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Conjuguer les soins et l'insertion en prison

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Fondées il y a une douzaine d'années, les antennes-toxicomanie assurent le suivi des toxicomanes incarcérés en maisons d'arrêt et leur préparation à la sortie. Elles doivent faire face aujourd'hui aux évolutions de la toxicomanie et à la précarisation des usagers de drogue.

« Pour moi, les antennes-toxicomanie en maisons d'arrêt permettent aux toxicomanes de restaurer leur lien avec la société », déclare Isabelle Basset, magistrate à Lyon. « S'il y a eu beaucoup de réticences lors de leur création, elles font désormais partie à part entière de la prison », poursuit celle qui était juge de l'application des peines lors de la mise en place, en 1986, d'une structure de ce type à Lyon. Il est vrai que « les antennes ont acquis un professionnalisme en matière de toxicomanie et un savoir-faire dont elles demandent aujourd'hui la reconnaissance », affirme Françoise Facy, chercheuse et épidémiologiste à l'Inserm.

Mieux répondre aux toxicomanes incarcérés

C'est à la fin des années 80 qu'ont été créées les antennes-toxicomanie avec deux missions essentielles : l'accompagnement de l'usager de drogue pendant son incarcération et la préparation à sa sortie de prison. Elles constituaient alors une réponse à la croissance du nombre de toxicomanes incarcérés. En 1980, il y avait 180 drogués parmi les « arrivants » à la maison d'arrêt de Fresnes, 657 en 1983 et 1 069 l'année suivante. Le plus souvent héroïnomanes, ces publics posaient un problème de sevrage, mais présentaient aussi des souffrances psychologiques propres à l'usage de drogue. Aussi, « une formule expérimentale a-t-elle d'abord été testée à Fresnes », explique Françoise Facy.

En mars 1986, les quatre premières antennes de lutte contre la toxicomanie verront le jour : deux en région parisienne, à Fresnes et à Bois-d'Arcy  deux en Rhône-Alpes, à Lyon et à Varces. Douze autres antennes, au sein des maisons d'arrêt les plus importantes, seront mises en place dans la foulée.

Devenues en 1992 des centres spécialisés de soins aux toxicomanes  (CSST) en milieu pénitentiaire, les antennes-toxicomanie sont rattachées aux services médico-psychologiques régionaux (SMPR), les services psychiatriques en prison dépendant de la direction générale de la santé. Si le volet médical de la prise en charge des toxicomanes est le plus souvent assuré par ces derniers, les antennes sont centrées sur un travail psycho-socio-éducatif visant la sortie de prison. Petites équipes polyvalentes de trois ou quatre personnes, elles se composent d'éducateurs spécialisés, d'assistantes sociales, de psychologues, de psychomotriciens, voire parfois de médecins...

Les maisons d'arrêt représentent, d'une certaine façon, un lieu « idéal » pour avoir accès à la population des usagers de drogue. Plaque tournante du système judiciaire, elles accueillent les détenus qui ne sont pas encore jugés et les condamnés à de petites peines (ce qui est souvent le cas des toxicomanes). « La durée moyenne d'incarcération en maison d'arrêt est de quatre mois à Lyon », précise Mustapha Aoun, éducateur spécialisé à l'antenne de Lyon et président de l'Association des professionnels des antennes-toxicomanie (APAT)   (1).

Selon les études épidémiologiques menées par l'Inserm, près des deux tiers des usagers de drogue rencontrés par les antennes n'ont pas eu de contacts auparavant avec des équipes spécialisées en toxicomanie, et 40 %d'entre eux étaient délinquants avant d'être toxicomanes (2). L'incarcération est donc un moment propice pour initier une démarche de soins, de prévention et d'éducation à la santé.

