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Une désapprobation générale

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C'est une réforme très attendue, réclamée par tous. Et qui, pourtant, à l'arrivée ne satisfait personne. Principaux reproches : la complexité du projet et surtout l'absence de moyens financiers supplémentaires.

Remise en chantier en mai 1998 par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Martine Aubry, la réforme de la tarification des établissements hébergeant des personnes âgées, réclamée depuis longtemps, a d'abord démarré sous l'angle de la concertation. Mais, dès juillet, dans une lettre ouverte adressée à la ministre, sept organisations du secteur social et médico-social (dont la Fédération hospitalière de France (FHF), l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCCASF), l'Uniopss, la FEHAP...) critiquaient, entre autres, la « complexité inexplicable » du projet ainsi que l'introduction de « discriminations » au niveau territorial et dans l'accès aux soins des personnes âgées... (1).

Absence de volonté politique

Depuis, alors que le ministère a présenté, début août, les grandes lignes de cette réforme (2) qui devrait concerner 9 000 établissements (60 % relevant du secteur public, 40 % du privé), la désapprobation n'a cessé de gagner du terrain. Les professionnels déplorent un projet compliqué, « véritable usine à gaz », et dénoncent le manque de moyens financiers. « L'Etat prétend améliorer la situation des personnes âgées sans engager de moyens supplémentaires. Un peu comme si l'on pouvait en distribuant autrement un jeu de cartes incomplet, retrouver les cartes manquantes », s'indigne Alain Villez, conseiller technique, chargé des personnes âgées à l'Uniopss. De même, alors que l'on compte aujourd'hui 700 000 personnes âgées très dépendantes et que les projections démographiques indiquent que les plus de 85 ans seront 2,1 millions en 2020 (contre un million actuellement) et 4,5 millions en 2050, les associations d'usagers fustigent l'absence de véritable volonté politique en matière de vieillesse. Appelé à donner son avis sur le projet, le conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance maladie a, lui, estimé que les textes comportaient « des avancées » mais souffraient par ailleurs « d'insuffisances notables »   (3). Enfin, s'ils se disent plutôt satisfaits sur le fond, les conseils généraux regrettent toutefois la lourdeur de la nouvelle grille de tarification : « Nous avions réclamé quelque chose de clair et simple or il semble que nous nous orientions vers un système multi-tarifaire très compliqué à mettre en application », constate Bernard Cazeau, président du conseil général de la Dordogne et premier vice-président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée des présidents des conseils généraux de France (APCG).

Amorcée par la loi du 24 janvier 1997 instituant la prestation spécifique dépendance (PSD) - qui prévoyait alors la mise en place, avant le 31 décembre 1998, de textes modifiant les modalités de tarification - la réforme a d'emblée souffert de ce parrainage encombrant. Ainsi, dans le livre noir de la PSD, publié en juin 1998 (4), les auteurs, après avoir dressé un constat accablant de la mise en œuvre de la prestation spécifique dépendance, assuraient à la fin du document : « Pour les personnes âgées en établissement, le pire reste à venir avec la réforme de la tarification ». Précisant que les textes en préparation instauraient une modification des sections tarifaires, ils insistaient sur le risque, « compte tenu de l'indigence de la PSD », de voir les dépenses à la charge des personnes âgées augmenter. Tout au moins pour les plus dépendantes. « Il n'apparaît pas sérieux de faire reposer une réforme attendue sur une loi non définitive qui ne reconnaît pas la dépendance comme un risque nouveau et qui, de plus, présente des aspects néfastes générant des pratiques critiquables », renchérit Jean Barucq, sous-directeur de la FEHAP.

Un système injuste

Le seul point de consensus entre les différents acteurs concerne le mode de fonctionnement actuel, jugé par tous complètement obsolète. « Nous sommes dans un système profondément incohérent et injuste qui résulte d'une époque où l'on trouvait beaucoup plus de personnes dépendantes en établissements de long séjour qu'en maison de retraite. Or, aujourd'hui, tout le monde sait que ce sont surtout les hasards de la vie qui font qu'une personne arrive dans tel ou tel établissement », résume Luc Broussy, délégué général de l'Union nationale des établissements privés pour personnes âgées (Uneppa). En effet, alors que pour les établissements hospitaliers de long séjour, la participation journalière de l'assurance maladie s'élève à 270 F par résident, elle tombe à 160 F pour les maisons de retraite pourvues de sections de cure médicale et à néant pour celles n'en disposant pas : « Les soins sont alors remboursés par la voie classique mais, comme on demande à ces établissements d'avoir du personnel médical salarié, le coût pèse alors sur le tarif hébergement », détaille Luc Broussy. Conséquences : un sous-engagement financier marqué au niveau des établissements privés et notamment associatifs, mais aussi, comme le souligne Albert Gibello, vice-président du conseil général de la Savoie et également vice-président de la commission des affaires sociales de l'APCG, « des tarifs hébergement qui correspondent davantage à une recherche d'équilibre du compte d'exploitation qu'à la réalité des dépenses engagées ».

D'où la nécessité, selon l'ensemble des acteurs, de raisonner, non plus en fonction du statut de l'établissement, mais au vu de la dépendance des personnes. Mais, alors qu'une grande partie des professionnels réclamaient l'extension des sections de cure médicale et l'instauration de forfaits journaliers tenant compte des degrés de dépendance des personnes, les pouvoirs publics ont préféré privilégier la création d'un troisième tarif dépendance en sus des frais d'hébergement réglés par l'usager ou l'aide sociale départementale, et des soins (soins techniques et soins de base dits de nursing) financés par l'assurance maladie. Si sur le principe, ce nouveau tarif n'est pas contesté, le bât blesse, en revanche, sur la question pécuniaire. « Quand nous avons commencé à en parler,  il nous semblait évident que ce surcoût devait être pris en charge par la PSD, raconte Alain Villez, mais comme nous sommes aujourd'hui confrontés à une PSD peau de chagrin, la facture risque fort de peser sur les usagers. » En effet, comme le rappelait Gérard Larcher, président de la FHF, lors de la séance inaugurale de Géront'expo, seules 4 % des 600 000 personnes âgées vivant en établissement perçoivent aujourd'hui la PSD.

