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Françoise Dolto, un héritage toujours vert

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Très connue - sans avoir été toujours bien lue -, Françoise Dolto a développé une théorie et une clinique novatrices, notamment en ce qui concerne l'accueil des tout-petits. Aujourd'hui, des centaines de lieux s'inspirent de la pensée de la psychanalyste décédée en 1988, dont les Maisons vertes constituent un des plus beaux fleurons.

Des canapés, des livres, des jouets et du temps. Un espace de loisir, de détente et de rencontres, où les tout-petits, de 0 à 3 ans inclus, accompagnés de leur (s) parent (s) ou de la personne qui les garde habituellement, sont accueillis, chaque après-midi, par une équipe (mixte) différente de deux ou trois personnes - dont au moins un psychanalyste. Un endroit où venir et revenir autant qu'on le veut, sans rendez-vous ni inscription préalable, moyennant une participation financière laissée à l'appréciation de chacun. Un lieu également, où il n'y a pas à justifier de son identité ni d'aucune demande précise : la Maison verte, créée à Paris par Françoise Dolto en janvier 1979, reste un dispositif social aussi inclassable qu'innovant. Et qui, dix ans après la mort de la psychanalyste, continue son bonhomme de chemin. Mieux : l'idée a fait des petits. Ainsi en France, quelque 200 structures se réclament des principes de fonctionnement imaginés par Françoise Dolto. Et à travers le monde, de la Russie aux Etats-Unis, en passant par l'Argentine, l'Arménie, la Belgique, le Brésil, le Canada, l'Espagne, Israël, l'Italie, la Pologne et la Suisse, une vingtaine d'autres lieux ont également fleuri.

Bien sûr, il n'existe pas deux Maisons vertes semblables, comme il n'y a d'ailleurs pas non plus deux jours pareils à la Maison verte de Paris. De toute façon, ce qui compte, insistent les promoteurs de différentes maisons, c'est le projet qui sous-tend ce type d'accueil, et non pas le fait de s'inscrire dans une filiation. C'est néanmoins d'héritage dont il était récemment question à Paris (1). Un héritage foisonnant et vivant, comme en témoignait la présence des centaines de participants réunis à l'initiative de l'association Archives et documentation Françoise-Dolto. Même si les séances plénières tenaient un peu de la grand-messe, il n'était pas question pour autant, selon Catherine Dolto-Tolitch, présidente de l'association, d'ériger un mausolée à celle qui, dès l'âge de 8 ans, déclarait vouloir devenir « médecin d'éducation ». Notre ambition, précise la fille de Françoise Dolto, est de « comprendre ce qui porte fruit, dix ans après sa mort, et tenter de comprendre pourquoi. [...] Se donner le recul nécessaire en termes de temps et de liberté de penser, maintenant que les effets de deuil et de rivalités interpersonnelles s'estompent. Entendre ceux qui travaillent avec ses concepts, sans l'avoir jamais rencontrée. »

Dans cette tentative d'évaluation du legs de Françoise Dolto, les idées de la psychanalyste relatives à la prévention des troubles relationnels de la petite enfance et à la socialisation précoce des tout-petits, font, à considérer la multiplication des structures qui les invoquent, la preuve qu'elles résistent au temps. Et la fonction sociale des Maisons vertes - dont le développement a longtemps été soutenu par la Fondation de France (2)  - se voit aujourd'hui reconnue par les institutions. Considérant que l'expérience initiée par la psychanalyste constitue une opportunité susceptible de valoriser les compétences des parents et de consolider les liens familiaux, les caisses d'allocations familliales proposent ainsi, depuis 1998, un financement spécifique aux Maisons vertes.

Des lieux de socialisation

Entre famille et société, les structures Dolto constituent, de fait, des sas d'acclimatation des tout-petits à la vie sociale et aux épreuves qu'elle induit, à commencer par celle de la séparation. Les lieux inspirés de la Maison verte ne se définissent pas pour autant comme des centres de dépistage précoce, même si c'est justement en constatant qu'on les consulte souvent bien tardivement que Françoise Dolto et ses amis psychanalystes ont trouvé judicieux de pouvoir accueillir les femmes enceintes et leurs compagnons, les tout-petits et leurs parents. Il ne s'agit évidemment pas non plus de haltes-garderies, puisqu'il n'est pas question d'y laisser son enfant seul. « Mais alors, vous ne faites rien ! », s'étaient exclamés, interloqués, quelques curieux à l'ouverture de la Maison verte, place Saint-Charles, dans le XVe arrondissement de Paris (3). C'est ce « rien » que s'efforcent aujourd'hui de mettre en perspective les animateurs des structures Dolto.

