Recevoir la newsletter

Rescolariser les jeunes en souffrance

Article réservé aux abonnés

Créé en 1993 sous l'impulsion de l'inspection académique du Rhône, le dispositif de socialisation et d'apprentissage a montré l'exemple d'un partenariat interinstitutionnel réussi. Six ans plus tard, les responsables cherchent à développer le suivi sur site et le transfert de compétences vers le collège.

« Avant le dispositif de socialisation et d'apprentissage  [DSA] , beaucoup de jeunes complètement déstructurés restaient sur les bras de l'éducateur et surtout'zonaient" dans leur quartier, ce qui les amenait à perturber la vie sociale. » Pour Jean-Jacques Penaud, président du tribunal pour enfants de Lyon, l'utilité de ce dispositif ne fait aucun doute (1). Alors que le Conseil de sécurité intérieure du 27 janvier a accéléré le plan de développement des classes-relais (2), la formule imaginée à Villeurbanne illustre bien l'intérêt et l'originalité de la démarche mais aussi sa complexité.

S'appuyant sur les réflexions de deux groupes de travail réunissant enseignants d'une part et service social scolaire, magistrats, PJJ et chefs d'établissements de l'autre, l'inspection académique du Rhône décidait, en effet, en 1993 de profiter de cette synergie naissante pour créer un lieu scolaire inédit. « Au sein de leur groupe de travail, se souvient Mireille Merle, responsable du service social scolaire, les enseignants faisaient l'hypothèse que des jeunes étaient en échec scolaire, non par manque de capacités, mais parce qu'ils utilisaient l'école dans des stratégies spécifiques de socialisation et non comme un lieu d'apprentissage. Autrement dit, leur relation à l'adulte ne leur permettait pas d'apprendre. » Le dispositif de socialisation et d'apprentissage démarre donc en 1993, avec une équipe composée de quatre enseignants, de deux appelés, d'un éducateur de la PJJ et d'un éducateur de la Société lyonnaise pour l'enfance et l'adolescence  (SLEA), association qui met également un lieu à disposition de l'équipe éducative et des jeunes.

Ni école, ni structure, le « dispositif » est ainsi créé à partir de l'idée du réseau :réseau de travailleurs sociaux, de pédagogues, d'institutions... Le choix du lieu, un appartement de Villeurbanne, répond au souci de trouver un endroit non-scolaire où les jeunes puissent travailler leur relation à l'école. Malgré cette mise à distance, indispensable lorsque les problèmes sont trop vifs, le lien avec le collège d'origine demeure très étroit (suivi des conseils de classe, envoi des travaux, bilans réguliers, etc.). Il est formalisé par une convention signée entre l'inspection académique, le collège et les parents. En outre, un contrat éducatif est passé entre l'élève, la famille et l'équipe du DSA.

UNE CENTAINE DE CLASSES-RELAIS

Les classes-relais ont été créées à titre expérimental en 1985 afin de rescolariser et de resocialiser les jeunes en position d'échec et de rejet de l'institution par le biais d'une pédagogie individualisée et différenciée. Actuellement, près d'une centaine de classes-relais ont été mises en place ou sont en voie de l'être. Les enquêtes menées conjointement par la direction de l'enseignement scolaire, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et le centre Alain-Savary  (INRP) au cours de l'année scolaire 1997-1998, montrent que les collégiens accueillis ont plutôt entre 13 et 14 ans et sont très majoritairement des garçons. Dans la moitié des cas, le père est absent du foyer. Le nombre moyen d'élèves par classe-relais varie entre 6 et 8 pour une durée moyenne de fréquentation de 4 à 5 mois. A noter enfin que, sur la cinquantaine d'éducateurs impliqués dans ces dispositifs, 40 relèvent de la PJJ.

