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L'ANAR mise sur les placements extérieurs

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Depuis plus de dix ans, une association de Nevers travaille à l'insertion des détenus grâce au dispositif de placements extérieurs. Malgré les difficultés, elle estime que cette alternative à l'incarcération pourrait bénéficier à davantage de condamnés.

« Malgré les difficultés, les placements extérieurs fonctionnent toujours dans notre association parce que c'est dans l'intérêt des détenus », affirme Marie-Josée Strickler, directrice de l'Association nivernaise d'accueil et de réinsertion (ANAR)   (1). Installée dans un pavillon d'un quartier de la ville de Nevers, cette organisation s'est fixée comme principale mission d'aider à l'insertion des anciens détenus et de travailler sur les alternatives à l'incarcération. Sachant qu'elle ne limite pas là son action et qu'elle s'adresse également à d'autres publics en difficulté : exclus, jeunes...

Depuis 1987, l'ANAR dispose d'une convention avec l'administration pénitentiaire pour prendre en charge des détenus en placement extérieur. Si en 1998, elle a en a suivi une quinzaine, elle ne fait pourtant pas le « plein » des possibilités ouvertes par cet accord. Ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. Avec une diminution annuelle régulière du nombre de placements extérieurs prononcés par les juges de l'application des peines, la tendance nationale est d'ailleurs à la baisse. « Beaucoup de gens qui sont en prison n'ont rien à y faire. Il y a certainement un nombre plus important de détenus qui pourraient bénéficier de cette mesure », déplore-t-on au sein de l'association. « Si leur insertion est l'une des missions de l'administration pénitentiaire, il n'est pas toujours facile de discerner ce qui est simplement du discours et la mise en accord concrète sur le terrain », s'agace Marie-Josée Strickler.

La convention signée avec l'administration pénitentiaire fixe à six le nombre des placements extérieurs qu'elle peut réaliser en même temps. Si le plus souvent, les détenus retournent le soir à la prison, à l'ANAR, ils sont hébergés prioritairement dans les 15 petits appartements HLM dont dispose l'association dans le cadre de son CHRS. La maison d'arrêt de Nevers garde toutefois ses prérogatives de surveillance. « Consignés » en quelque sorte dans leurs logements de 20 h à 7 h, les détenus peuvent toujours être contrôlés pendant ce laps de temps.

DES CHIFFRES À LA BAISSE

Alternative à l'incarcération, le placement extérieur est une mesure prise par le juge de l'application des peines. C'est une modalité d'aménagement de peines de prison ferme qui permet aux détenus d'effectuer ou de terminer celles-ci en dehors de la prison. Le dispositif concerne les condamnés dont la peine à subir ou restant à subir n'excède pas un an. Actuellement, la tendance est plutôt à la baisse du nombre de placements extérieurs. En 1997, les juges de l'application des peines ont prononcé 3 268 ordonnances de placements extérieurs contre 3 371 en 1996,3299 en 1995 et 3 477 en 1994. La mesure concerne peu les placements directs. Toujours pour 1997, 390 décisions ont été prises dès l'incarcération et 2 878, en cours d'exécution de peines. Les ordonnances de placements extérieurs sont majoritairement motivées par le travail : 72,6 %en 1997 (69,8 % en 1996 et 74,8 % en 1995). Les contrats de travail aidés en représentent une part non négligeable avec 28,6 %, le plus souvent sous forme de CES (94,3 %). La formation concerne globalement un quart des placements extérieurs. Les établissements pénitentiaires logent, dans la plupart des cas, les détenus placés à l'extérieur : 44,3 % en 1997 contre 42,5 % en 1996  les centres d'hébergement accueillent, en moyenne, un tiers des détenus placés à l'extérieur. En 1997, 426 incidents ont été relevés, soit une hausse de 18 % par rapport à 1996. Près d'un incident sur deux est dû au non-respect des règles disciplinaires. Le plus souvent (69,4 %), ils sont sanctionnés par une révocation de la mesure de placement extérieur. Source : Administration pénitentiaire.

Le « brassage » des publics

Comment se déroule la mesure ? Lorsqu'ils arrivent à l'association, les détenus signent un contrat emploi-solidarité  (CES) dans le cadre de deux chantiers d'insertion, l'un polyvalent centré sur la réfection de bâtiments, l'autre axé sur l'environnement (nettoyage de rivières, travaux forestiers...). Contrat qu' « après leur libération, ils poursuivent souvent chez nous », précise l'éducateur, Christian Bramard. « Les placements extérieurs ont une durée variable, en général de un mois à six-sept mois. Six-sept mois, c'est le maximum. Au-delà, les gens oublient leur statut même si nous le leur rappelons très fréquemment », explique-t-il.

