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Les grands-parents cherchent leur place

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Plus investis que jamais auprès de leurs petits-enfants, les nouveaux grands-parents, alertes et dynamiques, sont aussi confrontés aux divorces et aux recompositions familiales. Et cherchent comment assumer, aujourd'hui, le rôle d'aïeul.

Vieillard courbé fumant la pipe et dame fluette au chignon blanc : ces images d'Epinal, qui ont longtemps eu le monopole dans la littérature enfantine et qui peuplent encore notre imaginaire, n'ont, semble-t-il, plus grand-chose à voir avec la réalité. Car les grands-parents ne sont plus ce qu'ils étaient. On voit mal, en effet, comment ils auraient pu sortir indemnes des bouleversements démographiques et culturels de ces dernières décennies et notamment des transformations de la famille. Pourtant, « ils sont les grands oubliés de la recherche, de la sociologie de la famille et, plus récemment, des réflexions sur la filiation et la parentalité », déplore Benoît Schneider, maître de conférences en psychologie à l'université de Nancy. Une lacune qu'il a souhaité combler en réunissant, à Nancy, des universitaires de toutes disciplines autour d' « histoire (s) de grands-parents »   (1). L'occasion de prendre la mesure du changement qui a affecté la figure grand-parentale et son rôle, notamment éducatif. Au-delà d'une vision édulcorée, qui ne retient chez ces nouveaux grands-parents qu'autonomie, disponibilité et générosité, on découvre des personnes, certes très investies, mais parfois tout aussi perplexes que leurs enfants quant à leur mission, parfois même perdues voire souffrantes face aux divorces et aux recompositions familiales. Ces problématiques, relativement nouvelles, interpellent tous ceux qui interviennent auprès des enfants et des familles, mais aussi auprès des personnes âgées. D'autant plus, d'ailleurs, qu'elles risquent de se poser de plus en plus massivement.

Plus vraiment vieux

La génération des grands-parents, celle des 50-80 ans, est en effet « la génération montante ». L'évolution de la pyramide des âges atteste de la proportion croissante des plus de 60 ans dans la société. Nombreux, vivant de plus en plus vieux, ils sont surtout plus longtemps à l'image d'un troisième âge actif et en bonne santé. De fait, lorsqu'ils deviennent grands-parents - à 50 ans environ pour les femmes et à 54 ans pour les hommes - ils sont « encore jeunes ». Avoir, en moyenne, la perspective de plus de 20 ans de vie commune avec ses petits-enfants, voilà qui modifie singulièrement les choses. « La grand-parentalité est donc devenue une étape de vie longue, prévisible et généralisée puisque aujourd'hui 70 % des personnes de plus de 50 ans sont grands-parents et, avant 60 ans, près de deux tiers des femmes et la moitié des hommes le sont déjà », constatent Claudine Attias-Donfut, directeur de recherche à la caisse nationale d'assurance vieillesse, et Martine Ségalen, professeur à l'université Paris X-Nanterre (2). Et aujourd'hui, un enfant qui naît a toute les chances de connaître ses quatre grands-parents, ce qui n'était le cas que de 5 %d'entre eux au XVIIIe siècle.

Mais, au-delà de cette présence accrue de grands-parents plus actifs, c'est le type même de leur relation avec le reste de la famille qui a changé. Il faut dire que les nouveaux grands-pères et grands-mères d'aujourd'hui sont les soixante-huitards d'hier, ceux-là même qui ont rejeté le modèle des relations d'autorité entre générations et réclamé davantage d'autonomie. Les « nouveaux modes d'être en famille », qu'ils ont contribué à faire émerger, se caractérisent aujourd'hui par des relations plus choisies, plus affectives que contraintes entre générations, explique Claudine Attias Donfut. Et ils serviraient de cadre à un rôle des grands-parents « d'une ampleur inédite ».

Garder les petits-enfants : jusqu'où ?