Faire le pari de l'éducatif

L'un des principes fondateurs du dispositif est la non-exclusion de l'élève. Il s'agit notamment pour les initiateurs du projet de réaffirmer le simple principe de l'école obligatoire jusqu'à 16 ans et de faire resentir aux jeunes l'implication de l'équipe éducative dans le DSA. Face à des adolescents de 15-16 ans, parfois non scolarisés depuis plusieurs années, ayant quelquefois commis des agressions importantes, cette règle intangible rend le travail des éducateurs et des professeurs particulièrement délicat, comme en témoigne Christian Soclet, directeur départemental adjoint de la PJJ : « Nous recevons à la PJJ des jeunes délinquants ou en assistance éducative, c'est notre quotidien et c'est là que nous avons un rôle à jouer auprès de l'Education nationale. Alors, bien sûr, ce n'est pas agréable d'être agressé par un gosse dans le cadre du DSA, mais ça aussi c'est retravaillé. » Vols, agressions verbales ou physiques n'ont pas entamé la détermination des intervenants dans leur démarche de « socialisation et d'apprentissage ». Il faut dire que la mixité professeurs/éducateurs semble bien fonctionner dans cette structure accueillant une quinzaine d'élèves au maximum.

Les professeurs sont chargés de faire respecter un programme qui, bien que très individualisé, doit suivre une progression en quatre étapes sur une durée n'excédant jamais l'année scolaire. Proche de la méthode Freinet, le cheminement proposé doit amener l'élève à « supporter » un emploi du temps hebdomadaire de 22 heures, à savoir se servir du matériel et des manuels et à obtenir une moyenne correspondant à celle de la classe du collège. Les éducateurs travaillent, quant à eux, sur le cadre (horaires, matériel, comportement...) et sur une prise en charge plus globale du jeune, telle que les problèmes de santé ou encore les difficultés relationnelles avec les parents. En fonction des jeunes qu'elle accueille, l'équipe peut se mobiliser dans des procédures plus individualisées, plus souples encore. Comme pour cette jeune fille, réintégrée dans son collège après une incarcération pour agression, puis orientée vers le DSA à la suite d'un nouveau comportement violent.

Ainsi, alors que les différentes institutions publiques ne sont pas toujours prêtes à partager leurs savoir-faire, le DSA table sur une mise en commun des compétences. « Jusqu'en 1993, chacun travaillait de son côté, dans une logique horizontale, explique Jean-Jacques Penaud. L'Education nationale disait que ces jeunes relevaient de la justice et nous, nous rappelions qu'il existait une obligation scolaire et qu'il fallait intégrer ces jeunes à l'école. Avec le DSA, on est sorti de ces logiques institutionnelles. »

Des histoires sociales recomposées

Une collaboration qu'on retrouve tant au niveau de l'équipe du DSA que de la commission technique qui se réunit à l'inspection académique, tous les 15 jours, pour examiner les dossiers de demande de prise en charge établis par les différents partenaires (rapport scolaire, rapport social...). Regroupant, sous la présidence de l'inspecteur d'académie, les représentants de la PJJ, de la commission départementale de l'éducation spécialisée, de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, du conseil général, la responsable du service social scolaire et un membre du DSA, cette commission, au vu des éléments, propose des solutions. « Nous retournons même lire les dossiers de maternelle, précise Mireille Merle. Il faut que l'on comprenne l'histoire familiale, les ruptures, les placements, bref l'origine de la violence. » Par le biais de cette histoire sociale recomposée, l'équipe de la commission a pu montrer, par exemple, que la violence d'un élève, qui créait un climat de peur au sein du personnel enseignant, relevait d'une colère mal maîtrisée et non d'un quelconque comportement délinquant. Outre l'appréciation plus fine des parcours, ce travail partenarial permet d'avoir plus de poids face à des collèges parfois peu enclins à s'engager aux côtés du DSA.