Au quotidien, l'ANAR mise sur le « brassage » entre les divers publics en difficulté avec lesquels elle travaille. « Je ne fais pas de différences entre les taulards et les autres », insiste l'éducateur. « La politique de l'association est la même pour tous : il faut penser à l'avenir », ajoute Olivier Papon, stagiaire, éducateur.

L'objectif majeur des placements extérieurs est la réinsertion des prisonniers. Lorsqu'il s'agit de placements directs, les condamnés, notamment les jeunes, évitent ainsi l'expérience de la prison. Une façon indéniable de diminuer les risques de récidive. Pour les « fins de peine », la mesure constitue un retour progressif vers une vie « normale » dans la société civile. « Le placement extérieur, c'est d'abord l'apprentissage de l'autonomie. En prison, personne ne se prend en charge », affirme Marie-Josée Strickler. Un apprentissage ou un réapprentissage qui se fait d'abord dans la gestion de sa vie quotidienne. A l'ANAR, le « détenu » dispose d'espace et de plages de liberté pour exercer son autonomie. Comme le fait de parcourir seul le kilomètre qui sépare la maison d'arrêt du siège de l'association pour « pointer » tous les lundis matin au lieu de détention...

Autonomie mais aussi responsabilité. « Nous insistons sur le fait qu'en commettant des fautes, qu'en ne respectant pas le règlement et les engagements qu'ils ont pris, les détenus remettent en cause eux-mêmes le système du placement extérieur,  et diminuent les chances que d'autres puissent en bénéficier », souligne Marie-Josée Strickler.

De plus, le placement extérieur permet de commencer à bâtir des projets avant la sortie de prison. « Nous pouvons faire un premier bilan pendant la durée de la mesure », explique Christian Bramard. « Alors que les autres détenus, nous les rencontrons seulement à leur sortie de prison. » Passionné de sport, un jeune, actuellement à l'ANAR, a pu ainsi construire son futur parcours de formation pour devenir moniteur sportif. Un projet qui, sans placement extérieur, aurait été retardé au moins de un an.

Les limites du dispositif

L'intérêt du dispositif des placements extérieurs est avéré. Pourquoi n'y en a-t-il pas une utilisation plus « massive »  ?Les difficultés sont, de fait, de plusieurs ordres. La première concerne le financement. Aujourd'hui, le prix de journée pour un placement extérieur est de 130 F. Néanmoins, « d'autres associations sont encore moins bien loties que nous », modère Marie-Josée Strickler. En réalité, le tarif n'a pas été revu depuis la signature de la convention. Les moyens ont même diminué puisque l'administration pénitentiaire n'assure plus qu'un financement pour cinq jours de la semaine (contre sept jours auparavant), les détenus étant en permission le week-end. Et c'est grâce à son CHRS et à ses chantiers d'insertion que l'association parvient à boucler son budget.

D'autres écueils relèvent davantage de la psychologie. Un placement extérieur, c'est un peu un pari, une prise de risques où les échecs sont, semble-t-il, difficiles à gérer. Car ceux-ci existent, sanctionnés le plus souvent par un retour en prison. A l'ANAR, récemment, deux détenus se sont ainsi battus juste avant le départ pour le travail. « L'échec fragilise tout le système. Du juge à l'association, chacun s'interroge », reconnaît Marie-Josée Strickler.

De plus, n'y a-t-il pas un hiatus et un tiraillement de fond entre une administration, chargée de l'exécution d'une peine, et une association dont l'objectif est l'insertion ? Les relations avec l'administration pénitentiaire, dont dépendent les détenus, sont, de fait, délicates, l'association cherchant à créer un modus vivendi avec celle-ci. « Les travailleurs sociaux sont vite soupçonnés d'une forme de complicité avec les détenus. La suspicion est presque intrinsèque à des institutions qui ont la charge de surveiller des individus », constate-t-on à l'ANAR.

Par ailleurs, l'association a une image très particulière à assumer. Elle a une forte identité « justice » du fait de son travail auprès des sortants de prison et des détenus. Cette image n'est pas toujours facile à gérer auprès des partenaires extérieurs ou même auprès des autres publics en difficulté qu'elle reçoit. Pourtant, affirme sa directrice, les détenus en placement extérieur ont les mêmes difficultés que les autres : difficultés familiales, difficultés scolaires, difficultés d'apprentissages des connaissances, un processus personnel de victimisation du type : « J'ai pas eu de chance »... La différence réside essentiellement dans le regard de l'opinion publique. « Autant elle a évolué par rapport à d'autres publics en difficulté, autant le taulard continue à être mal perçu. Pour l'opinion publique, il est responsable de ce qui lui arrive », déplore Marie-Josée Strickler.

Bernadette Sauvaget

Notes

(1)  ANAR : 36, rue Faidherbe - 58000 Nevers - Tél. 03 86 59 40 59.

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