Vingt-cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 janvier 1975, les obstacles et les inégalités d'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) demeurent. Remis le 19 mars à Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, et Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, le rapport du professeur Israël Nisand vient confirmer les multiples critiques faites à la mise en œuvre en France de la législation sur l'avortement (1). Mais si bon nombre de constats sont connus, ce document n'en constitue pas moins le premier état des lieux sur l'IVG depuis 1993 (2) . Ses propositions devraient servir de base au « plan d'action d'ensemble sur la contraception et l'avortement » qui devrait être annoncé dans les prochaines semaines par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité. D'ores et déjà, la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception a « salué avec enthousiasme » cette étude, accueillie également avec satisfaction par le Mouvement français pour le planning familial.
Premier constat, les interruptions volontaires de grossesse en France sont moins fréquentes ces dernières années que lors de leur légalisation en 1975. Avec 220 000 avortements pratiqués en 1994 (dont 163 000 déclarés) contre 250 000 en 1975, la France se situe dans une moyenne par rapport aux autres pays européens. « La légalisation de l'avortement n'a pas entraîné sa banalisation, pas plus qu'elle n'a conduit au relâchement de la contraception », affirme d'emblée le professeur Israël Nisand qui estime que chaque femme connaît en moyenne une grossesse non désirée dans son existence et l'interrompt une fois sur deux. Pour la très grande majorité des femmes (cinq sur six), le recours à l'IVG est « accidentel » et « unique », souligne encore le praticien et celle-ci n'est donc pas un moyen de contraception. Néanmoins, « les mineures sont dans une situation particulière » , car le risque d'une utili- sation répétitive de l'avortement est plus grand lorsqu'il a été subi pour la première fois avant l'âge de 20 ans.
Si la loi de 1975 est globalement bien appliquée, sa mise en œuvre reste cependant hétérogène. Le rapport note en particulier « la réponse insuffisante » du secteur public qui trouve son origine dans le non-respect par certains hôpitaux de l'obligation de pratiquer des avortements, dans le contingentement des actes effectués et dans l'inter- ruption provisoire de l'activité à certaines périodes de l'année. C'est ainsi que des dysfonctionnements déjà relevés en 1993 ne font que s'accentuer. L'activité IVG reste en effet peu valorisée et est reléguée à des vacataires mal rémunérés. Le rapport dénonce également « l'accueil inadapté des patientes » qui revêt parfois « des formes insidieuses ». C'est par exemple la limitation des interruptions volontaires de grossesse par un service en fonction d'un nombre de lits dédiés arbitrairement à cet acte, le fait d'imposer l'anesthésie générale ou au contraire de la rejeter systématiquement, le refus de prise en charge des femmes ayant déjà avorté... Face aux carences du secteur public, les établissements privés prennent alors le relais, mais de façon très inégale dans leurs modes d'accueil. Ainsi en 1998, 857 établissements assuraient les IVG, 449 dans le secteur public et 408 dans le privé (ce dernier prenant en charge les deux tiers des avortements en Ile-de-France). Sachant que 55 % des IVG sont effectuées dans des établissements réalisant plus de 400 avortements par an.
Par ailleurs, certaines contraintes légales pèsent lourdement sur les patientes les plus démunies. Respecté de façon très stricte en France, le délai légal de 12 semaines d'aménorrhée conduit chaque année environ 5 000 femmes à se rendre à l'étranger. Or une augmentation de deux semaines du délai légal ferait diminuer ce chiffre de près de 80 % et alignerait la France « sur le délai légal le plus courant chez nos voisins européens ».
Enfin, outre les difficultés liées à la condition de résidence de trois mois en France pour les femmes étrangères, le rapport pointe la situation très délicate des mineures obligées de fournir une autorisation parentale alors qu'elles peuvent accoucher sous X sans demander l'avis de leurs parents. Obligation qui rend impossible toute confidentialité par rapport aux parents. D'ailleurs, la prévention se pose de façon particulière chez les jeunes, relève le professeur Israël Nisand : en effet l'utilisation croissante du préservatif du fait des campagnes pour la prévention des MST a entraîné une augmentation des grossesses non désirées en raison de sa mauvaise utilisation. Or, lorsque l'IVG est pra- tiquée chez les jeunes (6 000 IVG par an concernent les moins de 18 ans), elle est souvent plus tardive que pour l'ensemble des femmes qui avortent et comporte donc plus de risques.
C'est ainsi que le praticien formule 25 propositions pour faire évoluer la situation actuelle. Outre la modification de la réglementation concernant les mineures afin d'arriver à « l'affirmation d'un droit propre de la jeune fille à décider de l'IVG », il demande la disparition des conditions de résidence pour les étrangères. Et sur le plan financier, il invite à sortir le forfait pour examens biologiques de l'arrêté tarifaire de l'IVG.
D'autres suggestions visent à intégrer l'interruption volontaire de grossesse à l'activité quotidienne des services publics, comme l'accréditation d'une unité fonctionnelle d'orthogénie dans chaque service de gynécologie obstétrique ou une meilleure insertion des centres autonomes publics dans les services. Le rapport préconise également la création de commissions régionales de coordination des IVG constituant l'interface entre les associations, les patientes et les hôpitaux et permettant de sensibiliser les hiérarchies hospitalières aux anomalies de fonctionnement. Ou encore la désignation dans chaque région d'une structure hospitalière spécifiquement habilitée à recevoir les femmes qui dépassent le délai légal.
Evoquant la nécessité de favoriser les actions de prévention de l'IVG centrées sur les mineures dans l'Education nationale, Israël Nisand suggère de plus la création d'un numéro vert pour l'avortement et la contraception (en particulier celle d'urgence). Enfin, il plaide pour un meilleur remboursement des moyens de contraception et des spermicides prescrits mais aussi pour un encadrement de la baisse des prix des préservatifs.
(1) L'IVG en France : Propositions pour diminuer les difficultés que rencontrent les femmes - Février 1999 - Disp. : Pr Israël Nisand - Université Louis-Pasteur de Strasbourg - Centre médico-chirurgical et obstétrical de la communauté urbaine de Strasbourg - 19, rue Louis-Pasteur - 67300 Schiltigheim - Tél. 03 88 62 83 49.
(2) Depuis l'enquête de l'Association nationale des centres d'IVG et de contraception - Voir ASH n° 1836 du 11-06-93.