« La question de l'inscription concrète du travail social et de ses acteurs professionnels dans les enjeux du politique est à la fois un sujet tabou et un élément d'actualité incontournable. La notion de dynamique d'actions a l'intérêt de renvoyer dos à dos deux approches trop souvent jugées antagonistes : faut-il voir se mobiliser les professionnels du secteur socio-médico-éducatif autour d'une réflexion intellectuelle porteuse de sens mais peu pragmatique, ou convient-il de promouvoir les actions militantes d'un mouvement de professionnels engagés au risque de trop coller aux urgences du moment ? Nous considérons que ces deux démarches sont compatibles et même complémentaires. »
« Nous constatons la montée en puissance d'une idéologie mondialiste ultra-libérale, dont la première conséquence sur notre société semble être l'effondrement des idées de perspectives et de projets, y compris politiques, pour favoriser la notion d'urgence sous pression économique. Dans ces conditions, il importe de clarifier les rapports du travail social avec les valeurs humanistes porteuses d'espoir, ainsi qu'avec les tenants et aboutissants d'une conception socio-économique à réinterroger. De même, le constat de la désertion, par les professionnels du secteur, de l'espace du politique au sens large de débats, de mouvements de contestation et de dynamique de lutte, nous pousse à reconsidérer la légitimité du travail social dans sa capacité à exprimer une critique sociale argumentée. Les professionnels socio-éducatifs doivent prendre conscience de leur appartenance à un collectif porteur de pratiques et d'expériences elles-mêmes inscrites dans un rapport de force dans un système législatif donné et dans des choix politiques. Cette prise de conscience est le préalable à l'émergence d'un statut reconnu d'acteur professionnel du social, et non de simple élément d'un système de régulation normatif de la société. »
« Traduire un engagement technique et politique en stratégie de positionnements et d'actions impose de questionner quelques fausses évidences : quelles sont les valeurs partagées ? Qu'appelle-t-on capacité d'expertise ? De quel type de positions politiques est-il question ? La démarche éducative est au centre de nos préoccupations : engagement des acteurs, reconnaissance de l'autre, recherche de libre arbitre du sujet, nous semblent les constantes de toute démarche d'éducation. A ce titre, l'approche éducative des interventions sociales visant au libre arbitre des usagers dans une perspective d'autonomie, permet de faire appel aux ressources propres et à la responsabilité des personnes. Au-delà de l'accompagnement vers l'autonomie et de l'aspect aléatoire de cette démarche pour les individus les plus fragiles, la question du droit à l'émancipation de chacun au sein d'une société solidaire est un enjeu central pour le travail social. »
« Organiser, au sens large, la relation à l'autre dans “la vie de la cité” correspond bien à une fonction politique. La légitimité des missions que nous exerçons vient s'inscrire dans cette fonction de société. Nous avons la chance de développer nos pratiques professionnelles au sein d'une société démocratique et d'un Etat républicain, dont même la Constitution affirme la raison d'être sociale. Cela ne doit pas nous dispenser d'être les acteurs vigilants d'une démocratie plus active et plus délibérative à l'écoute de ses membres les plus en marge : la citoyenneté ne s'octroie pas elle se conquiert à travers la capacité à faire entendre sa voix et à exercer ses devoirs. »
« Qu'en est-il de la légitimité des travailleurs sociaux et de leurs institutions à exprimer une critique sociale ? Cette capacité singulière d'expertise nous semble résider dans la conjonction des identités d'acteurs professionnels et d'acteurs citoyens. En tant que professionnels, il nous appartient de mettre en œuvre les politiques sociales arrêtées par le législateur à travers un certain nombre de missions. Nous sommes les témoins privilégiés de leur impact auprès des usagers, de leur efficacité, comme de leur éventuelle incohérence. La mise en évaluation permanente de ces missions et la relecture constante du sens des actes accomplis, font partie de la déontologie professionnelle. Construire des stratégies au contact des populations dans la continuité des orientations voulues par les décideurs, les élus et les institutions, n'est pas chose simple pour des professionnels souvent méprisés par les politiques, peu enclins à prendre en compte une expérience pourtant bien réelle. En tant que citoyens, comment ne pas réagir à cet état de fait ainsi qu'aux violences, bien souvent inacceptables, faites inconsciemment aux usagers les plus démunis ? »
« Revendiquer un statut d'acteurs du social en tant que professionnels engagés politiquement revient, alors, à prendre position : »
« Pour un décloisonnement de la réflexion et de l'élaboration au sein des divers champs d'activité de l'action sociale et des différents statuts professionnels ! Nous souhaitons nous associer à une réflexion sur les orientations des formations initiales de travailleurs sociaux : la mobilité et l'adaptabilité des professionnels doivent être favorisées en développant les notions de métiers et de missions, au moins autant que d'identité statutaire liée à tel ou tel cadre d'exercice. Nous regrettons la logique segmentaire de certains organismes de formation continue, de colloques et autres lieux d'échanges de savoirs et d'expériences, lorsqu'elle consiste à s'enfermer sur des marchés captifs. Nous constatons l'émergence d'associations d'étudiants, vecteurs d'une démarche d'engagement critique des futurs professionnels vis-à-vis des institutions nous encourageons ce phénomène.
