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« FAUT-IL CRAINDRE UNE RECENTRALISATION ? »

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Cette interrogation, relayée par de nombreux élus locaux et départementaux, a le mérite de relancer le débat sur « un sujet fondamental », souligne Gilles Dosière. Celui-ci apporte sa contribution en suggérant des pistes pour garantir l'égalité des droits des usagers.

« Rapprocher les élus et les usagers, voilà l'un des grands et nobles principes qui ont présidé à la décentralisation, réforme nécessaire, et sans doute inachevée.[...] La réforme de 1983 a effectivement abouti à une implication très positive de nombreux élus départementaux, notamment les membres des commissions sociales, dans des dossiers pourtant marqués par leur aspect technique et leur complexité. Du point de vue des services chargés de l'action sociale, le constat sur la situation actuelle est cependant plutôt mitigé, comme le confirme d'ailleurs la récente enquête réalisée par la CFDT Interco, dont les ASH se sont fait l'écho (1). [...]

L'historique de la réforme

« L'enthousiasme du début fut partagé par les syndicats professionnels, séduits par les principes de la réforme, et les garanties statutaires annoncées, ainsi que les cadres administratifs, souvent issus des DDASS, dynamisés par de nouvelles perspectives de carrière. Ces derniers s'apercevront cependant que, si l'organisation des départements repose sur des services encore confiés à cette époque à ces responsables ayant une certaine technicité, ils sont avant tout placés sous la houlette des directeurs généraux, souvent doublés des directeurs de cabinet, chargés de préserver l'autorité du président du conseil général, chef de l'exécutif et seul maître à bord. »

« Aussi, lorsqu'est apparue, dès les années 1988-1990, la nécessité d'accroître la rigueur budgétaire compte tenu de l'alourdissement des dépenses d'aide sociale, un resserrement s'est opéré, se traduisant plus ou moins, selon les départements, par une tendance à une centralisation vers la direction générale de toutes les décisions stratégiques en matière sociale [...] et à un recentrage des moyens logistiques à ce même niveau hiérarchique, ce qui a pour conséquence de réduire les marges dont disposaient jusqu'alors les services de proximité. Ceux-ci, il est vrai, avaient cependant bénéficié d'un effort d'équipement compte tenu de la vétusté dans laquelle la plupart d'entre eux se trouvaient lors du transfert aux conseils généraux. »

« Dans le même sens, on a observé une tendance à une réimplantation des services sociaux dans des locaux exclusivement réservés au département, avec, dans la même logique, une accélération des “déconventionnements” vis-à-vis des organismes sociaux (la CAF ou la MSA , jusqu'alors associées à l'exercice de la polyvalence de secteur dans certains départements). Ce mouvement a souvent abouti à une séparation géographique entre les services du département et les autres services médico-sociaux (sectorisation psychiatrique, services de santé scolaire), et ce malgré la collaboration étroite qui s'était souvent instaurée entre eux, au bénéfice des usagers. »

« Pour autant, ce processus ne semble avoir eu pour effet, ni de limiter les doublons et les interventions parallèles, ni d'améliorer les prestations à destination des usagers, car il s'est accompagné : d'un repliement, au nom du principe “qui paie décide”, sur les principales compétences dévolues aux départements, souvent au détriment des aides facultatives et d'un véritable partenariat, ce qui a sans doute contribué au développement d'un secteur concurrentiel, notamment celui des services sociaux communaux  parfois même, d'une tendance à faire prévaloir une interprétation restrictive des textes fondateurs de notre système de protection sociale et médico-sociale, voire une réticence à développer les nouveaux dispositifs (RMI, Fonds d'aide aux jeunes, FSL), dispositifs soumis, il est vrai, au principe malcommode de la cogestion. Cette réticence vient de prendre, comme chacun le sait, une nouvelle dimension dans certains endroits, dans la manière dont s'est mise en place la prestation spécifique dépendance à domicile, cette situation aggravant les disparités entre les départements. »

« Toujours dans ce contexte de restriction budgétaire, et après l'élaboration des schémas départementaux quelquefois résumés à un inventaire des textes et des structures existantes, est apparue l'ère des “grands projets d'organisation territoriale”, dans les années 1990-1995. Cette préoccupation avait pour origine le souci légitime de rendre l'organisation des services techniques sociaux et médico-sociaux, plus lisible pour les élus, mais aussi vis-à-vis d'un public souvent perdu dans cette complexité. A cet égard, le choix des sigles attribués aux services départementaux (DAS, DASD, DISS, DSD, DPASS, DVS...) n'a pas contribué à les identifier, et à les différencier des services de l'Etat. »

« Réflexion utile donc, mais force est de constater qu'elle a parfois débouché sur une organisation plus hiérarchisée. Le type d'organisation mis en place, fondé essentiellement sur la maîtrise, aux plans administratif et budgétaire, de l'activité réalisée à l'échelon local, transcende curieusement les diverses colorations politiques des conseils généraux. Il s'imprègne d'une conception du management inspirée d'un modèle libéral, en vogue dans le domaine de l'entreprise. [...] »

« Mais avant tout, le principal travers de cette approche reste qu'elle est trop peu soucieuse de renforcer l'encadrement technique et le soutien individualisé des travailleurs sociaux, au moment même où ils sont confrontés à la pression d'un public victime de l'aggravation des difficultés socio-économiques. »

Comment se positionnent les acteurs « de terrain »  ?

