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A quoi servent les CASU ?

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Ni nouvelle aide aux chômeurs, ni mise en commun des fonds, les commissions départementales de l'action sociale d'urgence sont des dispositifs institutionnels de coordination. Mis en place parfois dans la précipitation et la confusion, ils représentent néanmoins pour certains l'espoir d'une meilleure cohérence dans l'attribution des aides.

« Le déblocage de fonds supplémentaires destinés aux commissions départementales de l'action sociale d'urgence pourrait être envisagé et la quasi-totalité d'entre elles fonctionnent », assurait-on au cabinet de Martine Aubry au début du mois de décembre 1998, alors que les chômeurs relançaient leur mouvement en occupant les antennes Assedic, réclamant entre autres une prime de fin d'année (1). L'affaire semblait entendue : certes « le milliard » du Fonds d'urgence sociale (FUS) n'était pas renouvelé, mais les commissions départementales de l'action sociale d'urgence (CASU), prévues par l'article 154 de la loi du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions, prenaient le relais (2). D'ailleurs, si jusque-là les départements avaient un peu traîné à appliquer la circulaire du 30 juillet 1998, qui met fin aux FUS et les remplace par les CASU (3), le ton au ministère de l'Emploi et de la Solidarité, s'était fait, en cette fin d'année, plus insistant. Lettres et circulaires de rappel invitaient les préfets à installer au plus vite ces commissions. Lesquelles se sont effectivement multipliées au cours des deux derniers mois de l'année. Ainsi, au 1er février 1999, selon la direction de l'action sociale (DAS), 98 commissions étaient mises en place, ce qui ne veut pas toujours dire opérationnelles, puisque, par exemple, 24 d'entre elles n'avaient pas encore signé de convention et avaient donc une existence encore très formelle. Précipitation et effet d'annonce face à la pression des associations de chômeurs ? « Plutôt une réelle et forte volonté politique sur ce dossier », juge le directeur de l'action sociale, Pierre Gauthier, qui rappelle que les CASU faisaient partie, avec les programmes TRACE et « Nouveau départ », des priorités de la ministre.

Un dispositif de coordination institutionnelle

Toujours est-il qu'une certaine confusion s'est installée, un moment de flottement, où certains (et notamment les intéressés) ont pu croire qu'un nouveau fonds était abondé pour accorder des aides d'urgence exceptionnelles et répondre aux centaines de dossiers en attente sur les bureaux des préfets. Rien de tel, en fait. Et la circulaire du 30 juillet est sans ambiguïté : « Il ne s'agit pas de créer une nouvelle allocation d'aide sociale obligatoire », mais bien « de coordonner les dispositifs d'aide et de secours existants ». Sur la base d'une convention signée entre le préfet et le conseil général, la commission doit associer des représentants des services sociaux départementaux, les CCAS, les CAF, les CPAM, et tout autre partenaire concerné (Assedic, associations...). Objectif :harmoniser les méthodes et coordonner les procédures d'attribution des aides déjà existantes (aides sociales facultatives, FSL, Fonds d'aide à l'énergie, Fonds d'aide aux jeunes), notamment par l'élaboration d'un imprimé unique de demande et par la mise en place de la polyvalence des guichets. Alors réponse en trompe l'œil ? Institutionnalisation de l'urgence ? Enième instance de coordination qui restera une coquille vide ? « Les CASU sont une réponse technique à un problème que nous rencontrons depuis toujours : celui de la coordination des aides. C'est un dispositif d'organisation et non de gestion. Et pour la première fois une opération nationale est menée en ce domaine », répond Pierre Gauthier, qui tient à rappeler « que ces commissions ne sont pas une fin soi mais bien l'un des outils de la loi du 29 juillet. » Il n'est d'ailleurs pas le seul à y voir, au-delà de l'urgence, l'occasion d'un meilleur partenariat et d'un service plus efficace pour les personnes en difficulté.

