ASH : En quoi le RMI fait-il date dans l'histoire de la recherche sur les politiques sociales ? M.L. : Il faut rappeler que jamais aucune prestation n'avait fait l'objet d'autant d'études. En ce sens, on peut donc dire que le RMI a représenté un tournant en matière d'évaluation des politiques publiques. En fait, on a commencé à parler du RMI dès avant la loi de 1988. En effet, certains chercheurs s'intéressaient depuis longtemps à l'allocation universelle. De son côté, l'Union européenne menait un certain nombre de recherches autour des minima sociaux, dans le cadre des programmes « Pauvreté ». Et puis, peu de temps avant la mise en œuvre du RMI, il y a eu une série de travaux sur les expériences engagées dans plusieurs villes et départements. Mais la grande période de production intellectuelle sur le RMI est évidemment celle qui va de 1988 à 1992. Cette dynamique a été essentiellement impulsée par la Commission nationale d'évaluation (2), même si plusieurs organismes, dont la CNAF et la MIRE, ont lancé parallèlement leurs propres programmes. Il y a eu alors profusion de recherches, la plupart étant synthétisées dans le rapport présenté, en 1992, par Pierre Vanlerenberghe qui présidait la commission d'évaluation. Globalement, il s'agissait de travaux peu théoriques et plutôt descriptifs, à visées opérationnelles, l'objectif des chercheurs étant surtout de décrire une nouvelle population d'allocataires et d'analyser leurs différents parcours. En revanche, on a probablement raté l'opportunité d'une véritable théorisation de l'insertion et de l'exclusion. Peut-être parce que l'on a replié trop tôt le dispositif d'évaluation. ASH : Justement, après cette première phase très riche, l'intérêt des chercheurs pour le RMI semble s'être émoussé. M.L. : De fait, après 1992, il n'y a plus eu de commandes de l'Etat ou des collectivités territoriales sur le thème du RMI, mais il se passait quand même des choses. En effet, un certain nombre de chercheurs ont continué à exploiter les matériaux qu'ils avaient engrangés. Une vingtaine de thèses en sociologie, en économie ou encore en ethnologie, ont ainsi été publiées. Il y a eu également toute une série d'ouvrages importants. Je pense, notamment, à celui de Robert Castel sur Les métamorphoses de la question sociale qui ne porte pas directement sur le RMI, mais qui n'existerait sûrement pas sans lui. Et puis, à partir de 1995-1996, on a vu apparaître des travaux ne traitant plus du RMI en tant que tel mais, plus globalement, du problème de la pauvreté et de l'exclusion. Le rapport sur la grande pauvreté, présenté en 1995 par le Conseil économique et social (3), entre dans cette catégorie. Enfin, à partir de 1997, on voit réapparaître des études centrées directement sur le RMI, impulsées, d'une part, par des collectivités territoriales qui veulent mesurer l'efficacité du dispositif et, d'autre part, par l'appareil d'Etat. Il s'agit, par exemple, de l'enquête commandée au Crédoc sur les entrants au RMI et de celle que mène actuellement l'INSEE sur les sortants. Cependant, il est clair que le débat de fond ne porte plus sur le RMI, qui est désormais installé dans le paysage social, mais, comme l'a montré le mouvement des chômeurs, sur l'ensemble des dispositifs de protection sociale et de lutte contre la pauvreté. Quant à la loi contre les exclusions, même si sa mise en œuvre doit faire l'objet d'un rapport au Parlement tous les deux ans (4), on n'est pas dans une grande évaluation du type RMI. Propos recueillis par J.V.
(1) ENSP : avenue du Professeur-Léon-Bernard - 35000 Rennes - Tél. 02 99 02 22 00.
(2) Voir ASH n° 1776, du 13-03-92.
(3) Voir ASH n° 1935 du14-07-95.
(4) Voir ASH n° 2084 du 11-09-98.