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Faut-il célébrer l'anniversaire du RMI ?

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Avec 3,4 millions de personnes prises en charge depuis sa création, en 1988, le RMI est devenu incontournable dans le paysage des politiques sociales. Certes, il n'assure qu'un revenu de survie. Bien sûr, l'insertion est loin d'être garantie. Il n'en joue pas moins le rôle d'un ultime filet de sécurité dont il faudrait sans doute encore resserrer les mailles.

De fait, s'il a pu être présenté comme une avancée sociale sous le gouvernement Rocard, le RMI est aujourd'hui l'objet d'un discours politique plus nuancé. « On n'a absolument pas à se glorifier » du nombre de personnes actuellement au RMI, indiquait d'ailleurs, le 30 novembre, Martine Aubry. « La majorité [des allocataires] veulent sortir de l'assistance », affirmait-elle, car cette allocation « ne permet que de survivre et non de vivre normalement ». Prudence, volonté de ne pas attiser à nouveau la colère des associations de chômeurs ? La ministre de l'Emploi et de la Solidarité s'est, en tout cas, défendu de « donner lieu à une quelconque célébration » des dix ans du RMI. C'est davantage l'occasion de faire le point sur l'efficacité du dispositif, affirme-t-elle, regrettant qu'en dépit « de résultats incontestables, l'insertion soit restée en deçà des besoins ». En outre, d'aucuns s'interrogent sur l'utilité de focaliser le débat sur le RMI, car, expliquent-ils, les attentes sont « hors de proportion » avec un dispositif forcément lié à l'ensemble des politiques sociales.

Et si le RMI n'existait pas ?

Au demeurant, si depuis 1988 le RMI a suscité et continue de provoquer autant de débats, c'est que cet ultime filet de protection sociale porte en lui cette contradiction :avancée sociale ou reconnaissance de l'incapacité de la société à sortir les gens de l'exclusion ? « C'est le verre à moitié vide et à moitié plein », résume Pierre Vanlerenberghe, ancien président de la Commission nationale d'évaluation du RMI (1) et actuellement chef du service des affaires sociales au Commissariat général du Plan, pour qui le RMI reste « toujours une réussite en soi ». Il fallait bien, en effet, répondre à la montée inquiétante de la pauvreté et à l'insuffisance des dispositifs d'aide sociale pour y faire face. « Sur ce point, il a d'ailleurs clos notre système de protection sociale en donnant à tout individu la possibilité d'avoir un minimum de moyens de subsistances », affirme-t-il. Un avis que beaucoup partagent, n'hésitant pas à retourner la question : que se serait-il passé si le RMI n'avait pas existé ? « On imagine mal quel paysage social dévasté nous aurions aujourd'hui sans le RMI », déclare ainsi Michel Raymond, l'ancien délégué interministériel adjoint au RMI. Argument que reprend également Martine Aubry soulignant que le RMI a « l'immense mérite d'exister ».

Adoptée à l'unanimité par le Parlement le 30 novembre 1988 et promulguée le 1er décembre sous le gouvernement Rocard, la loi relative au revenu minimum d'insertion a été effectivement novatrice dans ses principes. Elle a instauré le droit à un revenu minimum et à des droits dérivés, le droit d'accès à des procédures d'insertion ainsi que la nécessité d'une mobilisation des politiques de l'Etat et des acteurs décentralisés. Mais elle s'est heurtée au problème du retour à l'emploi à un moment où la conjoncture se dégradait. «  Et alors qu'au niveau national les politiques de l'emploi ont varié au cours du temps, la mobilisation complexe des partenaires au niveau local a fait place à la fatigue, à l'incertitude et au découragement face à l'absence d'offres d'emploi », analyse Pierre Vanlerenberghe.