Certes loin d'une réponse miracle, les CASU sont a priori « une bonne chose, une opportunité à saisir » si, effectivement, elles permettent « d'éviter le parcours du combattant de l'usager », renvoyé de guichet en guichet, estime Jean-Yves Le Person, secrétaire général de l'Association nationale des cadres communaux de l'action sociale (ANCCAS)   (4). Un avis partagé par Agnès El Majeri, en charge de la question de l'urgence à la FNARS (5)  : « Si en aucun cas les CASU ne règlent le problème structurel du manque de revenus, la mise en cohérence des critères d'attribution des aides qu'elles doivent élaborer est nécessaire. » Pour elle, les CASU peuvent également être l'occasion, en faisant remonter les dossiers complexes et intraitables par une seule institution, de révéler les dysfonctionnements, les points de blocage. Enfin, un des objectifs de la coordination instaurée par le dispositif est également de lutter contre les phénomènes de ruptures de droits, mis en évidence par le bilan du FUS (6), et de veiller à ce que les personnes qui demandent une aide d'urgence aient bien pu faire valoir tous les droits et aides auxquels elles peuvent prétendre. Ces missions exigent le dépassement des prés carrés institutionnels et le temps de la réflexion sur des procédures communes respectueuses des cultures de chacun.

S'il est encore trop tôt pour évaluer sur le terrain les effets positifs attendus d'une telle harmonisation, la plupart des CASU fonctionnant depuis peu, on sait que 56 départements utilisent déjà un imprimé unique et que 45 ont commencé à mettre en place un réseau de guichets polyvalents, 40 faisant état des deux. Ce qui frappe pour l'instant, c'est la grande diversité qui prévaut dans la mise en œuvre de ces commissions, tant au niveau de leur composition que des missions qu'elles s'assignent. A cet égard, le dernier bilan de la DAS confirme les résultats plus partiels d'une enquête menée par l'ANCCAS à la fin de l'année 1998 sur une cinquantaine de départements. Ainsi, autour de l'Etat et du département on retrouve généralement la CAF, la CPAM, les CCAS des villes principales, mais les associations caritatives ne sont pas présentes partout : absentes de la CASU de la Loire-Atlantique, la Croix-Rouge, les Secours populaire et catholique participent au dispositif dans la Charente par exemple. La MSA, EDF, certaines banques sont parfois partie prenante. Difficile en revanche d'associer les CCAS des petites communes rurales. Enfin, « le problème de composition le plus repéré », constate-t-on à la DAS, concerne les antennes Assedic. Souvent réticentes, il semble, explique Pierre Gauthier, « qu'elles craignent d'être entraînées sur des actions dont elles n'ont pas les moyens ». Quant aux associations de chômeurs, ce sont les grandes absentes, souligne le vice-président de l'ANCCAS, Bertrand Offe.

Des configurations multiples

Plus surprenantes sont les différences de contenu de ces instances d'un département à l'autre. Depuis les CASU (plutôt institutionnelles) dont le rôle se limite à la coordination générale et au suivi des dispositifs jusqu'à celles, très opérationnelles, qui traitent directement des situations individuelles complexes ou des demandes de révision et d'appel, tous les cas de figure se rencontrent. Certaines, rares, envisagent la mise en commun des fonds, d'autres la déconcentration des procédures d'attribution des aides, d'autres enfin l'harmonisation des pratiques professionnelles. Certaines se concentrent sur les aides d'urgence stricto sensu (énergie, FSL, FAJ), d'autres travaillent sur l'ensemble des aides y compris, comme dans la Loire-Atlantique ou en Eure-et-Loir, sur l'aide sociale à l'enfance. En Maine-et-Loire, explique Geneviève Dalizon, conseillère technique en travail social à la DDASS, la CASU, installée le 18 décembre 1998, « a démarré volontairement avec des missions très larges : coordination des aides financières facultatives au sens large mais également réflexion sur un dispositif coordonné d'hébergement d'urgence pour les familles. En revanche nous ne traitons pas de dossier individuel. » Dans la Charente, la CASU, qui existe depuis le 13 octobre dernier, a au contraire pour tâche principale d'examiner les dossiers individuels complexes, 20 par mois en moyenne, envoyés par les travailleurs sociaux, la CAF ou EDF. Reste peu de temps pour la réflexion sur une meilleure coordination. Le visage particulier que prennent certaines CASU semble donc parfois très loin de l'esprit de la circulaire et tout se passe comme si, finalement, chaque collectivité locale faisait un peu ce qu'elle voulait de cette commission, cherchant souvent à faire entrer ce qui existait déjà dans ce nouveau cadre. « C'est bel et bien un dispositif déconcentré qui doit être adapté au terrain, notre propos n'étant pas d'imposer un modèle unique rigide », affirme Pierre Gauthier. Néanmoins, poursuit-il, « la CASU doit rester un dispositif d'organisation du travail et non de gestion. Elle n'est pas là pour'bouffer du dossier" ni pour se substituer aux compétences des différentes institutions. »

Trop de précipitation ?

