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Les Sessad au rythme des familles

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Les Sessad ont permis au secteur médico-social de s'ouvrir à de nouvelles logiques professionnelles. Pourtant, ils ont encore parfois du mal à définir leur identité et à trouver leurs marques dans le champ de l'intervention sociale.

« En institut médico-éducatif [IME] , on essaie de mettre de la norme dans un milieu dominé par la différence. A l'inverse, dans les services d'éducation spéciale et de soins à domicile [Sessad] , on travaille à l'intégration de la différence dans un milieu ordinaire généralement normatif », expliquait Claude Denis, instituteur spécialisé au Sessad du Château de Villeneuve à Essey (Côte-d'Or), lors des journées nationales de formation sur « l'identité des Sessad »   (1). Créés voilà une trentaine d'années, ces services ont, de fait, insufflé une logique nouvelle au sein d'un secteur médico-social, organisé jusque-là quasi exclusivement autour de la prise en charge en établissement.

Une nouvelle culture pour le médico-social ?

Certains responsables estiment même que, dans la perspective de la réforme de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales, les Sessad pourraient préfigurer une nouvelle culture dans le secteur médico-social en offrant aux établissements l'occasion d'ouvrir leur organisation sur l'extérieur. « Ces services permettent, effectivement, une intervention précoce qui n'est pas possible en institution, observe Jean-Paul Orient , directeur du CREAI Nord-Pas-de-Calais. En outre, ils encouragent le développement de pratiques différentes, les parents et l'enfant étant mis au centre du projet. Cela peut inciter les IME ou les instituts d'éducation motrice [IEM] à travailler autrement, et pas seulement intra-muros. Il faut aussi considérer que le passage dans l'institution n'est qu'un moment et que le retour dans le milieu familial doit, de toute façon, être envisagé. » Pour lui, il ne s'agit cependant pas d'opposer la prise en charge en institution au travail à domicile, mais bien d'articuler les deux logiques, voire de les intégrer pleinement. « Tous les services, même ceux qui sont autonomes, c'est-à-dire qui ne sont pas liés à une institution, doivent travailler en réseau avec les établissements qui les entourent. » D'ailleurs, dans certains cas, les personnels soignant et éducatif interviennent aussi bien dans l'établissement qu'au domicile, comme à l'Institut Bruckhof (Strasbourg) qui reçoit des déficients auditifs, où le Sessad est complètement intégré. « Pour les handicaps sensoriels, l'aspect rééducatif est très important et il nécessite de mettre en place un travail précoce autour du développement du langage, explique Yves Jeunesse, rééducateur . Il est donc intéressant de pouvoir travailler, à la fois, dans l'institut et au sein du milieu familial. Ce double mode d'intervention représente toutefois un profond changement dans notre culture professionnelle. »

De fait, pour les travailleurs sociaux et les rééducateurs habitués au travail en établissement, l'intervention en milieu ordinaire génère de multiples interrogations, non seulement sur leurs compétences mais, aussi, sur leur identité professionnelle. Des questions qui reviennent d'ailleurs de façon récurrente. En IME, les différentes phases du travail éducatif et rééducatif sont en effet le plus souvent réparties entre plusieurs intervenants chargés chacun d'une mission spécifique. Or, au sein d'un Sessad, la polyvalence est de mise et il est nécessaire de posséder plusieurs techniques, ne serait-ce que pour pouvoir former d'autres intervenants, comme les enseignants qui accueillent les enfants handicapés dans leur classe. « Cela suppose la maîtrise de techniques de base telles que l'entretien, l'analyse et l'évaluation globale des situations, les repérages des modalités de travail en partenariat », détaille Pascale Bedague, directrice d'un IME et d'un Sessad à Frontignan-la-Peyrade (Hérault). Autre difficulté souvent citée par les professionnels : la solitude. « Contrairement à ce qui se passe en établissement, nous gérons seul notre emploi du temps et nous sommes l'unique référent et partenaire identifié par les parents et les autres structures. D'où la nécessité d'être diplomate, mobile, disponible et à l'écoute des demandes de chacun », souligne un éducateur. Sachant que le risque est permanent en rentrant dans l'intimité du domicile de franchir les limites de l'intervention professionnelle. « L'action du Sessad est efficace parce qu'elle a lieu en milieu naturel et qu'elle'réunifie" l'enfant. Mais il ne faut faire que ce qui est nécessaire et non tout ce qui est possible. C'est-à-dire qu'il ne faut pas ensevelir les familles et les enfants sous nos bonnes actions, parfois'chosifiantes " », prévient Elisabeth Zucman, médecin de réadaptation fonctionnelle aujourd'hui à la retraite, qui fut l'un des pionniers des Sessad. « En fait, on est dans une logique de transaction permanente avec l'usager, ce qui n'existe pas forcément en établissement », précise Josiane Roberteau, psychosociologue à Rennes.

