foyer Céline-Lebret peut accueillir une trentaine d'adolescentes, dont au maximum six en service d'APMN- dit aussi « service de suite » pour les jeunes qui ont séjourné à l'internat. « Nous nous étions rendu compte qu'environ 50 % des adolescentes qui quittaient l'établissement étaient enceintes dans les six à huit mois suivant leur départ. Et qu'on retrouvait, sur deux ou trois générations, les enfants de ces anciennes internes à Céline-Lebret », commente Jean-Marie Farges, éducateur spécialisé au foyer depuis 13 ans. D'où l'importance, pour mettre en échec ces phénomènes de répétition, de pouvoir un temps poursuivre le travail engagé en institution, afin d'aider les adolescentes à s'imaginer un avenir qui ne passe pas forcément tout de suite par la maternité. D'autant que l'on connaît les risques accrus de précarisation et d'exclusion de ces très jeunes mères, généralement issues d'un milieu économiquement et culturellement pauvre et ne disposant souvent que d'un bagage scolaire restreint.

« Désir de réparation- réussir l'enfant que l'on n'a pas été - et souhait d'accéder à un statut social et à des revenus : les processus conduisant, plus ou moins consciemment, une jeune fille à'tomber" enceinte, puis à mener sa grossesse à terme, sont complexes », note Jean-Gérard Desproges, directeur du foyer Céline-Lebret. Complexes mais pas imparables, ce dont atteste l'expérience de suivi extérieur d'anciennes pensionnaires, menée depuis une dizaine d'années et qui s'est élargie avec le service de l'APMN au soutien à de jeunes majeures - éventuellement mères - qui ne sont pas passées par le foyer.

Vers une progressive autonomie

Elaboré par la protection judiciaire de la jeunesse au milieu des années 80, le concept d'accueil personnalisé en milieu naturel constitue une réponse intermédiaire entre l'institution et la cité. A la charnière d'un dedans extrêmement protecteur, et d'un dehors angoissant quand on n'est pas prêt à affronter toutes les exigences liées à l'indépendance, l'APMN peut représenter une utile passerelle pour franchir, accompagnée, les étapes d'une progressive autonomisation. « Notre intervention, précise Jean-Marie Farges, doit être assez cadrante et repérante, pour permettre à l'adolescente de se projeter et de s'engager dans un processus d'évolution. Elle doit être aussi suffisamment souple et respectueuse de l'individu, pour l'amener à trouver ses propres stratégies d'insertion. » Encore faut-il évidemment, au préalable, que la jeune fille soit demandeuse et souhaite bénéficier de ce dispositif. « En fonction de leur âge et de leur situation, il peut y avoir des jeunes que nous incitons à faire une demande d'APMN, explique Joëlle Penalva, responsable pédagogique du foyer Céline-Lebret. Mais certaines internes ont tellement fait les quatre cents coups que l'on ne souhaite pas les suivre comme jeunes majeures. Par ailleurs, de nombreuses adolescentes n'attendent que leur 18e année pour voir enfin cesser leur prise en charge  se sentir encore en tutelle leur semble insupportable - même s'il ne s'agit plus là d'une tutelle, mais d'un contrôle. »

L'aventure, donc, ne commence qu'à la signature d'un contrat entre l'intéressée, le responsable du service accueil personnalisé et le directeur du foyer. De l'observation, par la signataire, des principes qui y sont énoncés, dépend la continuation ou non de son accompagnement (et éventuellement aussi, le maintien de l'aide financière obtenue en tant que jeune majeure). L'essentiel du modus vivendi défini tourne autour de trois axes : le respect des règles établies dans le bail, qui est signé par la jeune elle-même (ou du règlement du foyer de jeunes travailleurs lorsqu'elle est hébergée en FJT)   l'engagement de justifier ses dépenses et de rembourser, quand cela sera possible, certains frais avancés par le service (comme la caution de son appartement)   la poursuite d'une activité (scolaire, professionnelle, etc.).

Un espace d'expérimentation

Un toit, un budget, un projet : les trois piliers de l'insertion sont les mêmes pour ces adolescentes que pour n'importe qui. Avec un étayage aux mesures de chaque jeune. Pas d'assistanat donc, mais une autonomie à construire par et avec chacune, pierre après pierre.

Le principal point d'appui de ce soutien est l'accès à un hébergement indépendant. C'est d'ailleurs souvent la première fois que ces jeunes ont quelque chose à elles, commente Joëlle Penalva. « Ont » et peuvent garder. Car aucun des logements fournis, dans le cadre de l'APMN, n'appartient au service  autrement dit, à la fin du suivi (aussi bref soit-il), la jeune femme n'a pas à le restituer. Selon les cas, c'est le service, ou le Fonds social pour le logement, qui avance la caution  « nous réglons aussi les premiers loyers, explique l'éducateur, et aidons les jeunes à faire les démarches nécessaires pour obtenir des aides au logement- quitte, en fonction de leurs revenus, à prendre en charge la différence. » Toutes les jeunes, néanmoins, ne sont pas prêtes à vivre d'emblée de manière complètement indépendante. Le responsable du service joue donc sur une palette d'hébergements diversifiés. Par exemple, les chambres individuelles en foyer de jeunes travailleurs

- disposant d'un snack pour les repas -, qui peuvent constituer un passage profitable, notamment pour les adolescentes qui n'ont aucune idée de la gestion d'un budget.