Pour qu'un tel dispositif « prenne », souligne Laura Prémat, accueillante à la Maison verte, « il faut le cadre, mais aussi un au-delà du cadre », ces élaborations conceptuelles, tirées de son expérience clinique par Françoise Dolto, qui viennent, en filigrane, organiser le travail dans ce type de lieu. Parmi les intuitions de la psychanalyste, mises en œuvre à la Maison verte, il y a tout d'abord, précise Laura Prémat, la reconnaissance, chez l'humain, dès sa naissance, d'un être de parole, enraciné dans une identité filiale et sexuelle. « L'enfant parle aux parents, les parents parlent l'enfant », et c'est avec eux, dans la sécurité de leur présence, qu'on doit accueillir et entendre le tout-petit. Ainsi pourra-t-il prendre le risque d'aller vers les autres. Dans les structures Maison verte, commente Claude Schauder, cofondateur en 1986 de la Maisonnée à Strasbourg, on ne considère pas la socialisation du tout-petit comme quelque chose qui va de soi, une fois le congé maternité terminé. « L'enfant, ajoute le psychanalyste, n'y est pas reçu comme un chien qu'il s'agit de conditionner, à l'instar de ce qui se passe dans certaines crèches et écoles maternelles, où l'on continue à dresser les enfants, en conseillant aux mères surtout de se sauver, sans être vues, pendant que leur enfant pleure. »

Cette socialisation se réalisant dans un groupe, mais en compagnie des parents, grâce à qui l'enfant sait qui il est, fait de la rupture une expérience structurante et non pas traumatisante. Mais dans les Maisons vertes, l'entrée dans le jeu social s'effectue également en présence d'un psychanalyste, ce qui en fait l'originalité. « Il fallait bien le culot de Françoise Dolto pour faire sortir la psychanalyse de ses cabinets et tenter ce travail d'écoute de la parole d'un sujet - qui demande beaucoup de rigueur - au milieu des jeux et des bavardages, des rires et des conflits ! », estime Marie-José d'Orazio, accueillante au Jardin couvert, à Lyon.

« Un tel lieu, différent à la fois du lieu social banal et du lieu classique de l'analyse, représente cet espace relationnel premier auquel la psychanalyse ne peut que se référer », précise Anne-Marie Canu, de la Maison verte. Sa fréquentation par « l'infans » accueilli en première personne - et où on entendra sa parole, de quelque manière qu'elle s'exprime -, s'inscrit dans un temps bien précis :de la conception à 3 ans révolus. Or cette période est précisément celle que, plus tard, l'analyse essaiera de remonter, jusqu'à l'endroit où, à une étape de son devenir, quelque chose chez le petit d'homme s'est bloqué. D'où l'opportunité d'une écoute légère, mais informée par l'expérience, pour interpréter à temps les petites (ou plus grosses) difficultés que rencontrent les enfants. Et aider ainsi les parents, projetés dans ce moment archaïque de leur existence par la venue de leur bébé, à mettre à jour ce qui peut-être n'est toujours pas réglé pour l'enfant qu'ils ont été. Epatés par certains dénouements parfois fulgurants, quelques-uns d'entre eux n'hésitent d'ailleurs pas à évoquer la magie. Il n'y a pourtant aucun miracle là-dedans, si ce n'est l'émerveillement, toujours renouvelé, de voir comment un tout-petit, passionnément intéressé par ce qui lui est dit de son histoire et touché par des mots justes, écoute et répond.