« Pour l'expression argumentée d'une critique sociale concernant les faits de société en lien avec l'exercice d'une pratique professionnelle ! Nous pointons l'incompatibilité de toute mission d'action sociale avec l'existence de zones de non-droits. L'action des professionnels est vouée à l'inutilité dès lors qu'elle s'exerce auprès de personnes arbitrairement privées des droits minimum attachés à la citoyenneté. Ainsi, nous dénonçons les conditions actuelles de détention du système pénitentiaire français nous regrettons la non-régularisation d'un nombre important de sans-papiers, entretenus de facto dans un statut de clandestinité. Nous nous inquiétons, également, de la surjudiciarisation du dispositif de protection de l'enfance, faute des moyens et de la volonté nécessaires à une logique de prévention. Nous considérons que le recours de plus en plus important à la justice pénale pour endiguer un sentiment d'insécurité conduit à une impasse bien qu'il s'agisse de faire face à une massification des phénomènes de transgression, c'est la construction commune d'une sécurité axée sur la solidarité qui doit être recherchée.
« Pour la promotion d'une citoyenneté active reposant sur le libre arbitre des personnes, dans le cadre d'une démocratie délibérative à l'écoute de chacun de ses membres ! Nous souhaitons réinterroger la pertinence des niveaux actuels de décentralisation de l'action sociale. L'échelon départemental a été privilégié par la décentralisation, sans pour autant faire preuve de son opérationnalité en termes de démocratie locale. La redistribution des niveaux de compétence entre Etat, régions, départements et municipalités doit être étudiée de façon concertée entre acteurs professionnels et élus politiques. Pour nous, la responsabilité de l'Etat en matière de cohésion sociale doit s'exprimer par l'accompagnement et le soutien des expériences locales de confrontation directe entre les usagers et les structures, entre les citoyens et les élus. L'Etat doit également réaffirmer son rôle de garant de cette cohésion sociale.
« Pour la multiplication des expérimentations citoyennes et pour le respect des espaces de concertation démocratique légalement institués ou à inventer dans une perspective de médiation sociétale ! Nous nous réjouissons que le projet de réforme de la loi de 75 mette en avant des garanties pour l'usager des organisations de l'action sociale et médico-sociale. Ainsi, le renforcement de la législation concernant les conseils d'établissements nous paraît une bonne chose, de même que la finalité énoncée d'une telle réforme allant dans le sens de garantir à l'usager “l'exercice effectif de la citoyenneté”. Nous pensons, par ailleurs, que le rapport Sueur sur la politique de la ville n'a pas suffisamment influencé les orientations gouvernementales en matière d'instances délibératives à mettre en place pour élaborer les projets de ville :les assemblées d'agglomérations élues au suffrage universel direct correspondent à une logique de concertation démocratique nécessaire. Enfin, les réflexions se multiplient autour de la promotion d'espaces publics autonomes favorisant les lieux d'échanges d'expérience et de savoir au niveau des usagers eux-mêmes.
« Voilà ce qui pourrait représenter les prémices de chantiers thématiques propres à développer une argumentation étayée sur chacune des positions politiques que nous souhaitons défendre. C'est à partir de ce travail, que nous trouverons légitimité à entreprendre des actions et à être acteurs du changement. »
Bernard Cavat DIRECTEUR DE SERVICE ÉDUCATIF Secrétaire général du mouvement Education et société 9, chemin des Bas-Refoux 49610 Saint-Melaine/Aubance Tél. 02 41 45 49 09.