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Un pont entre l'enfant et « l'autre parent »

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Confrontés à la multiplication des divorces et séparations conflictuels, des professionnels de la famille se mobilisent pour soulager la souffrance des enfants privés de contacts avec le parent non hébergeant.

En France, parmi les enfants de couples divorcés vivant avec leur mère - soit 85 % d'entre eux -, un tiers ne voient jamais leur père. Ce constat, qui n'est pas une spécificité française, heurte l'idéal de coparentalité dans la famille de l'après-divorce, partagé par de nombreux praticiens dont l'action se situe notamment dans les champs de la psychologie, du travail social et de la justice. C'est ce qui les a conduit, dans plusieurs pays, à imaginer une nouvelle forme d'intervention sociale. Ont ainsi été créés, depuis une dizaine d'années, les « points de rencontre » ou lieux d'accueil pour l'exercice du droit de visite en France, en Suisse et en Belgique, les Contact centers ou Access centers en Grande-Bretagne, ainsi que les très nombreux programmes de surveillance du droit de visite ( Supervised Visitation ) en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada), en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Apparue simultanément dans plusieurs points du globe, sans aucune concertation entre ses promoteurs, cette réponse au problématique maintien des liens des enfants avec leurs deux parents a fait l'objet d'un colloque international (1). Lequel a permis de confronter les différentes manières d'envisager l'exercice du droit de visite dans les situations de divorce. Spécifiques dans leurs modalités de fonctionnement, liées aux contextes juridiques nationaux, ces services partagent tous un objectif commun : pendant une période transitoire limitée dans le temps - elle est d'environ 6 à 8 mois en France -, réunir dans un même lieu, en présence d'intervenants extérieurs, l'enfant et le parent dont il vit séparé, en organisant leurs contacts de façon à éviter les occasions de conflit entre son père et sa mère.

Des lieux sécurisants

Aux Etats-Unis - dont se rapprochent les pratiques et institutions juridiques canadiennes, australiennes et néo-zélandaises -, l'accent est mis sur la sécurité. Ces lieux de « surveillance » veulent avant tout éviter les violences ou les pressions qui pourraient s'exercer sur les enfants ou les parents. « Nos tout premiers clients étant les enfants, ce sont leurs besoins qui doivent guider l'organisation de nos services », explique Janet Johnston, directrice du centre californien Protecting Children from Conflict. Or pour ces enfants traumatisés, précise-t-elle, il convient non seulement d'organiser un environnement sûr physiquement, mais aussi psychologiquement. « Nous mettons en œuvre, à cette fin, quelques idées très pragmatiques », complète le psychologue Robert Straus, fondateur du réseau national Supervised Visitation. Il s'agit notamment de montrer les lieux aux petits usagers avant la première visite, de développer, si besoin est, certains rituels susceptibles de les rassurer, d'avoir éventuellement toujours les mêmes observateurs présents lorsqu'ils rencontrent le parent non hébergeant, et surtout de leur expliquer pourquoi ils sont là. En effet, une étude réalisée par la Canadienne Rachel Dabraio en Ontario fait apparaître que, dans la plupart des cas - 75 % des enfants dans son enquête -, les premiers intéressés ne connaissent pas les raisons de leur venue, ce qui renforce l'état de confusion qui est le leur. Bien au clair, les autres peuvent, en revanche, exprimer des attentes précises : « Pouvoir voir papa et maman sans qu'ils se disputent », « Pouvoir connaître mon père », ou encore, selon la formule d'un jeune usager : « Panser nos blessures ».

Bien sûr, précise Robert Straus, l'idéal serait que ce soit le parent avec qui il vit qui fournisse à l'enfant toutes les informations nécessaires. Mais en général il ne le fait pas, craignant de le perturber. « Nous pouvons l'aider à comprendre l'importance de ces explications et, à défaut, les donner nous-mêmes - sachant que les enfants comprennent en fait très bien ce qui se passe. On ne leur dit pas quelque chose qu'ils ne savent pas, mais c'est peut-être la première fois que quelqu'un exprime pour eux la réalité à laquelle ils sont confrontés. » Et si nous constatons que l'enfant est déstabilisé par les visites, ajoute le psychologue, nous pouvons procéder à une évaluation pour voir si les contacts doivent être suspendus et demander aux parents de retourner devant le tribunal.

Quelles relations avec la justice ?

C'est précisément autour des rapports qu'entretiennent les services d'exercice du droit de visite avec l'institution judiciaire que se situent les différences essentielles entre le système américain de surveillance et le modèle français - qui a essaimé en Suisse, en Belgique et au Québec - de soutien du lien parental. Aux Etats-Unis, explique Joanne Karolzak, administratrice de la Casa de Los Niños (Arizona), il s'agit autant, voire plus, de protéger l'enfant de manière active que de faciliter la relation. Et les intervenants, fréquemment appelés à témoigner en justice, sont, d'une certaine manière, « l'œil du juge »  : tout ce qui se passe dans ces lieux d'accueil peut faire l'objet de comptes-rendus. Les parties utilisent d'ailleurs souvent ces rapports pour en tirer argument à leur profit devant les tribunaux. En France en revanche, bien que 80 % des utilisateurs des points de rencontre y viennent à la demande du juge aux affaires familiales, la Fédération des lieux d'accueil pour l'exercice des droits de visite (qui en regroupe une cinquantaine) revendique une totale indépendance par rapport à la justice (2). Son code de déontologie, adopté le 4 novembre dernier, stipule que « les lieux d'accueil s'abstiennent de fournir aux juridictions ou aux instances administratives toute information écrite ou orale portant sur le contenu de la relation enfant-parent ». Ce strict principe de confidentialité pouvant être levé en cas de danger pour les usagers et/ou les intervenants ou de transgression du règlement intérieur du lieu empêchant l'exercice du droit de visite.

« Déontologie, commente Robert Straus, est un mot intraduisible en anglais et nos normes sont beaucoup plus pragmatiques que les principes français. Mais il est vrai que nos contextes juridiques sont également très différents : en France, l'idée de la loi est de proposer un idéal et le juge cherche la vérité  aux Etats-Unis, nos lois sont des règles du jeu dont le juge est l'arbitre. » Néanmoins, si les magistrats français, démunis devant l'inexécution de leurs décisions relatives au droit de visite, se félicitent de l'existence de points de rencontre, d'aucuns déplorent la position de certains lieux qui refusent de leur transmettre des informations. Comme l'explique Marianne Lassner, premier juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris, trois types de situations peuvent se présenter, dont deux ne nécessitent pas, à son avis, de rapports au juge. C'est le cas lorsque les parents reviennent vers le magistrat, en disant que cet accompagnement transitoire a évolué vers un droit de visite qui peut s'exercer à l'extérieur du lieu d'accueil  ou, à l'inverse, dans les situations extrêmement dramatiques, voire pathologiques, que les points de rencontre, eux-mêmes, ne veulent plus accueillir. En revanche, le juge aurait besoin de pouvoir étayer une décision d'autorisation d'un droit de visite normal, lorsque les relations enfant-parent non hébergeant se passent bien, mais que l'autre parent est toujours aussi irréductible sur ses positions. Celles-là mêmes qui avaient abouti à ce que le droit de visite ait précédemment été fixé dans un lieu d'accueil. Dénonçant cette « perversion du système », ainsi utilisé par les mères, Marianne Lassner ne comprend pas la violente opposition des pères à l'idée d'un rapport qui, pourtant, pourrait les aider à sortir de ces lieux vécus comme « une prison », « une cage » ou « un bocal ».

Maintenir les liens à tout prix ?

Soulignant que cette question hante, en France, tous les débats des centres d'accueil, depuis la création à Bordeaux, fin 1986, du premier point de rencontre, Jean Gréchez, président de la Fédération française, estime que l'on se trouve en face de deux options qui situent l'action de ces services dans des registres théoriques et cliniques très différents. Soit l'on considère les lieux d'accueil comme des lieux d'investigation et d'expertise tenus d'exercer un mandat dont ils ont à rendre compte à la justice, et dans ce cas, souligne ce responsable, les parents sont amenés à jouer le rôle de « bons parents » pour avoir le meilleur rapport possible  soit l'on opte, comme le préconise la fédération, pour des terrains de rencontre neutres, ne retransmettant pas d'informations aux magistrats, le but étant simplement de permettre l'effectivité du droit de visite pour les parents et du droit d'accès des enfants à ceux-ci. Pour soutenir les adultes dans l'exercice de leurs responsabilités parentales, certains points de rencontre s'inscrivent d'ailleurs dans une perspective de médiation familiale, voyant dans la dédramatisation du conflit parental une des voies permettant de maintenir le lien enfant-parent. D'autres en revanche, qui se situent dans la lignée de l'Association française des centres de consultations conjugales, estiment illusoire, voire néfaste pour l'enfant, de vouloir maintenir des relations familiales après la rupture, précise le sociologue Benoît Bastard  leur travail consiste alors seulement à rétablir et/ou préserver les contacts entre l'enfant et le parent avec lequel il ne vit pas, sans chercher à réactiver les liens entre les adultes.

Quelle que soit leur orientation, les points de rencontre français insistent unanimement sur le nécessaire professionnalisme de leurs intervenants (psychologues, conseillers conjugaux, travailleurs sociaux) et la rémunération de leurs prestations. C'est aussi l'option en vigueur aux Etats-Unis et dans les pays où les visites supervisées sont proches du modèle américain. Alors qu'en Grande-Bretagne, les services développés dans le secteur caritatif, à l'initiative de fondations ou d'Eglises, ont en général des intervenants bénévoles à la formation souvent minime.

Force cependant est de constater, dans les différents pays concernés, que ce mode d'intervention ne constitue pas une solution efficace pour toutes les familles. C'est pourquoi, dix ans après avoir fondé La Passerelle à Grenoble, le psychologue Gérard Poussin met en garde contre « une gestion absurde d'un droit de visite absurde »   : quel bien peut retirer un enfant de la prolongation sans fin du conflit parental dont il doit être le témoin pétrifié ? Autrement dit : « Jusqu'à quel point et dans quelles limites doit-on favoriser le maintien du lien de l'enfant avec ses deux parents ? ». Perplexe quant aux bienfaits généralisés du dispositif, Gérard Poussin estime néanmoins indispensable le développement de tels lieux, puisqu'ils sont utiles à certaines familles. Mais en même temps, souligne-t-il, il convient de ne pas proposer cette réponse à celles qui ne pourront pas en tirer profit. Et dont le comportement risque en outre de mettre les points de rencontre en difficulté. Conscient que « pour refuser d'ouvrir sa porte, il faut pouvoir en indiquer une autre », le psychologue recommande donc de réfléchir à la création d'un second modèle de lieu d'accueil, ayant un fonctionnement différent. Mais dans tous les cas, déclare-t-il avec force, il faut constamment nous demander à qui nous rendons réellement service : aux enfants ? A l'un des deux parents ? Aux personnes interpellées telles que juges, avocats ou assistantes sociales ? Ou encore, indirectement, à la société qui se trouve confrontée au problème du divorce ? « Si nous n'oublions pas de nous poser cette question à chaque instant, nous pouvons alors espérer faire du bon travail. »

Caroline Helfter

Notes

(1)  Du 4 au 7 novembre 1998 à Paris, à l'initiative du Centre de sociologie des organisations : 19, rue Amélie - 75007 Paris - Tél. 01 40 62 65 70.

(2)  Fédération des lieux d'accueil pour l'exercice des droits de visite : 12, rue Gambetta - 64000 Pau - Tél. 05 59 98 62 43.

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