Des utopies pour demain

De tels espaces où se vit et se dit avec les enfants et dans leur langage ce qui sera ensuite enfoui et méconnu se sont implantés en différents points du globe. Avec un bonheur inégal, selon les avatars rencontrés par la psychanalyse dans certains pays. Ainsi en Russie, grâce à la perestroïka - et à des subsides suisses -, l'association Korczak-Dolto a pu ouvrir le Portillon vert à Moscou, dans un local fourni par l'Etat. Mais, trois ans après son inauguration, et bien qu'il ait apparemment fait la preuve de sa viabilité, le Portillon vert ne semble toujours pas avoir d'existence légale :il ne figure sur aucune des listes officielles qui recensent les institutions destinées aux enfants. Il est vrai, explique Olga Medvedeva, présidente de l'association, à l'initiative du projet, que les idées de Dolto sont de purs anti-soviétismes, et restent radicalement étrangères à la culture russe actuelle.

Qu'il s'agisse du respect de la personne et de la personnalité de l'enfant, du rapport à la loi et aux interdits, du parler vrai, ou encore de la règle de l'anonymat social vécue comme particulièrement inquiétante dans un pays où l'on a appris à ne faire foi qu'aux papiers timbrés : indubitablement, l'existence de ce lieu dérange. Plus étonnant, il ne laisse pas aussi de susciter l'opposition des professionnels qui y travaillent : bien qu'intéressés par les conceptions de Dolto, ils sont également nombreux à en stigmatiser le caractère trop « abstraitement humanitaire ». C'est pourtant peut-être cela aussi la force du texte de Dolto : résister à toute déformation liée au contexte et défendre avec succès son droit à être ce qu'il est et rien d'autre- même si, précise Olga Medvedeva, on ne sait toujours pas en Russie ce qu'est la psychanalyse d'enfants. Encore une des « utopies pour demain », léguées par l'avocate de la cause des bébés.

Caroline Helfter

BERNARD THIS : « LE LAIT DE LA TENDRESSE HUMAINE »

Assistant de Françoise Dolto pendant dix ans, le psychanalyste Bernard This fait partie de l'équipe fondatrice de la Maison verte, où il continue, un après-midi par semaine, à accueillir les petits visiteurs et leurs familles. Lui-même, depuis le début des années 60, militait pour transformer les maternités et l'accueil des nouveau-nés. Afin que le bien-être commence au bien-naître. « Françoise, explique-t-il ,c'était l'après. » Un « après » qui n'était pas, alors, franchement au goût des directrices de PMI : « Elles ne voulaient pas voir de psy se pencher sur les berceaux... Pourtant, à l'instar des carabiniers d'Offenbach - qui sont la sécurité des foyers, mais arrivent toujours trop tard -, nous autres, spécialistes de la pathologie mentale, nous nous disions parfois : mais pourquoi consultent-ils si tard ? Ils auraient pu venir beaucoup plus tôt, évitant ainsi toutes ces souffrances. » Convaincu qu'il n'y a pas d'âge pour s'adresser à un vivant, qu'il ait 3 mois, quelques jours, ou qu'il soit encore dans le ventre de sa mère, Bernard This a, dès la création de la maison, plaidé pour un accueil à plusieurs voix : « Dans les lieux de la petite enfance, commente-t-il , on a l'impression que l'enfant est la chose des femmes. A la Maison verte, la présence d'hommes est fondamentale, car elle permet d'introduire, le plus tôt possible, une relation double. Et parce qu'on est plusieurs à assumer le transfert sur le poteau - le pilier central de la Maison verte -, il se passe ici des choses authentiques qui ont valeur analytique. » Lieu de vie et de plaisir social, la Maison verte, ajoute Bernard This, permet de goûter ensemble le lait de la tendresse humaine. « Et la tendresse, c'est ce qui rend fort et solide. »

Notes

(1)  Lors de journées d'études organisées du 14 au 17 janvier à l'Unesco par l'association Archives et documentation Françoise-Dolto : 21, rue Cujas - 75005 Paris - Tél. 01 40 51 72 05.

(2)  A lire « Maisons vertes : dix ans après, quel avenir ? »  - Fondation de France - Cahiers n° 3 - 150 F et Sur les pas de la Maison verte. Des lieux d'accueil pour les enfants et leurs parents, par Gérard Neyrand - Ed. Syros - 150 F.

(3)  La Maison verte est aujourd'hui située 13, rue Meilhac - 75015 Paris - Tél. 01 43 06 02 82.

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