« Les conséquences du transfert des services sociaux vers les conseils généraux n'ont pas été réellement perçues avant quelques années, le temps pour les nouveaux dirigeants d'engager la ou les réorganisations des services. Cette “départementalisation” de la plupart des travailleurs sociaux a pourtant eu un effet immédiat, celui de les soumettre aux modalités locales de recrutement, de promotion, d'encadrement. S'agissant par exemple des demandes de mutation, la collectivité territoriale d'accueil est souveraine, et une bonne partie des dispositions antérieures favorables ne sont plus appliquées (priorité en cas de rapprochement du conjoint, souplesse entre les divers cadres et statuts d'emploi). »

« Face à la mise en œuvre de réorganisations successives, bon nombre de travailleurs sociaux semblent lassés par tant de projets, d'audits (souvent coûteux), et s'être accommodés d'une gestion au quotidien, se laissant, non sans courage, absorber dans la spirale de l'incessante demande sociale. Pragmatiques, ajustant leurs réponses aux moyens dont ils disposent, ils n'attendent plus grand-chose de leur “haute hiérarchie”, qu'ils estiment trop éloignée de la réalité de terrain, car isolée par les échelons intermédiaires. D'autres se sont organisés en groupes de pression, obtenant parfois des compensations : postes supplémentaires, création de nouveaux services spécialisés, voire une amélioration de leur régime indemnitaire. D'autres encore, peut être moins nombreux, ne cessent de rappeler à leur hiérarchie les obligations de moyens, sinon de résultats, qui sont liées aux missions dont les départements sont, non pas propriétaires, mais simplement dépositaires. »

« Dans cet esprit, il semble que la forte demande de formations d'ordre juridique, et pas seulement en ce qui concerne l'approche du droit constitutionnel, exprimée depuis quelques années par de nombreux intervenants (assistants socio-éducatifs, intervenants médico-sociaux, psychologues...) procède d'une volonté d'un repositionnement institutionnel, autour des grandes valeurs fondatrices de notre système de protection sociale et de l'éthique professionnelle. Ceci est plutôt encourageant. »

« S'il est un domaine dans lequel ce ressourcement est particulièrement nécessaire, c'est bien celui de la protection de l'enfance et de la famille. La situation de l'aide sociale à l'enfance dans certains départements semble en effet préoccupante au regard des obligations fixées par le code de la famille et de l'aide sociale :diminution des prises en charge de jeunes majeurs, des postes d'éducateurs de rue (éducation spécialisée), dotation insuffisante des moyens nécessaires au suivi du placement familial, implication faible en matière d'adoption tardive, de parrainage, ou encore insuffisances dans le recueil des données qualitatives en matière de maltraitance familiale. Cette attitude peut même aboutir au refus d'abonder les crédits d'allocations mensuelles à hauteur des besoins, ou encore le fonds d'aide aux jeunes. [...] »

Trois pistes d'action

« Bien entendu, à l'heure de la mise en œuvre des dispositions de la loi de lutte contre les exclusions, ce n'est pas par une recentralisation intempestive que la situation sera améliorée. Une réflexion d'ensemble paraît néanmoins s'imposer et trois pistes peuvent être suggérées : »

  « Reprendre le chantier délaissé de la répartition des compétences, en permettant notamment d'optimiser les moyens sociaux, médico-sociaux, éducatifs, actuellement éclatés entre les trois niveaux constitués par la commune, et surtout le département et l'Etat (inspection académique, DDASS, PJJ), voire l'assurance maladie (secteur psychiatrique...)   une réforme paraît incontournable [...]. Le contexte paraît favorable, car, de son côté, l'Etat s'engage actuellement dans une réforme structurelle d'envergure. A titre d'exemple, et sans forcément reconstituer le service unifié de l'enfance (qui avait à peine commencé d'émerger au moment de l'éclatement des DDASS), il serait opportun de mettre en œuvre une organisation transversale en matière de protection de l'enfance.

  « Redonner corps à notre conception française du service public [...]. Ce principe s'applique pour tout usager, qu'il soit ou non domicilié dans le département, et qu'il relève, a priori, de tel ou tel dispositif, de tel ou tel champ de compétence. Sur ce point, la mise en place des commissions des aides sociales d'urgence (CASU) constitue une avancée, même si elle demeure formelle.

  « Instaurer des garanties quant à l'effectivité de la réalisation des missions qui ont été dévolues aux collectivités territoriales, en termes d'obligation minimale d'affectation des moyens. Une évaluation contradictoire, au moins annuelle, serait nécessaire, et l'on ne peut que regretter l'absence de mécanismes de régulation. Sans pour autant alourdir encore les procédures existantes, notamment en matière de comptabilité publique, il est urgent d'instaurer des garanties dans les domaines d'activité qui ont été décentralisés, et ce au-delà du simple contrôle de la légalité. [...] Une telle réforme est sans doute difficile à concevoir, car elle risque d'être perçue comme un droit d'ingérence de l'Etat dans les affaires internes des départements. Il faudra pourtant bien trouver le moyen de garantir l'égalité des droits entre les usagers, quel que soit leur lieu de résidence.

« En tout état de cause, le consensus apparent sur la décentralisation, et l'absence de vocations pour un réel débat dans les milieux professionnels comme dans la plupart des médias, y compris lors des élections cantonales, ne doivent pas masquer la nécessité d'une information en toute transparence quant aux modalités, au coût et aux conséquences d'une telle réforme pour le citoyen. Celui-ci, au-delà des “affaires”, est en droit d'exiger de connaître les enjeux en matière d'organisation des services publics, car il en constitue précisément la finalité première. »

Gilles Dosière Cadre supérieur des affaires sanitaires et sociales dans une DDASS, s'exprimant à titre personnel 10, square Léo-Delibes - 49000 Angers -Tél. 02 41 79 08 36.

Notes

(1)  Voir ASH n°  2089 du 16-10-98.

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