Plusieurs semaines de violences urbaines, de Toulouse à Strasbourg, et la publication des chiffres officiels témoignant de l'augmentation de la délinquance et de la criminalité en 1998, ont relancé le débat sur l'insécurité et sur l'efficacité de la justice des mineurs. Une polémique redondante et lourde d'enjeux électoraux, en particulier dans la perspective du scrutin européen. C'est ainsi que les ministres de l'Intérieur et de la Justice se sont à nouveau opposés sur les réponses à apporter à la délinquance. Jean-Pierre Chevènement a en effet réitéré, dans différents médias, ses propositions concernant l'éloignement des mineurs multirécidivistes et la création de « centres de retenue ». Et il a également évoqué la possibilité de suspendre ou de mettre sous tutelle les prestations familiales lorsque les parents d'un mineur délinquant se sont soustraits à leurs responsabilités éducatives. Dans le même temps, Elisabeth Guigou a, quant à elle, rappelé son attachement au double visage (éducatif et pénal) de l'ordonnance de 1945 ainsi qu'à un traitement judiciaire plus systématique des actes délictueux et à une coordination plus étroite entre les acteurs (1). Sachant qu'il est prévu de créer sept dispositifs éducatifs renforcés (ex-UEER) d'ici à juin 1999, portant leur nombre total à 20.
« A la violence, nous opposerons une réponse ferme, rapide mais toujours proportionnée » et « pour ce qui concerne les mineurs, chaque fois que la rupture avec le milieu semblera nécessaire, l'éloignement des délinquants les plus durs sera organisé » , a affirmé, de son côté, Lionel Jospin, le 12 janvier, lors de la présentation de ses vœux à la presse. Celui-ci a annoncé que des mesures seraient prises en ce sens lors du prochain Conseil de sécurité intérieure, le 27 janvier. Une fermeté gouvernementale qui ne contribuera sans doute pas à calmer les inquiétudes des professionnels face à la montée du discours sécuritaire. « Il devient urgent que les politiques cessent de rivaliser et prennent le temps de la réflexion et de l'analyse afin d'élaborer des réponses adaptées », alerte le Syndicat national des personnels de l'éducation surveillée-Protection judiciaire de la jeunesse (SNPES-PJJ) (2). Lequel estime que les solutions « de plus en plus répressives » défendues par le ministre de l'Intérieur « orga- nisent la relégation et l'exclusion des jeunes ». Une position partagée par la CFDT-Protection judiciaire de la jeunesse (3) qui insiste sur la nécessité pour les professionnels de pouvoir « continuer leur action éducative auprès de ces jeunes » sans que les mesures sécuritaires ne viennent la subordonner. « En appliquant une médecine brutale », le ministre de l'Intérieur et le Premier ministre balaient « un siècle de pratiques éducatives et de recherches en sciences sociales », affirme-t-elle. D'autres soulignent enfin le décalage entre les effets d'annonce répétés et le manque de moyens pour faire fonctionner ce qui existe déjà. Ainsi, le Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse (UNSA-PJJ-FEN) (4) regrette que le plan gouvernemental de lutte contre la délinquance des mineurs, adopté à l'issue du Conseil de sécurité intérieure du 12 octobre dernier (5), ne soit pas « mis en œuvre pleinement ».
Même avis à l'Association nationale des communautés éducatives (6) où l'on s'étonne de la « surenchère démagogique » à l'œuvre alors « qu'aucun fait nouveau sérieux n'est intervenu » venant remettre en cause ces arbitrages gouvernementaux. D'autant, estime son président Jean-Pierre Rosenczveig, par ailleurs président du tribunal pour enfants de Bobigny (Seine-Saint-Denis), que ceux-ci permettent « de répondre à l'aggravation de certains comportements individuels et collectifs ». Rappelant que l'éloignement n'est pas une fin en soi mais un moyen qui suppose un suivi social, l'ANCE plaide, en outre, pour « l e renforcement du réseau d'établissements et de familles d'accueil susceptibles d'accueillir 24 heures sur 24 les enfants et les jeunes » ayant besoin d'une rupture provisoire. Et, dans la même optique, elle demande le lancement d'un programme d'internats scolaires. Enfin, fermement opposée au développement de structures closes, l'association reconnaît néanmoins « la nécessité de réponses éducatives dans lesquelles les adultes s'inscrivent sans peur et dans une attitude de responsabilité à l'égard des enfants ». De telles structures existent, mais elles sont « en nombre notoirement insuffisant », déplore-t-elle.
(1) Voir ce numéro.
(2) SNPES-PJJ : 54, rue de l'Arbre-Sec - 75001 Paris - Tél. 01 42 60 11 49.
(3) CFDT-PJJ : 47, avenue Simon-Bolivar - 75019 Paris - Tél. 01 42 38 61 60.
(4) UNSA-SPJJ-FEN : 48, rue La Bruyère - 75440 Paris cedex 09 - Tél. 01 40 16 78 13.
(5) Voir ASH n° 2075 du 12-06-98.
(6) ANCE : 145, boulevard Magenta - 75010 Paris - Tél. 01 44 63 51 15.