Comment expliquer l'irruption sur la scène publique des mouvements de chômeurs ? A partir d'enquêtes au sein de collectifs et de groupes organisés et de nombreux entretiens, Didier Demazière et Maria-Teresa Pignoni ont cherché à comprendre le sens de cette action collective. Fondée sur une identité négative, tant du point de vue des personnes que de la manière dont elles sont considérées, celle-ci était pourtant « inattendue », sinon « improbable ». Face à la dévalorisation du chômage, vécu comme « une condition par défaut », « une privation », le regroupement des publics concernés suppose, en effet, qu'ils révisent la manière dont ils « considèrent leurs conditions de vie et en évaluent les causes, passant d'attitudes fatalistes et résignées à la désignation d'une injustice », soulignent les deux sociologues. Et ceux-ci examinent les obstacles de cette action collective mais également sa spécificité : car, malgré leur diversité, chacune des organisations de chômeurs s'inscrit dans une « tension indépassable » entre aide quotidienne et action politique, entre services rendus et revendications, entre urgence et long terme. Néanmoins, au-delà de ces tiraillements entre la défense des intérêts des chômeurs et la lutte pour la disparition du chômage, cette mobilisation soulève bien la question du devenir de la société salariale et de son socle fondamental qu'est l'emploi, défendent les auteurs. En s'imposant en tant que groupe dans leur environnement, les personnes exclues de l'emploi restaurent leur dignité. Elles signifient que le chômage n'est pas forcément « la mort sociale » et que l'utilité sociale peut être déconnectée de l'emploi, affirment les sociologues. En ce sens, l'organisation des chômeurs est un projet politique « qui travaille la société en profondeur », soulignent-ils, appelant à une véritable représentation des populations concernées.
Chômeurs : du silence à la révolte - Didier Demazière, Maria-Teresa Pignoni - Ed. Hachette littératures - 110 F.