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A Lorient, une structure innovante d'accueil

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Grâce à une organisation en réseau, articulant le sanitaire et le médico-social, Ker Heol, centre expérimental d'accueil de jour pour jeunes adultes autistes, montre l'intérêt d'un parti pris pluridisciplinaire.

« Avant on ne vivait pas, maintenant on vit », « On a posé nos valises », « C'est une bouée de sauvetage »  : les mères de jeunes adultes autistes qui s'expriment ainsi ont trouvé dans le centre d'accueil de jour Ker Heol, à Lorient, un véritable partenaire les associant à une prise en charge pluridisciplinaire de leurs enfants. « En dix ans, on est passé d'une situation assez désespérante, à un espoir d'abord peut-être un peu fou, puis raisonné, et à une volonté fondatrice », explique Jean-Michel Evanno, qui fait partie du groupe de parents à l'initiative du projet. Celui-ci, à l'évidence, n'allait pas de soi. Et l'ouverture du centre, en septembre 1992, constitue l'aboutissement d'un long cheminement des différents protagonistes amenés à travailler ensemble. Tous ont dû progressivement entrer dans une logique « œcuménique » et dépasser le traditionnel conflit opposant, en matière d'autisme, les tenants du tout-thérapeutique et les partisans du tout-éducatif.

La longue marche vers le partenariat

Tout a commencé en juillet 1987, quand un groupe de parents lorientais d'adolescents autistes sollicite l'Association pour l'insertion professionnelle et sociale des handicapés  (AIPSH)   (1) afin de l'aider à créer un service de jour pour jeunes adultes, dans une démarche plus éducative que psychiatrique. Si cette organisation s'était jusqu'alors consacrée à développer des structures destinées à des personnes atteintes d'un handicap moteur, elle se montre néanmoins rapidement intéressée par ce projet, d'autant que son trésorier cherchait lui-même une solution adaptée pour son petit-fils de 15 ans. Contacté par l'association, le centre hospitalier Charcot de Caudan, spécialisé en psychiatrie, ne s'avère, en revanche, pas très favorable à un tel centre. Et au printemps 1989, il fait une contre-proposition : elle porte sur la création d'une unité fonctionnelle « pour le soin et l'autonomisation des jeunes adultes psychotiques ».

Très différent, sur le fond, de celui élaboré par les parents, ce projet ne recueille pas l'assentiment de l'AIPSH. Et alors que se prépare sous la responsabilité de la DDASS, fin 1989-début 1990, le schéma départemental d'organisation en santé mentale, les deux propositions concurrentes sont présentées au conseil départemental de santé mentale. Celui-ci confie au médecin inspecteur de santé une mission de concertation devant aboutir à la fusion des deux projets. Cependant qu'en parallèle, l'AIPSH poursuit ses multiples démarches et rencontres, notamment avec les professionnels utilisant le programme « Teacch » de traitement et d'éducation des enfants souffrant d'autisme et de troubles associés de la communication. Promue en France par l'association Delta 7, cette méthode pédagogique repose sur l'apprentissage des différentes activités concernant la structuration du temps et de l'espace, tout en recherchant le développement de la personnalité de chacun dans l'environnement où il vit ou dans lequel il sera amené à vivre (2).

Provoquée, en janvier 1991, par Denise Court, vice-présidente du conseil général, mais aussi présidente du conseil d'administration du centre hospitalier Charcot et membre de celui de l'AIPSH, une réunion permet enfin d'aboutir à un consensus quant à l'objectif poursuivi et aux moyens à mettre en œuvre : une structure d'accueil de type hôpital de jour, pour de jeunes adultes autistes  une formule juridique permettant de concilier le désir des familles qui souhaitent une autonomie par rapport à l'hôpital psychiatrique et les règles de sa gestion  (redéploiement)   une représentation des parents par le biais de l'AIPSH, à ce titre interlocuteur direct de l'équipe de prise en charge des jeunes adultes  enfin, la dévolution de la responsabilité médicale et éducative du centre au psychiatre, chef de service à l'hôpital Charcot, qui a participé aux différentes étapes de la réflexion préliminaire.