L'investissement de ces derniers auprès de leurs petits-enfants semble en effet être le prolongement de l'investissement général auprès des enfants. Ainsi, le fait que 82 % des grands-parents gardent plus ou moins régulièrement les petits-enfants (ils le font davantage que les générations précédentes) et que le quart des enfants de moins de 3 ans soit gardé de manière permanente par une grand-mère, ne serait pas seulement une réponse contrainte à l'augmentation du travail des femmes. Il s'agirait aussi, selon les sociologues, « d'un véritable choix », une grande partie de ceux interrogés à ce sujet se disant même « prêts à en faire plus ». Essentiellement une affaire de femmes (de mère à grand-mère), ce rôle de garde, en semaine et pendant les vacances, implique aussi de plus en plus les grands-pères. Et loin du simple gardiennage, tous deux jouent, lisent des histoires, emmènent en promenades, participent aux loisirs du petit-enfant. Laissant le plus souvent les aspects éducatifs aux parents, surtout lorsque la garde est occasionnelle, les grands-mères « cherchent plutôt [...] une relation immédiatement gratifiante avec le bébé, par exemple dans le sens d'une plus grande proximité physique (consolation, présence immédiate au réveil) et sans recourir aux sanctions », constate Benoît Schneider. Cette longévité de la relation et ces contacts plus directs entre générations créent une nouvelle qualité des liens au point par exemple, note Serge Tisseron, psychanalyste, de bouleverser le statut des secrets de famille. Il est en effet de plus en plus fréquent, selon lui, que les petits-enfants, évolution des mœurs aidant et « n'étant pas tenus au même secret », posent à leurs grands-parents des questions que leurs parents n'avaient jamais osé aborder.

Tout serait donc rose dans ce nouvel art d'être grands-parents ? Rien n'est moins sûr. Car l'équilibre entre la complicité et la distance éducative qui caractérise, à gros traits, le rôle de ceux-ci est fragile. Ne peut-on pas craindre entre autres, avec Yvonne Castellan, professeur honoraire de psychologie clinique, que « la mission de gardiennage qu'ils assument, parfois à plein temps, ne les prive de leur rôle de grands-parents proprement dit »  ?Sans compter que celui-ci n'est pas toujours facile à gérer pour les jeunes grands-mères, elles-mêmes encore dans la vie active. En outre, cette place, qui n'est plus dictée par un modèle social rigide, est à construire, à négocier et renégocier sans cesse avec les parents et les enfants. Dans ce rôle de composition, les grands-parents gagnent souvent en liberté, mais au prix d'interrogations plus grandes quant à leur degré d'implication éducative : puis-je imposer des horaires plus rigides que les parents ? Suis-je autorisée à apporter une formation religieuse alors que les parents ne le font pas ? Pour répondre, chacun puise dans ce « télescopage du passé et du présent » que provoque inévitablement l'arrivée du petit-enfant, et où, dans un même mouvement, la nouvelle grand-mère ou le nouveau grand-père « s'identifie à l'enfant qu'il a été et à l'aïeul disparu », rappelle joliment Héléna Tennenbaum, psychanalyste. Quoi qu'il en soit, il faut accepter de jouer un rôle secondaire, de faire le deuil, pour la grand-mère, de sa maternité. A moins de ne pouvoir tenir sa place et de devenir une de ces grands-mères omniprésentes et abusives qui cherchent plus ou moins consciemment à supplanter la mère.

Grands-parents du divorce

Tenir sa place. Voilà qui est devenu quelquefois singulièrement difficile. Parfois refusée, elle est à prendre, à bâtir ou à défendre. En effet, quand ils ne sont pas eux-mêmes divorcés, les grands-parents actuels ont affaire, de plus en plus, à des configurations familiales nouvelles.