Du « sur mesure »

L'intervention en Sessad apparaît ainsi comme « une pratique sur mesure, artisanale, originale et sans cesse renouvelée », selon l'expression d'un éducateur. Ce qui implique, notamment, une gestion du temps très différente de celle mise en œuvre dans les institutions. « Il est nécessaire de composer avec le rythme de vie de la famille et de tenir compte de leurs habitudes dans nos interventions », souligne Pascale Bedague. Pour elle, la gestion du temps est au cœur du travail à domicile, non seulement à cause de la dispersion des lieux d'intervention et des temps de transport que cela implique, mais aussi en raison des multiples réunions avec les partenaires extérieurs et en équipe.

Priorité au projet

Le réajustement permanent avec les autres membres du service représente d'ailleurs l'indispensable contrepartie de l'autonomie dont disposent les éducateurs et les rééducateurs. Car, contrairement à l'établissement dont la cohérence tient aussi à son unité de temps et de lieu, le Sessad n'existe que par son projet. « Il ne faut pas croire que nous travaillons en libéral. Nous devons, avant tout, respecter le projet institutionnel et celui de l'enfant », rappelle avec force Suzanne Jouffray, directrice d'un service à Hérouville (Calvados). Une conception qui rejoint, en partie, celle du sociologue Michel Autès pour qui, au-delà des compétences individuelles, « ce qui compte, c'est la façon d'agencer les capacités de chacun et d'organiser le travail à l'intérieur d'un modèle d'intervention ». C'est probablement cette complexité qui fait que, comme d'autres services de milieu ouvert, les Sessad restent difficiles à définir, autrement que par la négative. « Ce ne sont pas des institutions, même s'ils ont une existence géographique et administrative. Ce ne sont pas non plus des consultations du type CMP ou CAMSP. Enfin, ils ne sont pas là non plus pour concurrencer l'école ou les services d'AEMO », observe Catherine Faou, pédopsychiatre dans un service de la région lilloise. Il est vrai que les professionnels des Sessad éprouvent parfois de réelles difficultés à trouver leurs marques par rapport aux autres structures du dispositif d'intervention sociale : service social, équipe d'AEMO, aide familiale, école... D'où, le cas échéant, des phénomènes de concurrence ou encore une certaine confusion des rôles. « Par exemple, raconte Jean-Paul Orient , j'ai récemment été amené à donner un avis technique pour un Sessad prenant en charge une vingtaine d'enfants. Celui-ci s'occupe uniquement de jeunes souffrant de déficiences mentales. Or, les deux tiers d'entre eux ont été victimes de maltraitance et un tiers d'inceste. Par ailleurs, sur les 20 jeunes accueillis, aucun parent ne travaille. Dans ces conditions, quel est le trouble majeur :la déficience mentale, la maltraitance ou encore les difficultés sociales des familles ? L'équipe du Sessad a dû apprendre à travailler avec d'autres intervenants sociaux ou judiciaire, mais il est vrai que la question de la coordination reste entière. » Des enjeux de territoire et de compétence qui se posent avec beaucoup plus d'acuité qu'en institution et se révèlent difficiles à maîtriser. « Les éducateurs, surtout, se trouvent dans une position contradictoire car ils doivent construire une relation avec l'enfant et accepter de s'effacer pour que d'autres professionnels interviennent », relève Josiane Roberteau.