Le « repérage » des détenus usagers de drogue se fait dès l'entrée en maison d'arrêt. Le plus généralement, par l'intermédiaire de l'infirmier psychiatrique du SMPR qui a un premier entretien avec chaque arrivant. Mais « à Lyon, l'antenne a choisi de faire ce travail, souligne Mustapha Aoun. Car nous estimons être les mieux placés pour cela. » Tous les matins, l'un des membres de l'équipe rencontre chaque nouvelle personne reçue en maison d'arrêt. Cette action à l'entrée permet de « repérer », à Lyon chaque année, de 220 à 250 usagers de produits sur les quelque 2 800 arrivants. Environ 15 % de la population carcérale en maison d'arrêt a, selon les études épidémiologiques de l'Inserm, des problèmes avec les drogues. Il y a cependant de fortes disparités régionales. Ainsi à Marseille, sur les 5 000 détenus incarcérés chaque année, ce sont 1 000 personnes qui présentent des difficultés de cet ordre.

Un suivi non obligatoire

Cette première rencontre permet ensuite aux antennes d'entrer en relation avec les personnes concernées. « Nous avons systématiquement un entretien d'accueil avec chacune d'entre elles », précise Alain Houette, éducateur spécialisé à l'antenne de Toulouse. Lors de cette prise de contact, le toxicomane se voit proposer un suivi qui n'a pas de caractère obligatoire.

Les antennes-toxicomanie travaillent avec les personnes dans le cadre d'entretiens individuels ou d'activités de groupe. Le type d'accompagnement est fonction de la demande du toxicomane. Lorsque celui-ci préfère un suivi individualisé, « nous l'orientons vers l'assistante sociale ou le psychologue de l'antenne », indique Alain Houette. « Depuis deux ans, nous avons une augmentation importante de demandes de suivi individuel à l'antenne de Varces », constate Michel Besson, infirmier.

Par ailleurs, les antennes-toxicomanie ont développé différents types d'activités de groupe. « Il s'agit de trouver des médiations pour des détenus qui ont un accès difficile au langage », explique Mustapha Aoun. Certains toxicomanes craignent également la proximité inhérente à l'entretien individuel. A Toulouse, l'antenne propose un groupe de musique. « Il est ouvert à tous les détenus qui savent jouer d'un instrument et n'est pas réservé aux seuls toxicomanes. Cela nous permet notamment de toucher des usagers de drogue qui ne se seraient pas encore signalés. L'activité est l'occasion de créer un courant, de révéler sa personnalité. Pour les toxicomanes, c'est aussi une possibilité de'décoller" du produit, de ne plus être centrés sur l'usage de drogues », précise Alain Houette. A l'antenne de Bordeaux-Gradignan, Emmanuelle Petiet anime des groupes d'expression, comme le yoga et le travail avec l'argile. « Ils ont lieu toujours le même jour à la même heure. Ces activités permettent à ces publics instables de prendre conscience de leur corps. Le groupe les oblige aussi à se confronter à l'autre », raconte cette psychomotricienne.

Au cours de ces dernières années, les antennes-toxicomanie ont également mené des expériences innovantes de préparation à la sortie de prison. L'objectif est de « désidéaliser » la libération, de préparer les futurs libérés aux difficultés auxquelles ils vont être confrontés, de réapprendre une autonomie et de renouer les liens avec leur environnement. S'ajoutant au travail habituel de mise en relation avec les centres de soins extérieurs, des formules de stages intensifs existent désormais dans plusieurs antennes. Après l'expérience du quartier intermédiaire pour sortants (QIS), créé dès 1992 à Fresnes, la formule qui a pris le nom d' « unité pour sortants » (UPS) a été étendue en 1996 (3). Pendant quatre semaines, un groupe de détenus bientôt libérables travaillent ensemble et séparément les divers aspects de leur réinsertion : santé, aspects juridiques, travail, relations familiales. Néanmoins, il est encore trop tôt pour tirer le bilan de cette expérience.