Ils peuvent constituer un recours, voire un refuge pour les petits-enfants en cas de conflit familial, l'éclatement du couple pouvant leur assigner, pendant un temps, un statut de pilier, voire de « gardien de l'institution familiale et du lien de filiation », précise Claudine Attias-Donfut. Et si ce rôle est certes gratifiant, il n'est pas facile à jouer quand il s'agit de recueillir, chez soi, mère et enfant. Quelques années après, il s'agit d'accueillir, éventuellement, de nouveaux petits-enfants, issus d'un remariage, et de se faire une place « d'adoption » auprès de ces enfants qui ont déjà quatre grands-parents. Cette fonction de « beaux-grands-parents » prend alors tous les visages : selon la situation, elle est totalement investie ou complètement délaissée. Mais le divorce remet parfois en cause les relations avec les petits-enfants quand la rupture concerne toute la famille et que la belle-fille, par exemple, refuse aux grands-parents le droit de voir leurs descendants. Une séparation d'autant plus mal vécue que l'engagement des aïeux était généralement important. Le contentieux relatif aux relations des grands-parents avec leurs petits-enfants a d'ailleurs considérablement augmenté. Les aïeuls font en effet jouer l'article 371-4 du code civil qui, depuis 1970, reconnaît le droit de l'enfant à avoir des relations personnelles avec ses grands-parents et assure ainsi un droit de visite pour ces derniers. Toutefois, ce droit n'est pas absolu puisque le juge aux affaires familiales est tenu de faire primer l'intérêt de l'enfant.

« Nous recevons très souvent des appels de personnes démunies et qui ne savent plus quelle démarche entreprendre pour renouer les liens », constate d'ailleurs Françoise Augustin, consultante juridique à « Allô grands-parents »   (3). Ce service d'écoute et de conseils fait partie de l'Ecole des grands-parents européens (EGPE)   (4), structure associative proche de l'Ecole des parents et des éducateurs. Elle a été créée en 1994 pour répondre « aux besoins d'ordre personnel, familial et social de la génération des 55-75 ans, au travers des liens grands-parents/petits-enfants ». Ses salariés - des juristes et des psychologues notamment - ont ainsi reçu 1 600 appels en 1996 et 2 700 environ en 1997, les deux tiers concernant des situations de rupture entre générations. La plupart souhaitent parler à un juriste, mais, selon l'association, 23 % des appels concernent des problèmes psychologiques (intolérances, impressions de mise à distance) et 4 % la scolarité des petits-enfants. Révélatrice des difficultés des nouveaux grands-parents de 55 à 70 ans, l'EGPE est également représentative, à travers la réflexion et les actions qu'elle mène, de cette génération devenue intermédiaire avec l'allongement de la durée de la vie. Laquelle, consciente de son potentiel, de ses énergies et des mutations de la famille, entend être grands-parents « autrement ».

Les passeurs de la mémoire

Car enfin, et ce n'est pas là la moindre des difficultés, il n'est pas aisé d'être des « aïeuls modernes ». Ils sont tiraillés entre l'injonction à rester jeunes, par les apparences et dans leurs activités, et leur place dans l'ordre des générations, qui fait d'eux les passeurs de la mémoire, les témoins du passé. Une mission grand-parentale qui coïncide difficilement avec l'image dynamique que certains quinquagénaires, voire septuagénaires entendent donner d'eux-mêmes. Pas question, pour certains, rappelle Martine Ségalen, d'assumer un « mamie » ou « mémé » à l'aube des 50 ans, termes décidément trop vieillots et volontiers laissés aux arrière-grands-parents, quand ils sont encore là. Quid, dès lors, des repères que constituent les noms génériques communs désignant la filiation ? Délicat également de représenter sereinement, aux yeux du petit-enfant, le temps qui passe, la dégradation corporelle, bref de le familiariser avec la mort qui vient pour tous, dans une société qui préfère la cacher. Un rôle tout à fait essentiel pourtant et que joueront inéluctablement tous les grands-parents au moment de leur mort. A condition, comme le rappelait Françoise Dolto, que l'enfant ne soit pas tenu à l'écart de l'enterrement et du deuil, moment de prise de conscience de la temporalité de l'existence humaine.

Valérie Larmignat

Notes

(1)  Colloque organisé les 6 et 7 novembre 1998 - Université Nancy-II - Département de psychologie : 3, place Godefroi-de-Bouillon - BP 3397 - 54015 Nancy cedex - Tél. 03 83 96 71 13.

(2)  Voir notamment leur ouvrage : Grands-parents, la famille à travers les âges - Ed. Odile Jacob - 135 F.

(3)   « Allô grands-parents »  : 01 44 93 44 90.

(4)  EGPE : 12, rue Chomel - 75007 Paris - Tél. 01 45 44 34 93.

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