Fondée sur la grille nationale AGGIR (autonomie, gérontologie, groupe iso-ressources) permettant d'apprécier la plus ou moins grande capacité des demandeurs à effectuer diverses activités de la vie quotidienne, la nouvelle tarification devrait alléger les prix de journée des personnes les plus autonomes. Et à l'inverse, alourdir ceux des plus dépendantes. « Les simulations effectuées font valoir que,  dans l'état actuel des textes, le prix de journée d'un résident, classé en GIR 1 (le plus fort taux de dépendance) et ne bénéficiant pas de la PSD, devrait augmenter de 33 F par jour. Soit de près de 1 000 F par mois », explique Françoise Toursière, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa). « On débouche sur un système encore plus incompréhensible et plus injuste que le précédent, reproche Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées (Adehpa), certains résidents vont, du jour au lendemain, devoir payer plus cher sans avoir de services supplémentaires. Je ne sais pas comment nous allons pouvoir le leur expliquer. »

13 tarifs différents

Autre point fortement décrié par les professionnels : l'instauration de 13 tarifs différents, variant selon le niveau de GIR (un tarif hébergement, six tarifs soins et six tarifs dépendance). « Plutôt que de fixer des forfaits au plan national, les pouvoirs publics ont préféré favoriser une tarification GIR par GIR et établissement par établissement. Résultat : on repart dans un système budgétaire », regrette Luc Broussy. « Comme les personnes passent facilement du GIR 3 au GIR 2 puis au GIR 1, la réactualisation permanente des situations va nous demander énormément de travail », s'inquiète pour sa part Bernard Cazeau.

Egalement instaurées dans le cadre de la réforme, les conventions tripartites devraient être passées, dans un délai de deux ans, entre les établissements, les conseils généraux et l'Etat. Elles doivent permettre de déterminer les conditions financières de fonctionnement de chaque structure, à la fois en matière de qualité de vie, de prise en charge des personnes, d'organisation des soins et de formation du personnel. Le tout en fonction de la tarification en vigueur et des crédits disponibles. Si, là aussi, le principe n'est pas remis en question, les professionnels s'inquiètent en revanche des éventuelles dérives possibles : « Si l'Etat s'engage, il est tout à fait normal qu'il exerce en retour un droit de contrôle sur la qualité des soins dispensés. En revanche, il va de soi que nous refuserons de signer la moindre convention tripartite qui ne nous ne donnera pas les moyens d'exercer correctement notre mission », indique Luc Broussy. « On fait semblant de considérer les trois partenaires comme étant égaux en droit alors que certains détiennent les moyens financiers, le pouvoir de contrôle et, qu'en face, les gestionnaires d'établissement n'auront qu'à signer en bas à droite et devront se plier aux exigences requises », ajoute Alain Villez.

Si, depuis presqu'un an, l'ensemble des organisations professionnelles n'ont cessé de faire part de leurs inquiétudes et de leur désaccord avec les textes proposés, leur point de vue n'a semble-t-il guère été entendu. « Depuis six mois, nous n'avons pas eu connaissance des textes, alors que nous avons été convoqués dans l'urgence, en plein mois d'août, pour réagir sur un document dont nous n'avons plus de nouvelles depuis », fulmine Gérard Larcher.

A la direction de l'action sociale, Pierre Gauthier assure que la concertation a été menée aussi loin que possible et que les textes présentés au Conseil d'Etat le 16 mars dernier ne présentent aucune rupture avec le projet dévoilé en août dernier. S'il reconnaît que la définition d'un tarif en fonction du niveau de dépendance va bénéficier aux uns et peser sur les autres, le directeur de l'action sociale s'empresse toutefois de relativiser le phénomène en insistant sur le très fort turn over observé dans les établissements : « L'âge moyen d'entrée tourne autour de 84-85 ans et la durée moyenne de séjour est de deux ans et demi/trois ans ». Pour lui, la réforme constitue avant tout un cadre de travail : « C'est un moteur et il faut maintenant trouver le carburant. Il est évident que la prise en charge convenable des personnes suppose des moyens nouveaux qui viendront de dotations spéciales de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie ou du redéploiement des enveloppes hospitalières. »

Présent lors de l'inauguration de Géront' expo, Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, a, lui, annoncé que, dans l'attente de la mise en œuvre de la réforme de la tarification, le gouvernement allait finalement prendre le décret fixant des minima afin de réduire les écarts très importants constatés entre les montants de PSD fixés par les départements. Il a également garanti que d'autres mesures étaient en préparation « pour corriger rapidement les insuffisances ou les lacunes de la loi PSD et de ses décrets d'application ». Précisant que la réforme sur la tarification constituait, selon lui, « un progrès considérable » et même « un saut de génération dans les modes de régulation publique de ce secteur d'activité » et que « rien de tel n'avait été fait depuis ses origines », le secrétaire d'Etat à la santé a également assuré que la publication des décrets tant attendus interviendrait dans les prochains jours. C'était le 29 mars...

Nathalie Mlekuz

Notes

(1)  Voir ASH n° 2079 du 10-07-98.

(2)  Voir ASH n° 2081 du 21-08-98.

(3)  Voir ASH n° 2109 du 5-03-99.

(4)  Voir ASH n° 2075 du 12-06-98.

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