Demeure pourtant, parfois, le sentiment que la rapidité et la visibilité (traitement des dossiers, imprimés uniques diffusés) ont été privilégiées au détriment du temps de réflexion sur des procédures et critères communs entre institutions et de l'implication des acteurs de terrain. Didier Dubasque, assistant social de polyvalence dans la Loire-Atlantique, a vu « arriver la CASU » sous la forme d'un imprimé unique. « On ne nous a pas demandé notre avis sur son contenu », regrette-t-il. Il a un peu l'impression que la charrue a été mise avant les bœufs et constate que visiblement les circuits sont mal rodés et les imprimés parfois retournés à l'expéditeur, faute de savoir les traiter. Il s'interroge, en outre, à l'instar de plusieurs de ses collègues, sur la présence d'une question concernant les aides perçues antérieurement par l'usager, ainsi d'ailleurs que sur « les commentaires et avis » qu'il doit donner, hors toute enquête sociale. Il est vrai, explique Françoise Coatmellec, directrice adjointe de la DDASS de Nantes, que « le formulaire unique de demande d'aide a été validé dès la première réunion de la CASU ». Une rapidité qui s'explique, selon elle, par le fait qu'un travail sur ce sujet avait déjà été entamé dans le cadre du FUS et elle reconnaît volontiers qu'il mérite d'être revu éventuellement, en particulier sur le sujet des aides antérieures. D'ailleurs, ajoute-t-elle, « une évaluation est prévue en avril ou mai ». A Chartres (Eure-et-Loir) également, le démarrage s'est fait sur une base très « pragmatique », avec le traitement des 300 dossiers (reliquats du FUS) de manière expérimentale, mais une évaluation a été réalisée fin janvier. Et si les agents des services déconcentrés du ministère, plusieurs fois réunis en séminaires, ont eux-mêmes « regretté la pression des préfets et souhaité pouvoir prendre le temps d'apprendre à travailler ensemble », la DAS insiste sur l'aspect processus : « La convention marque un début, pas une fin. Il faut que cela fonctionne dans la durée. » Et puis, martèle Pierre Gauthier, « il n'est pas interdit d'aller vite sur des sujets qui sont déjà bien repérés. La question du formulaire unique n'est pas une découverte ! ». En outre, précise François Delalande, notamment chargé de ce dossier à la DAS, « quand la CASU succède à un dispositif local qui existait depuis longtemps, il y a une phase transitoire qui ne permet pas de préjuger de la physionomie du dispositif à long terme ».

Pour Bertrand Offe, qui pense que les CASU ont aussi servi à calmer le jeu face aux chômeurs et aux précaires, les commissions peuvent être de bons outils si elles se concentrent sur trois problèmes fondamentaux et qui relèvent bien, selon lui, de l'interinstitutionnel : « La prévention des ruptures de droits et de ressources, les problèmes de gros impayés et celui du droit à l'énergie et à l'eau. » Un moyen, peut-être, de dépasser la réponse d'urgence à l'urgence, mais sans doute pas de régler des situations de pauvreté et de précarité non pas tant conjoncturelles que souvent structurelles, comme le révélait parfaitement le bilan du FUS.

Valérie Larmignat

Notes

(1)  Voir ASH n° 2097 du 11-12-98.

(2)  Voir ASH n° 2084 du 11-09-98.

(3)  Voir ASH n° 2081 du 21-08-98.

(4)  ANCCAS - Secrétariat général : CCAS - 32/34, boulevard Chasles - BP 25 -28001 Chartres - Tél. 02 37 20 25 39.

(5)  FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 45 23 39 09.

(6)  Voir ASH n° 2086 du 25-09-98.

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