Ce budget, alloué par le service à chacune, en fonction de ses besoins et des revenus dont elle peut disposer par ailleurs, est un élément important du travail réalisé avec les jeunes femmes (2). « Est-ce que ce que tu as acheté correspond vraiment à ce qu'il te fallait ? Comment comptes-tu régler telle ou telle dépense ? » Autant de questions à envisager quand on veut pouvoir s'assumer et ne pas se retrouver endettée.

Jean-Marie Farges aide les jeunes femmes à accéder à différentes ressources, ce qui constitue également autant de démarches responsabilisantes. Même si le résultat, s'agissant des mamans célibataires, va parfois à l'encontre de l'effet recherché. Néanmoins, même s'il est plus rémunérateur de toucher les prestations liées à la maternité (allocation de parent isolé, allocation au jeune enfant, soutien familial) qu'une allocation de formation, le projet d'insertion de la jeune est déterminant dans l'approche de l'APMN. Certaines adolescentes savent ce qu'elles veulent faire : c'est le cas de Sandy qui souhaite devenir infirmière et reprendre, en septembre, des études interrompues en classe de première médico-sociale. L'accompagnateur l'aidera à confier son enfant à une crèche et à préparer sa réinsertion scolaire par des cours de remise à niveau. Dans d'autres cas, il aura à se montrer plus fermement incitatif pour qu'une jeune se mobilise sur un projet- quitte à le faire évoluer dans le temps.

A cet égard aussi, la connaissance du terrain qu'a Jean-Marie Farges, et les relations qu'il entretient avec les différents acteurs sociaux de Limoges, sont déterminantes. La mission locale, qui dispose de trois antennes sur la ville, et la structure Passeport travail sont des partenaires majeurs de ce réseau. Ainsi cette jeune femme vient d'entrer en plate-forme d'insertion. « Il ne s'agit pas d'un stage qualifiant, mais d'un module d'un mois et demi - renouvelable et rémunéré -visant à évaluer ses problèmes d'employabilité », explique Catherine Montastier, conseillère de la mission locale du Val-de-l'Aurence. C'est aussi un moyen, pour des jeunes qui pensent que le monde du travail leur est fermé, de trouver sécurisation et réassurance, complète sa collègue, Claire Coustillas.

Ce souci de redynamisation est au cœur des objectifs de Passeport travail. Isabelle Commault, sa responsable, y accueille souvent des jeunes majeures suivies par Jean-Marie Farges, en particulier des mères qui ne sont inscrites dans aucune démarche scolaire, professionnelle ou de formation. Pendant une durée variable, celles-ci participent, sur la base du volontariat et sans rémunération, au travail collectif réalisé en petits groupes, chaque matin de 9 h à 12 h - la première difficulté étant de réussir à arriver à l'heure. Activités manuelles et physiques, notions relatives à l'équilibre alimentaire et à la gestion d'un budget, informations sur l'emploi (mesures générales, ressources locales), aide à l'émergence d'un projet personnel : la dimension collective de ce tremplin de resocialisation est particulièrement précieuse, souligne Isabelle Commault, pour des jeunes femmes qui vivent enfermées chez elles avec leur enfant. Le brassage des âges et des expériences joue aussi un rôle fondamental. A une néophyte proclamant haut et fort son désir de mettre en route un deuxième bébé avant la fin de l'allocation de parent isolé du premier, on a vu ainsi des aînées tenter de la raisonner en s'appuyant sur leur propre expérience. « Tu le regretteras si tu n'acquiers pas d'abord une formation et un métier. »

Tous les messages délivrés aux jeunes en APMN ne sont, évidemment, pas reçus cinq sur cinq. Le bilan du service, néanmoins, est loin d'être négatif, qu'on l'évalue à l'aune de la prévention des maternités précoces d'ex-internes, ou de la stabilisation et de l'épanouissement de toutes les majeures accompagnées. Fondé sur l'écoute de leurs difficultés et la valorisation des potentialités dont chacune dispose, l'accompagnement psycho-éducatif mené constitue une mise en confiance. Et permet à des jeunes femmes au passé carencé, d'expérimenter, en sécurité, les chemins de la liberté.

Caroline Helfter

Notes

(1)  Foyer éducatif Céline-Lebret : 50, rue Croix-Verte - 87000 Limoges - Tél. 05 55 32 21 02.

(2)  L'APMN-Service de suite du foyer Céline-Lebret dispose d'un budget de fonctionnement propre. Son prix de journée tourne autour de 300 F, soit environ 33 % du prix de journée en internat.

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