Signée en décembre 1991, la convention liant l'association représentant les familles et le centre hospitalier définit les modalités pratiques et financières de fonctionnement du centre Ker Heol, dont le caractère expérimental est reconnu par la DDASS et le conseil général.

Une structure hybride

Faisant l'objet d'une rédaction soigneuse, dont le texte est joint à la convention, l'objectif du centre est précisément énoncé : « Aider le jeune ou le jeune adulte accueilli à accéder à un mieux-être dans les secteurs essentiels de la vie quotidienne, lui assurer le meilleur épanouissement possible de sa personnalité, et optimiser la qualité de la relation entre le jeune autiste et son environnement par une stratégie de prise en charge et d'organisation du centre d'accueil à ses besoins. » Communication, autonomie, socialisation et activités (travail, loisirs) sont les priorités fixées. Pour les atteindre, les professionnels s'appuient sur une double approche : la prise en charge éducative se réfère aux principes développés dans et par le programme Teacch  la prise en charge relationnelle (psychothérapeutique) qui, « vécue au jour le jour », doit se faire dans tous les moments d'échanges et de regroupements.

L'accueil est différencié pour chaque jeune sur la base d'un projet individuel et du contrat passé entre les parents et les professionnels de la structure, ouverte - en dehors des vacances scolaires - de 8 h 45 à 16 h 45, quatre jours et demi sur sept. Le reste du temps, les jeunes adultes fréquentant Ker Heol (15 au maximum, de 16 à 35 ans) vivent chez leurs parents ou au centre hospitalier Charcot (mais avec un soutien important de leurs proches). L'implication des familles, considérées comme coéducatrices (ou cothérapeutes) de leurs enfants, est en effet l'un des critères essentiels de sélection des adolescents et adultes - présentant tous un syndrome autistique sévère -, pris en charge au centre à partir de septembre 1992. Ils sont encadrés par un médecin psychiatre, un cadre infirmier et trois infirmiers psychiatriques, une psychomotricienne, une aide-soignante, une « maîtresse de maison » et une secrétaire.

Un travail en réseau

Fruit d'une alliance inédite entre le sanitaire et le médico-social, c'est par le développement, lui aussi original, de collaborations avec un réseau diversifié de partenaires que Ker Heol entend servir ses objectifs de socialisation. Sachant que les jeunes souffrent de difficultés de communication et d'adaptation à leur environnement, toutes les occasions leur permettant de multiplier contacts et expé- riences de vie sont privilégiées en lien avec les capacités propres et les centres d'intérêt de chacun. Qu'il s'agisse de loisirs, ou d'activités d'ordre pédagogique, occupationnel ou professionnel, nombreux sont les professionnels et les bénévoles qui, sensibilisés à son action, se mobilisent autour de l'équipe de Ker Heol. C'est notamment le cas de la ferme pédagogique de Saint-Niau (Lanester), de la maison des jeunes de Ploemeur, des ateliers centraux de France Telecom à Caudan et de l'Association des volontaires pour les autistes créée par la Fondation de l'entreprise. Sans eux, affirment les observateurs, les résultats obtenus avec les jeunes auraient certainement été moindres.

L'évolution des jeunes pris en charge à Ker Heol a pu être étudiée avec précision, grâce au programme d'évaluation mis en place, entre 1992 et 1997, par Delta 7, avec le concours du Groupe de recherche et d'intervention dans le secteur santé de la faculté de médecine de Rennes (3). Bien sûr, reconnaît Jean-Michel Evanno, père d'un jeune accueilli à Ker Heol, « il reste beaucoup à faire pour voir coïncider nos ambitions et la réalité ». La distance demeure grande en effet entre l'autonomie de leur enfant en milieu ordinaire de vie, initialement visée par certains parents dans le cadre de cette prise en charge, et l'évolution effectivement enregistrée chez chacun des jeunes.

