Problèmes dans l'ouverture, mais aussi dans la continuité des droits, décalage important entre l'accès théorique et le recours effectif aux soins, bilan contrasté des consultations précarité, conditions de vie des publics exclus qui rendent difficile le suivi médical sur le long terme : tels sont les principaux résultats de cet état des lieux portant sur les années 1996-1998, réalisé à l'initiative de la direction des affaires sanitaires et sociales (DASS) de Paris et de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) dans la perspective de la mise en place du schéma départemental d'accès aux soins des plus démunis prévu par la loi contre les exclusions (1). Alors que beaucoup de rapports et d'études ont déjà été publiés sur ce sujet, celui-ci a le mérite de proposer un tour d'horizon très précis des failles du dispositif dans la capitale. Et de confirmer que le droit à la santé reste, pour certaines catégories de personnes, largement hypothétique. D'où l'urgence, maintes fois évoquée par les associations de lutte contre la précarité, de mettre en place la couverture maladie universelle (CMU).
Au 30 juin 1998, la CPAM de Paris comptait 48 922 personnes couvertes au titre de l'assurance personnelle et 80 % d'entre elles (39 129) bénéficiaient d'une prise en charge de leurs cotisations. Si l'instauration du revenu minimum d'insertion et la généralisation de la prise en charge médicale ont entraîné ces dernières années une baisse non négligeable des assurés personnels s'acquittant eux-mêmes de leurs cotisations, des difficultés persistent toutefois quant au maintien des droits dans la durée. La principale étant liée à la réglementation actuelle en matière de cotisations et notamment aux changements de catégories. Ainsi, lorsqu'ils ont moins de 27 ans, les assurés personnels, sont redevables, quelle que soit leur situation, d'une cotisation annuelle forfaitaire de 1 300 F. Mais passé cet âge, ils doivent régler une somme quasiment décuplée puisqu'elle s'élève, pour la période du 1er juillet 1998 au 30 juin 1999, à 12 723 F par an. De fait, dans le cas des personnes prises en charge par les départements ou l'Etat dans le cadre de l'aide médicale, la sortie du dispositif se traduit la plupart du temps pour les assurés par une impossibilité de payer un tel montant. « Il n'y a pas à l'heure actuelle de cotisation assurance personnelle adaptée aux revenus de l'intéressé dans la zone située entre le plafond d'accès à l'aide médicale et le niveau du SMIC », déplore l'étude.
Le retard des Urssaf en matière d'envoi aux bénéficiaires des attestations de versement de cotisations constitue une autre difficulté. De même, l'article 741 du code de la sécurité sociale, qui fixe les cas de radiation du régime de l'assurance personnelle sans toutefois prévoir de radiation en cas de non-paiement, rend bon nombre de situations difficiles à démêler. Autre point réglementaire délicat : le fait que l'on continue à exiger les cotisations d'un bénéficiaire étranger qui n'a pas obtenu le renouvellement de son titre de séjour, alors même que sa situation irrégulière lui interdit en théorie de relever du régime de l'assurance personnelle...
La non-affiliation au régime de sécurité sociale se traduit également par une forte pénalisation en matière d'accès à l'aide médicale : les deux tiers des demandes reçues et étudiées par la CPAM font l'objet d'une décision de rejet. Contre seulement 15 % d'entre elles pour les personnes affiliées. Parmi les motifs les plus fréquemment invoqués : le fait que la personne n'ait pas fait élection de domicile, son impossibilité à prouver l'insuffisance de ses ressources ou son identité, l'absence de signature ou d'attestation de domicile récente.
Au-delà de ces difficultés, le rapport pointe le décalage « important et persistant » entre l'accès aux droits théorique et l'exercice réel de ces droits. Dans la pratique, la réglementation, les procédures et le mode de fonctionnement de certaines structures d'accueil sont tels que l'accès aux soins se révèle souvent illusoire (voir encadré au verso).
Si l'entrée en vigueur de la CMU - fixée dans l'avant-projet de loi actuel au 1er janvier 2000 - devrait remédier à bon nombre de ces difficultés, les auteurs du rapport ont également pris le temps de formuler différentes améliorations possibles. Ils suggèrent notamment de privilégier le rôle de « référent » des travailleurs sociaux et d'organiser des réunions périodiques entre les agents de la CPAM assurant les permanences d'accueil dans les différentes structures sociales ou sanitaires. Le tout afin de faire régulièrement le point sur la réglementation, les situations sociales rencontrées et leur évolution ainsi que les solutions pratiques susceptibles d'être mises en place.
Dispositif, entièrement gratuit, d'accès aux soins pour toute personne sans couverture sociale, les consultations précarité font l'objet d'un bilan contrasté. Ces structures sont bien connues du public concerné, les soins sont pratiqués sans différenciation (à l'exception de quelques sites où les médicaments destinés aux personnes sans couverture sociale font l'objet d'une liste limitative, essentiellement pour des raisons d'ordre budgétaire) et l'équipe de travailleurs sociaux, présente à proximité du lieu des consultations médicales, permet une approche globale de problématiques individuelles souvent intriquées.