Faire face à de nouveaux enjeux

Enclave de santé en milieu pénitentiaire, voire « espace de liberté en prison » selon la définition d'un professionnel, les antennes-toxicomanie sont confrontées aujourd'hui à de nouveaux enjeux. Elles doivent ajuster leur travail aux évolutions de la toxicomanie et de ses pratiques. L'arrivée des traitements de substitution (méthadone, Subutex) a, bien sûr, provoqué des débats au sein des antennes comme elle l'a fait chez les autres intervenants de la lutte contre la toxicomanie. La question centrale de la complémentarité entre traitement de substitution et prise en charge des toxicomanes demeure en effet posée.

L'émergence de nouvelles formes de consommation de produits - la polytoxicomanie - est l'autre fait majeur auquel doivent faire face les antennes. « Depuis 1993, on note une diminution de l'héroïne et une augmentation des produits : cocaïne, alcool et autres, médicaments surtout », analyse Françoise Facy. Le profil des toxicomanes change. « L'héroïnomane est en voie de disparition. Et nous avons affaire de moins en moins à des toxicomanes au sens strict mais de plus en plus à des usagers de drogues », remarque, de son côté, Jacques Michel, psychologue à l'antenne de Nantes.

L'augmentation du nombre de jeunes qui mélangent les produits, a-structurés, en grande précarité sociale, violents vis-à-vis des autres et d'eux-mêmes, bouscule également l'image traditionnelle du toxicomane. De fait, les frontières sont de plus en plus floues. Face au développement de la précarité, les antennes doivent répondre à la fois à la problématique du soin et à celle de l'insertion. « Nous faisons de plus en plus de social », constate un professionnel. « Nous avons effectivement affaire à un public qui change. Pour avoir accès à sa souffrance, notre travail est aujourd'hui plus complexe », renchérit Emmanuelle Petiet. Poste d'observation privilégié, les antennes doivent encore continuer à s'adapter...

Bernadette Sauvaget

MUSTAPHA AOUN : « S'ATTACHER À LA PERSONNE ET NON AU PRODUIT »

Renforcement des moyens et de l'efficacité du dispositif de lutte contre la toxicomanie en prison et développement des alternatives à l'incarcération, telles sont les orientations générales de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie  (MILDT), rappelées, le 29 janvier dernier, lors de la journée nationale des antennes-toxicomanie (4). La lutte contre l'alcool en prison devient également un axe prioritaire. « Nous souscrivons tout à fait au développement des alternatives à l'incarcération », déclare Mustapha Aoun, président de l'Association des professionnels des antennes-toxicomanie. Il émet toutefois des réserves quant à une approche conjointe alcoolisme et toxicomanie. « Dans cette approche, on prend le problème par le produit. Nous, nous considérons que ce n'est pas le produit qui fonde une toxicomanie. Nous ne nous attachons pas au produit, mais à la personne et à son usage des drogues. Il n'y a pas grand-chose de commun entre un homme, père de famille et qui dispose d'un travail, emprisonné pour avoir provoqué un accident de voiture sous l'emprise de l'alcool et un jeune de banlieue mélangeant alcool et médicaments. Ils abusent tous les deux de l'alcool, mais ils ne sont pas confrontés aux mêmes difficultés », explique Mustapha Aoun.

Notes

(1)  L'association a organisé une journée de rencontre nationale le 29 janvier dernier sur le thème « Du noviciat à l'expérience : les apports des professionnels dans la prise en charge des détenus toxicomanes »  - APAT : 12, quai Perrache - 69272 Lyon cedex 02 - Tél. 04 78 37 58 91.

(2)  Lire Toxicomanes incarcérés, étude épidémiologique auprès des antennes 1992-1995 - Sous la direction de Françoise Facy - Ed. EDK : 10, rue du Champ-Fleury - 92310 Sèvres - Tél. 01 45 07 27 49.

(3)  Voir ASH n° 1995 du 1-11-96.

(4)  Et qui avaient été précisées dans un rapport d'étape remis au Premier ministre - Voir ASH n° 2102 du 15-01-99.

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