En fait, « les progrès sont toujours relatifs et non spectaculaires, notent les auteurs de l'évaluation, et les résultats apparaissent ainsi parfois faibles ou décevants ». Néanmoins, sur les 14 jeunes accueillis, un seul s'est retrouvé en échec complet et a dû retourner vivre à plein temps dans sa famille. Un autre peut être considéré en semi-échec dans la mesure où il n'a pas progressé, sachant que d'autres événements sont survenus parallèlement dans sa vie personnelle. Dans tous les autres cas, il n'existe pas vraiment d'amélioration, chez les jeunes, quant à leur manière d'aborder un problème nouveau. En revanche, on constate, dans plusieurs domaines, des progrès sensibles et concordants (tests, appréciations des parents, points de vue des professionnels). Ils concernent essentiellement la communication, la socialisation, l'apaisement de l'angoisse, le bien-être, les stéréotypies de langage et certaines capacités au quotidien ou dans les tâches domestiques et de travail. Les évolutions sont parfois fluctuantes dans le temps chez un même jeune, mais, au total, les acquis semblent stables, ou du moins aisément remobilisables (après une période difficile par exemple).

S'agissant des répercussions de la prise en charge sur la vie des familles, elles sont jugées positives. Les progrès en matière de communication entre les jeunes et leurs parents et la confiance que ces derniers retrouvent quant à une évolution possible de leur enfant, améliorent les relations familiales. Et permettent de pouvoir envisager plus sereinement l'avenir - ce qui facilite d'autant l'autonomisation progressive du jeune.

De Ker Heol à Cosmao

Il reste à savoir cependant si, dans l'avenir, une prise en charge moins intensive permettra de sauvegarder les acquis enregistrés. En tout état de cause, et sans préjuger de la réponse à cette question, il existe effectivement maintenant un « après » Ker Heol. Forte de l'expérience du centre qui a mis en œuvre, avant la lettre, les orientations de la circulaire d'avril 1995 et de la loi du 11 décembre 1996 relatives à la prise en charge de l'autisme (4), l'AIPSH a obtenu les crédits nécessaires à la création d'une maison d'accueil spécialisée. Officiellement inaugurée le 4 décembre 1998, la Villa Cosmao accueille, depuis le printemps dernier, 15 adultes autistes, de 18 à 40 ans, originaires du département : sept d'entre eux ont pu accéder à la vie collective de ce centre d'hébergement grâce à leur passage à Ker Heol. Ce qui a permis un renouvellement partiel de la population du centre de jour - alors qu'il est à prévoir que celle de la MAS variera peu.

Assurant la continuité du travail précédemment réalisé, le chef de service, responsable de la villa est celui qui, par le passé, était chargé de Ker Heol. L'équipe de Cosmao applique aussi les principes d'une prise en charge pluridisciplinaire, avec des projets individualisés basés sur l'évaluation des capacités et potentialités de chacun. En outre, elle bénéficie des partenariats initiés par les professionnels de Ker Heol pour favoriser la socialisation des jeunes.

Moteur de l'innovation locale et premier maillon du réseau de prise en charge des personnes autistes dans la région de Lorient, Ker Heol est aussi un support précieux de formation et de réflexion pour l'ensemble des structures spécialisées intervenant en Bretagne. Mais, fait observer Jean-Michel Evanno, il reste encore beaucoup à faire, en amont et en aval de ce centre pionnier. Aussi les parents se mobilisent-ils aujourd'hui pour créer une filière qui démarre la prise en charge des enfants au niveau de l'école primaire. Ils pensent aussi à des lieux de vie susceptibles d'accueillir les adultes autistes les plus autonomes.

Caroline Helfter

Notes

(1)  Cette étude est disponible auprès de Delta 7 : 24, rue Marc-Séguin - 75018 Paris - Tél. 01 46 07 42 22 - 300 F.

(2)  Voir ASH n° 2002 du 20-12-96.

(3)  AIPSH : 26, rue de Kersabiec - 56100 Lorient - Tél. 02 97 83 30 51.

(4)  Voir notamment ASH n° 1761 du 29-11-91.

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