Reste que la classe-relais de Villeurbanne a dû faire évoluer certains de ses principes de départ, comme la nécessité d'avoir un dispositif hors collège. Aujourd'hui, et malgré l'ouverture de deux nouveaux lieux dans l'agglomération lyonnaise, l'idée d'un « suivi sur site »  - l'équipe du DSA se déplaçant dans l'établissement scolaire - paraît s'imposer. Autrement dit, pas question de voir des collèges systématiser le recours au DSA et de laisser ce dispositif supplanter à terme l'établissement scolaire, expliquent plusieurs responsables. Du côté de l'inspection académique, par exemple, on juge que le suivi des élèves dans leur classe d'origine permettrait de transférer des savoir-faire sur les collèges, comme la pédagogie du contrat qui doit déboucher notamment sur la renégociation, la consolidation du cadre, etc. Une idée partagée par Jean-Jacques Penaud, pour qui les professeurs sont très demandeurs de savoir-faire adaptés à ces jeunes en opposition à l'institution scolaire : « Le DSA constitue aussi une aide pour les enseignants du collège. Une fois qu'ils savent gérer un cas difficile, cela leur sert pour d'autres et pourquoi pas à éviter ces processus d'exclusion. C'est tout un système qu'on aide ainsi à ne pas exclure un jeune. » Christian Soclet émet, pour sa part, quelques réserves sur le partage de logiques assez différentes. « Le DSA peut nous permettre de travailler ensemble. Mais je crois que nous avons des cultures différentes de celles de l'Education nationale, des missions respectives et que nous avons encore un sacré bout de chemin à faire ensemble », estime le directeur départemental adjoint de la PJJ.

A l'heure d'un premier bilan, la classe-relais de Villeurbanne a pourtant mis en évidence tout l'intérêt des échanges développés entre les différentes institutions et du travail réalisé avec les jeunes. Les derniers chiffres montrent ainsi que plus de la moitié des 50 élèves admis à Villeurbanne (76 autres ont été suivis dans la classe de leur collège) ont réintégré leur collège d'origine ou rejoint un autre établissement scolaire pour poursuivre leurs études. L'objectif initial de rescolarisation visé par les classes-relais est donc atteint pour plus de 50 % d'entre eux. En outre, 7 % des jeunes sont orientés vers l'apprentissage à la fin du DSA. Des réussites qui ne doivent pourtant pas dissimuler les limites du dispositif. Que faire par exemple des 7 % d'autres adolescents dirigés vers des établissements spécialisés totalement engorgés ? Plus grave, pour 15 % des élèves, la classe-relais n'a débouché sur aucune solution. « Pour ceux-là, note Christian Soclet , j'ai envie de dire que ce sont surtout des problèmes psychologiques qui sont vraiment trop inhibiteurs d'un processus d'insertion. »

En amont du dispositif, au tribunal pour enfants de Lyon, on évoque également les manques de coordination avec les équipes de la PJJ. Il est même arrivé que les retards dans la transmission de l'information sur sa situation empêchent l'orientation d'un jeune en instance de jugement vers le DSA.

Articuler plusieurs dispositifs

Quoi qu'il en soit, ni panacée, ni solution miracle, le dispositif de Villeurbanne permet toutefois d'obtenir d'excellents résultats pour des jeunes en rupture d'école, martèlent les différents partenaires du DSA. Outre la question des moyens humains (à la PJJ de Lyon, on espère ainsi qu'une partie non négligeable des 1 000 postes d'éducateurs supplémentaires prévus par le dernier Conseil de sécurité intérieure sera affectée aux classes-relais), quelques-uns d'entre eux soulignent, à l'instar de Mireille Merle, la nécessité de développer des articulations entre le DSA et d'autres dispositifs : « Pour certains jeunes très difficiles, il serait sans doute bon d'avoir des dispositifs plus contenants et séquentiels qui alterneraient des temps en famille, du temps scolaire et du temps en internat où on travaillerait sur la socialisation. On pourrait imaginer ainsi un couplage du DSA avec une sorte de petit internat. »

Henri Cormier

Notes

(1)  DSA c/o SLEA : 1, passage des Peupliers - 69100 Villeurbanne - Tél. 04 78 84 74 74.

(2)  Voir ASH n° 2110 du 12-03-99.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur