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Qualification et mobilité : des freins à l'insertion

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L'accès à l'emploi des jeunes est, comme en zone urbaine, le principal objectif des structures d'accueil en milieu rural et agricole. Mais pour ces dernières, l'accompagnement social, l'accès à la qualification et toutes les actions susceptibles de rompre l'isolement des jeunes ruraux revêtent une importance accrue.

Plus qualifié, plus féminin, plus âgé, le public accueilli par les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation  (PAIO) rurales présente des spécificités. Et les actions mises en œuvre par ces structures pour favoriser l'insertion professionnelle et sociale des jeunes ruraux se différencient également de celles menées en zone urbaine : les itinéraires qu'ils empruntent y sont plus longs et plus construits. Ainsi, « le recours à la formation pure comme élément dominant de la structuration des parcours est nettement plus marqué pour les jeunes urbains que pour les jeunes ruraux », soulignait Patrick Tainguy, chercheur, lors de la journée organisée sur l'emploi et l'insertion dans l'agriculture et dans le monde rural (1). Dans les campagnes, les dispositifs de formation sont en effet plus souvent combinés à d'autres mesures et intégrés dans des parcours plus longs. « Les différences de publics ont-elles, par ricochet, conduit les structures rurales à adapter leurs préconisations en matière d'orientation et de suivi ? Ou à l'inverse, les pratiques des structures rurales engendrent-elles un effet d'attraction différencié des publics ? » Pour Pierre Tainguy et Jean-Pierre Bompard, chargé de mission à la délégation interministérielle à l'insertion des jeunes  (DIIJ), il est difficile de répondre à ces interrogations mais une chose est sûre : « le réseau s'adapte aux spécificités des contextes locaux ».

Lier insertion et développement local

« Il n'existe pas la même pression ni la même violence en zone rurale mais des formes de souffrance s'y expriment également, au travers de la toxicomanie, de la petite délinquance, de l'alcoolisme et de comportements suicidaires », note Viviane Delafont, secrétaire générale de l'Union nationale des missions locales rurales (UNMLR)   (2). « Contrairement aux zones urbaines où il existe d'autres structures, les missions locales rurales sont souvent le seul lieu où les jeunes peuvent être accueillis et écoutés », ajoute-t-elle. Pour autant, « le travail des missions locales rurales ne se limite pas à l'accueil de ceux en difficulté, il repose surtout sur la mise en place de projets qui lient insertion, territoire et développement local ». D'autant que les formes d'exclusion en milieu rural sont diverses : « Le profil des jeunes n'est pas le même selon qu'ils vivent dans une zone touristique de montagne ou dans une région agricole qui se maintient », observe Viviane Delafont. Les réponses doivent donc être adaptées à leurs besoins et difficultés ainsi qu'aux attentes des milieux économiques locaux. Car, en zone rurale comme dans les villes, l'insertion passe d'abord par l'accès à l'emploi. Ce qui constitue une petite révolution culturelle pour nombre de structures d'accueil. « Ça a parfois été difficile dans un milieu où la tradition socio-culturelle est forte et où l'on a parfois du mal à pousser le jeune dehors pour qu'il aille vers l'entreprise », reconnaît Patrick Séquier, directeur de la PAIO Mellois 2000, à Melle, dans les Deux-Sèvres.

Des emplois précaires

La situation de l'emploi est toutefois moins défavorable dans les campagnes que dans les villes. Dans une étude réalisée auprès de 120 structures d'accueil, il apparaît en effet que, fin 1997, 23, 2 %des jeunes accueillis en zone rurale ont trouvé un emploi, contre 19,2 % en zone urbaine. Néanmoins, la part des contrats à durée déterminée  (CDD), du temps partiel, de l'intérim, des contrats saisonniers et des contrats emploi-solidarité (CES) est plus élevée en zone rurale et agricole. « L'un des obstacles majeurs auxquels nous nous heurtons, c'est le défaut d'activité économique dynamique : les artisans vont bientôt partir en retraite et, sorti du travail saisonnier, il y a peu d'opportunités d'emploi », déplore Patrick Séquier. Sur les 480 jeunes qui ont bénéficié d'un suivi particulier en 1997, dans les Deux-Sèvres, 182 ont été embauchés dans le cadre d'un CDD (contre 51 en CDI) et 135 en CES. Un accroissement de la part du travail précaire également perceptible à Villeneuve-sur-Lot où celui-ci a concerné 86 %des jeunes reçus par la mission locale en 1997 contre 80 % en 1996.

Même de courte durée, ces phases d'emploi ne sont, toutefois, pas toujours jugées négativement par les structures d'accueil, sous réserve qu'elles s'inscrivent dans un parcours et soient assorties d'un accompagnement individualisé et global. « J'ai longtemps été défavorable à l'intérim, mais j'ai changé d'avis et je n'ai plus d'état d'âme s'il contribue à la socialisation et à la remobilisation », reconnaît ainsi Armand Groot Koerkamp, directeur de la mission locale Nord Meusien, à Verdun. « Les jeunes s'inscrivent dans des cycles alternant des périodes d'activité, de formation, des CES, des emplois saisonniers et de l'intérim, l'objectif étant de leur permettre d'accéder à l'autonomie. » Toutes les missions locales rurales reconnaissent d'ailleurs que, si l'emploi demeure un objectif important, il n'est pas le seul. La resocialisation, l'aide au logement, le soutien psychologique et la santé constituent également des axes importants pour l'insertion.

Des qualifications inadaptées

Quoi qu'il en soit, le premier frein à l'emploi demeure l'inadéquation des qualifications avec l'économie locale. Dans le Nord meusien, 65 % des jeunes ont un niveau de qualification inférieur ou égal au niveau V (CAP-BEP) et la plupart d'entre eux « recherchent un emploi d'exécution, avec des horaires fixes et à proximité de leur domicile ». Or, le tissu économique local ne peut plus offrir d'emplois de ce type. Les exploitations agricoles recherchent également une main-d'œuvre de plus en plus spécialisée, généralement bien pourvue par les jeunes issus de la formation initiale agricole. Or « ceux que nous accueillons correspondent rarement à la demande, sauf si l'exploitant agricole est prêt à assurer leur formation en alternance », regrette Armand Groot Koerkamp.

Même tonalité dans la région de Provins (Seine-et-Marne) où de grosses entreprises industrielles sont implantées mais où la majorité des jeunes ont un niveau de formation inférieur ou égal au CAP. Pour rapprocher ces publics du tissu économique local, la mairie de Provins et le Club d'entreprises, créé l'an dernier, se sont fortement impliqués et incitent au parrainage. « Les jeunes sont en situation de fragilité vis-à-vis de l'emploi et ils disposent rarement du carnet d'adresses nécessaire. Il s'agit donc de leur permettre de bénéficier de conseils et de suivi de la part de chefs d'entreprise », explique Jean-Luc Renaud, directeur du service économique et de l'emploi à la mairie de Provins et secrétaire général du Club d'entreprises.

L'inadéquation entre formation et emploi local se pose de façon plus accrue encore pour les publics féminins. « Les garçons arrivent toujours à se débrouiller grâce au travail saisonnier. Il est plus difficile de convaincre les entreprises d'embaucher des filles, même dans le secteur tertiaire », reconnaît Patrick Séquier, directeur d'une PAIO pourtant située dans le pays des mutuelles. Ces dernières exigent au minimum le baccalauréat alors que les jeunes accueillies n'ont souvent qu'un BEP comptabilité. Mais surtout, observe Patrick Séquier, « leur formation ne les a pas correctement préparées aux nouveaux emplois qui requièrent polyvalence, autonomie et motivation ».

Globalement, le nombre de jeunes plus qualifiés a néanmoins augmenté au sein des publics accueillis en zone rurale. La tendance s'est même inversée dans certaines régions : 70 % des jeunes de la mission locale Mellois 2000 n'avaient aucun diplôme en 1990 alors qu'aujourd'hui 80 % d'entre eux ont au moins le niveau V. Néanmoins, « le fait d'être qualifié en milieu rural n'est pas un atout important pour entrer sur le marché du travail car il y a généralement peu d'emplois qualifiés. L'avantage comparatif d'un haut niveau de formation n'est donc pas évident », observe Viviane Delafont. Pire, le fait de ne pas trouver de travail pour un jeune plus diplômé peut être fortement déstructurant et constituer un handicap supplémentaire. Un constat confirmé par les travaux de l'INRA sur « la pauvreté, la précarité et les risques d'exclusion en milieu rural et agricole ». Philippe Perrier-Cornet, chercheur à l'INRA-ENESAD de Dijon, constate ainsi que globalement « l'appartenance rurale semble contribuer à réduire le risque de chômage pour les personnes peu ou pas diplômées et les travailleurs sans qualification [...] alors que c'est l'inverse pour les diplômés du supérieur ou les cadres et professions intellectuelles ».

Autre frein majeur à l'insertion en milieu rural, le manque de mobilité des publics pour accéder à une formation ou à un emploi. A la mission locale du Pays villeneuvois, seuls 20 % des jeunes se disent prêts à aller n'importe où, alors que près de la moitié n'iraient pas au-delà des frontières du département. Manque de moyens, isolement géographique sur le territoire, faible réseau de transports publics... Si les raisons matérielles sont réelles, estime Françoise Renard, directrice de cette mission locale, il y a « également un frein psychologique, une réticence à s'éloigner de la commune ». D'autant que l'arrivée de publics en difficulté, issus des zones urbaines, n'incite guère ceux des campagnes à partir, même s'ils savent que les chances de trouver un emploi sont plus grandes en ville.

La plupart des missions locales ont pris le problème de la mobilité à bras le corps en développant des actions ciblées. Dans les Deux-Sèvres, la PAIO Mellois 2000 a ouvert à la location un parc de cyclomoteurs et propose un service de covoiturage sur le principe de l'auto-stop : des automobilistes adhérents assurent gratuitement le transport des jeunes intéressés à partir de l'un des 80  « points auto-stop » répartis sur le territoire local. A Verdun, la mission locale encourage les jeunes à passer leur permis de conduire, en le prenant en partie financièrement en charge, sous réserve qu'ils s'engagent à s'inscrire à l'examen. Ailleurs, à Provins, ils bénéficient des chèques-mobilité mis en place par le conseil régional qui assurent le paiement des transports publics.

Les zones rurales oubliées ?

Pourtant, bon nombre de missions locales rurales ont le sentiment d'être insuffisamment entendues au plan national. Elles déplorent que les spécificités rurales ne soient pas assez prises en compte dans les politiques d'insertion et d'emploi, conçues essentiellement à partir des problèmes inhérents aux zones urbaines. « La politique de la ville exclut le territoire rural », regrette la secrétaire générale de l'UNMLR. Le dispositif TRACE, mis en place dans le cadre de la loi de lutte contre les exclusions (3), « a d'abord été construit à partir des caractéristiques des zones urbaines sensibles », reconnaît Hubert Peurichart, délégué interministériel à l'insertion des jeunes. Résultat : là où certaines zones rurales avaient pris les devants en initiant des programmes similaires, l'arrivée de TRACE ravive les conflits Etat-région. C'est le cas en Poitou-Charentes où le dispositif est perçu comme « un programme national parachuté » et où les acteurs locaux s'interrogent à présent sur la façon d'éviter tout télescopage... « TRACE ne doit pas être réservé aux urbains, insiste Patrick Séquier, d'autant que l'environnement culturel en zone rurale n'est pas aussi favorable qu'en ville. Les jeunes ruraux en souffrent. »

Virginie Besson

Notes

(1)  Le 29 octobre dernier à Paris par l'Institut national de la recherche agronomique et la délégation interministérielle à l'insertion des jeunes  (DIIJ)  : 194,  avenue du Président-Wilson - 93217 Saint-Denis-la-Plaine cedex - Tél. 01 49 17 46 46.

(2)  UNMLR : 26, boulevard Petitjean - BP 1607 - 21036 Dijon cedex - Tél. 03 80 77 28 46.

(3)  Voir ASH n° 2090 du 23-10-98.

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