Ces points positifs ne sauraient néanmoins masquer que la fermeture des consultations pendant la période estivale ainsi que la rotation des médecins - souvent vacataires - rendent difficile le suivi par un même praticien. Sans compter que l'accès total et permanent aux droits reste limité, que les parcours chaotiques entraînent de trop nombreuses ruptures de droits et que les démarches entreprises pour les récupérer ou en ouvrir de nouveaux se révèlent souvent longues et difficiles : trois mois pour une ouverture de droits à l'aide médicale, six mois pour une immatriculation par la CPAM. Et sur l'ensemble des dossiers instruits, de 70 % à 80 % seulement permettent une ouverture de droits.
Appelées à devenir, dans le cadre de la loi contre les exclusions, des permanences d'accès aux soins de santé (PASS) (2), à s'inscrire dans un réseau santé-social et à développer un partenariat avec les structures extérieures, les consultations de précarité vont, de fait, être amenées à évoluer. Pour faciliter cette transition, les auteurs listent là aussi un certain nombre de pistes telles que l'instauration d'un cadre organisationnel commun aux établissements, la définition d'un « site type » dans l'hôpital, la mise en place de modalités de travail avec l'extérieur, etc.
Au-delà des failles du dispositif, le rapport s'attarde aussi sur les conditions de vie difficiles des publics de la rue qui ne facilitent guère le suivi médical. De l'hypertension aux hépatites, en passant par le diabète, l'insuffisance rénale ou les affections nécessitant une rééducation ou des pansements quotidiens, la prise en charge des maladies chroniques pose en effet des problèmes importants de dépistage mais aussi de mise en place d'un traitement régulier.
L'alcoolisme des personnes en situation de grande exclusion s'avère d'autant plus difficile à traiter qu'il représente parfois, pour elles, « la seule forme de survie ». Par ailleurs, les populations très défavorisées n'acceptant pas facilement les hospitalisations, les auteurs insistent sur le besoin de développer « des lieux de sevrage, sinon spécifiques, du moins particulièrement préparés à recevoir cette population ». Ils jugent aussi « indispensable », à l'issue du sevrage, « d'éloigner temporairement les patients des sollicitations de la rue en leur offrant un temps et un espace de repos ». Plus touchées par la tuberculose que les autres, les personnes en situation de précarité ont également tendance à développer, face à cette maladie, des multirésistances liées à la difficulté de suivre un traitement complexe pendant plusieurs mois. De plus, si les signes d'alerte cliniques sont assez facilement repérables par les professionnels sanitaires de proximité, le diagnostic est souvent compliqué par le fait qu'il doit impérativement faire l'objet d'examens biologiques ou radiologiques. D'où la nécessité d'envisager des équipes mobiles pouvant accompagner les personnes auprès de structures spécialisées, de préparer au mieux leur hospitalisation et de prévoir à la sortie un temps de repos dans des lits d'hébergement médicalisés.
Enfin, les problèmes d'ordre psychiatrique, fréquents chez ces personnes, sont encore accentués car, d'une part, cette population n'a généralement pas de demande et, d'autre part, le traitement ambulatoire est rendu presque impossible. Des handicaps qui supposent à la fois une mobilisation plus importante du secteur psychiatrique et la poursuite des actions déjà mises en place pour mieux prendre en compte cette souffrance psychique.
Nathalie Mlekuz
30 % des allocataires parisiens du RMI estiment ne pas être en bonne santé. 84 % d'entre eux bénéficient d'une couverture de base par la sécurité sociale. Mais 66 % n'ont jamais fréquenté un centre de santé par manque d'information, de confiance ou par crainte d'y être mal soignés. C'est ce que révèle une étude réalisée en 1997, à la demande de la direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé (jointe en annexe au rapport), auprès d'un échantillon de 409 personnes. Pathologies chroniques, forte anxiété, mais aussi mauvais état dentaire et visuel : tels sont les principaux maux dont souffrent les allocataires du RMI. 62 % disent avoir besoin de soins dentaires, 44 % de prothèses dentaires et 34 % de lunettes. L'étude indique aussi que, si 100 % des pharmaciens et 98 % des laboratoires adhèrent au dispositif médical permettant aux titulaires de la carte Paris Santé de bénéficier d'une couverture complémentaire, seuls 55 %des auxiliaires médicaux, 41 % des médecins généralistes et spécialisés et 31 % des chirurgiens dentistes y participent. D'où un recours effectif aux soins inéluctablement limité. Une situation encore accentuée par le fait qu'à peine la moitié des allocataires parisiens du RMI relevant de l'aide médicale départementale est titulaire de cette carte. Si 82 % des personnes interviewées dans le cadre de l'échantillon connaissent son existence, sa détention est loin d'être aussi généralisée. Ainsi plus d'un allocataire sur cinq assure la connaître mais ne pas la posséder. Et parmi eux, 31 % déclarent être découragés par les démarches à effectuer. Une situation d'autant plus dommageable que 70 % des allocataires jugeant leur état de santé médiocre ne possèdent pourtant pas cette carte. Au total : 45 % des allocataires, avec ou sans carte santé, affirment renoncer aux soins depuis qu'ils sont entrés dans le dispositif.
(1) Mission accès aux soins santé et précarité à Paris - DASS et CPAM de Paris - Décembre 1998 - Disponible à la CPAM de Paris : 21, rue Georges-Auric - 75948 Paris cedex 19 - Tél. 01 53 38 71 75.
(2) Voir ASH n° 2087 du 2-10-98 et n° 2105 du 5-02-99.