C'est en octobre dernier que Jean-Michel Belorgey a été sollicité par Martine Aubry pour conduire une réflexion destinée à vérifier si les structures administratives sont bien adaptées à la lutte contre les discriminations liées à l'origine nationale, ethnique, religieuse, réelle ou supposée et à apprécier l'opportunité de créer une instance chargée spécifiquement de cet objectif. Ce rapport examine les scénarios qui permettraient de mieux répondre à la situation actuelle en France. La ministre de l'Emploi et de la Solidarité a d'ores et déjà indiqué que l'ensemble de ses propositions seront examinées avec les partenaires sociaux lors de la table ronde qu'elle organise le 11 mai prochain. Et qu'à l'issue de cette consultation, le gouvernement envisagera « toutes les adaptations, y compris législatives, qui seront nécessaires ».
Première certitude en forme d'avertissement : quelle que soit l'approche adoptée, elle doit articuler de « façon suffisamment novatrice » la stratégie anti-discriminations et celle de gestion des phénomènes migratoires. Pour lutter contre les discriminations, on n'a d'autres ressources « que de chercher à mieux intégrer, c'est-à-dire piloter et finaliser les stratégies d'intégration, mais aussi et, peut-être surtout, les penser », insiste ainsi Jean-Michel Belorgey. Car une intégration « mal pensée » peut ne pas éliminer les discriminations, « simplement en modifier, en en masquant plus ou moins la portée, les caractéristiques : assignation de manques, ou de déficits, infériorisation, exploitation, aliénation, provocation à la résistance et à la violence ». Autrement dit, la lutte contre les discriminations n'a de sens que si l'on ne s'arrête plus seulement aux carences des candidats à l'intégration mais que l'on porte aussi la réflexion sur les « raideurs de la société d'accueil ».
Par ailleurs, si le rapport reconnaît que les administrations de droit commun et les services spécialisés impliqués dans l'action à l'égard de publics présentant des caractéristiques nationales, ethniques ou d'appartenance religieuse différentes de la majorité de la population, ont pris un certain nombre d'initiatives, il en souligne aussitôt les limites. « Jusqu'à quel point l'exercice est-il à l'échelle ? », s'interroge-t-il, pointant la difficulté de généraliser des méthodes ayant pourtant fait leurs preuves en raison d'un dispositif « trop complexe et trop enchevêtré ». En outre, si certaines initiatives ont montré leur efficacité, d'autres sont équivoques, comme le « parrainage » aux « connotations ambiguës ». « Pourquoi l'exercice de certains droits ou l'accomplissement d'un parcours d'insertion impliquerait-il, s'agissant des ressortissants de certains groupes d'origine ethnique ou nationale particulière, le recours à des parrains ? », se demande Jean-Michel Belorgey, évoquant également « la promotion maladroite » de médiateurs issus de l'immigration. Et pour le conseiller d'Etat, lutter efficacement contre les discriminations suppose trois priorités :conduire « à la bonne échelle » des stratégies d'action positive approfondir par le biais d'analyses précises et de statistiques, la connaissance - encore embryonnaire - des faits et processus de discrimination traiter les faits repérés de discrimination (et ne pas s'en tenir seulement à la prévention des comportements discriminatoires).
S'appuyant sur ces constats et se référant à certaines expériences étrangères (comme la commission pour l'égalité raciale en Grande-Bretagne), Jean-Michel Belorgey estime que « seule la création d'une autorité indépendante est de nature à permettre le franchissement d'un seuil significatif d'efficacité » dans la lutte contre les discriminations. Légère, de 15 membres au maximum nommés par le président de la République sur proposition du Premier ministre, cette instance - baptisée Conseil supérieur de l'intégration et de la lutte contre les discriminations - pourrait donner des avis sur les stratégies intéressant les deux domaines de la lutte contre les discriminations et de l'intégration et aurait le pouvoir de négocier avec les services publics, ainsi qu'avec les organisations professionnelles de toute nature des « chartes » de « bonnes pratiques » et des programmes d'action. En outre, elle pourrait recevoir les réclamations de syndicats, d'associations, d'élus, de ministres, et saisir à son tour différentes autorités. Chaque année, elle rendrait public un rapport dressant un tableau de la situation dans les divers secteurs (emploi, éducation, logement...) et procédant à l'évaluation de la législation et de la réglementation applicable.
Cette création, selon le rapport, doit s'accompagner d'une clarification des dispositions du code du travail relatives aux discriminations à raison de la nationalité ou de l'origine ethnique ou nationale. Mais également, d'un accroissement « dans une faible mesure » des pouvoirs de l'inspection du travail et d'un élargissement des pouvoirs des institutions représentatives du personnel, des organisations syndicales et du champ de la négociation collective.
Mais sans doute, la proposition la plus audacieuse, concerne la réorganisation administrative envisagée. S'interrogeant sur la pertinence de la coexistence sur le front de la politique d'intégration d'une direction d'administration centrale - la direction de la population et des migrations (DPM) - et d'un établissement public
- le Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles - « en charge des mêmes enjeux et des mêmes populations mais cultivant des préoccupations pour partie différentes », le rapport souhaite mettre fin à cette « superposition de structures ». Car « l'indépendance nécessaire pour lutter efficacement contre les discriminations l'est aussi pour intégrer efficacement ». Aussi propose-t-il, parallèlement à la création de l'autorité indépendante, la mise en place d'une Agence de l'intégration et de la lutte contre les discriminations (sous tutelle de la DAS) recueillant, l'ensemble des compétences et moyens financiers et humains du FAS et de la DPM (2), une fraction des prérogatives de la Sonacotra et des moyens nouveaux.
I.S.
(1) Voir ASH n° 2090 du 23-10-98 - « Lutter contre les discriminations ».
(2) Pour ce qui est des compétences que cette dernière exerce en dehors du domaine de la nationalité et de la régulation des flux migratoires - autrement dit celles de la sous-direction des communautés immigrées.