Au final, les professionnels ne sont cependant guère inquiets pour l'avenir des Sessad. « Ils sont maintenant connus car ils travaillent en collaboration avec d'autres services sociaux et ils bénéficient du mouvement actuel en faveur de l'intervention à domicile au sens large du terme », confirme le directeur du CREAI Nord-Pas-de-Calais. A condition, toutefois, préviennent certains, de ne pas faire l'économie d'une véritable réflexion sur leur rôle. « Ces services doivent moins chercher à se revendiquer d'un intitulé commun, nécessaire mais insuffisant, que tenter de se repérer dans le paysage social en évolution avec la loi contre les exclusions et la réforme annoncée de la loi de 1975 », juge ainsi Jean-Yves Barreyre, directeur du CREAI Ile-de-France. Pour lui, ils peuvent notamment être des outils efficaces en ce qui concerne l'accès aux droits, la reconnaissance de la place centrale de l'usager dans la prise en charge et la mise en cohérence des interventions territorialisées « par le jeu des rapprochements, des regroupements et des mises en réseau ».

Jérôme Vachon

18 000 SERVICES EN 1998

Les premiers services d'aide à domicile pour les enfants handicapés ont été créés, à la fin des années 60, grâce à la mobilisation d'une poignée de soignants et de travailleurs sociaux, telle Elisabeth Zucman, médecin de réadaptation fonctionnelle, aujourd'hui à la retraite. « L'idée est née à la suite de la mort d'un jeune handicapé parisien qui avait dû être confié à un hôpital de province, dans le cadre d'un abandon légal, faute d'une possibilité d'accueil près de chez ses parents. A l'époque, les enfants polyhandicapés n'étaient pas pris en charge par la sécurité sociale », raconte celle-ci. Pourtant, ce n'est qu'après l'adoption de la loi de 1975 et, surtout, après la réforme des annexes XXIV, intervenue en 1988-89, que ces services ont véritablement pris leur essor. En 1985, ils n'étaient que 4 953 sur l'ensemble du territoire, représentant 3,9 % de l'ensemble des places d'éducation spéciale. Début 1998, ce chiffre est passé à 18 050, soit 14,2 % des places disponibles, avec un net développement de l'accueil des jeunes déficients intellectuels (30 % de l'effectif total). Parallèlement, les Sessad se sont diversifiés, les uns accueillant plutôt des enfants handicapés moteurs ou sensoriels et les autres surtout des jeunes déficients mentaux. En outre, certains sont liés à un établissement et d'autres pas. Il n'existe donc pas un modèle unique de Sessad (2). Reste que le développement de ces structures semble actuellement marquer le pas. « La création des Sessad tourne en effet au ralenti », confirme Jean-Paul Orient, directeur du CREAI Nord-Pas-de-Calais. « Les nouveaux services, explique-t-il, sont généralement mis en place par redéploiement des moyens des instituts médico-éducatifs ou des instituts d'éducation motrice. Or, jusqu'à preuve du contraire, on n'a pas démontré que ces établissements aient trop de moyens. Ainsi, la situation apparaît plutôt bloquée. » La généralisation du financement par dotation globale, plutôt qu'au prix de journée ou à l'acte, prévue pour 1999, permettra-t-elle de relancer le développement des Sessad ?

Notes

(1)  Organisées les 18 et 19 novembre par l'ANCREAI et le CREAI Nord-Pas-de-Calais - Contact : CREAI Nord-Pas-de-Calais - 54, boulevard Montbello - 59000 Lille - Tél. 03 20 17 03 03.

(2)  Cette diversité se retrouve d'ailleurs dans les sigles utilisés - SESSD, SSAD, SAFEP, SSEFIS, SAAAIS... - l'appellation Sessad n'étant qu'un terme générique.

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