De fait, le nombre des allocataires a vite dépassé toutes les estimations. En effet alors que les concepteurs du dispositif tablaient sur un chiffre n'excédant pas 470 000 à terme, on en comptait déjà près de 600 000 en 1991 et plus de un million après dix ans d'existence (voir encadré). Ce qui correspond, au total, à 3,4 millions de personnes « entrées » dans le dispositif depuis l'origine et 2,3 millions qui en sont sorties. « L'insertion si souvent décriée ne marche pas si mal », note Michel Raymond, ajoutant que « le RMI créé à cause de la crise sociale et économique ne peut à lui seul régler tous les problèmes économiques et sociaux ». 65 000 personnes (en métropole), cumulant pour la plupart de très lourds handicaps, sont cependant enkystées dans le RMI depuis 1988. « Elles sont dans l'ensemble bien connues et suivies par les services sociaux », assure-t-on au ministère.

Reste que, comme le reconnaît Martine Aubry, le RMI demeure un revenu de survie permettant, tout juste, de garder la tête hors de l'eau. Car, partant du principe qu'il n'avait pas vocation a être perçu durablement, il a été fixé, dès l'origine, à un niveau objectivement bas. De plus, il a été peu revalorisé puisqu'il est passé de 2 000 F par mois pour une personne seule, en 1988, à 2 429,42 F en 1998  (2 138 F pour ceux qui sont hébergés gratuitement ou touchent une allocation de logement). Conséquence : l'écart entre le RMI, indexé sur les prix, et le SMIC, qui a connu plusieurs « coups de pouce », s'est accru depuis dix ans, rendant de moins en moins justifiée la crainte que l'allocation soit désincitative à la reprise du travail. Même si l'on ne saurait oublier que le RMI n'est pas seulement un revenu monétaire, un certain nombre d'avantages connexes s'y rattachant, notamment en matière de soins, d'aide au logement et d'insertion. Ce qui complique la comparaison avec les autres minima sociaux ou avec le SMIC.

Revaloriser...

Faut-il alors revaloriser - au-delà des 1,2 %prévus dans la loi de finances 1999 - le montant du RMI, qualifié aujourd'hui de « Revenu Manifestement Insuffisant » par le Mouvement national des chômeurs et précaires  (MNCP)  ?De plus en plus de voix le réclament, à commencer par Jean-Michel Belorgey qui préconise, dans nos colonnes , une augmentation de l'ordre de 40 % pour les personnes isolées. La hausse du RMI, et de l'ensemble des minima sociaux, est également le cheval de bataille des associations de chômeurs et précaires (MNCP, AC !, APEIS...). Suite à leur mouvement de l'hiver dernier, le gouvernement avait d'ailleurs adopté plusieurs mesures, en partie inspirées par le rapport Join-Lambert sur les minima sociaux (2), dont la création du Fonds d'urgence sociale et le renforcement du cumul des minima sociaux  (dont le RMI) et des revenus d'activité qui vient de faire l'objet d'un décret d'application . Des réponses jugées cependant insuffisantes par les associations qui exigent toujours une hausse de 1 500 F de tous les minima sociaux. Le principe d'une revalorisation de l'allocation est également défendu par les grands réseaux associatifs, en particulier au sein du collectif Alerte. Pour eux, le montant du RMI doit être « revalorisé et indexé comme le SMIC », dans la mesure où « sa faiblesse actuelle condamne encore beaucoup de personnes à la survie quotidienne et les entrave dans la réalisation de leurs projets à plus long terme ». La Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale  (FNARS) proposant de fixer le plancher du RMI à 3 300 F, c'est-à-dire au niveau du seuil de pauvreté. Quid alors de l'écart avec le SMIC et des risques de désincitation au travail ? Par ailleurs, au cabinet de Martine Aubry, on souligne qu'avec la possibilité de cumuler le RMI et certaines prestations familiales (3), le montant de l'allocation a augmenté, de fait, pour les familles.

Autre question : faut-il ouvrir le RMI aux moins de 25 ans (2)  ? Le législateur et les différents gouvernements s'y sont toujours refusés. « Pour les jeunes, ce que nous devons trouver, c'est l'emploi. Ce n'est pas un revenu d'assistance au début de leur vie », martelait ainsi Lionel Jospin, en février dernier, misant sur le dispositif TRACE. A l'inverse, les associations de chômeurs exigent depuis longtemps la création d'un RMI-jeunes afin d'éviter à ceux qui se trouvent le plus en difficulté de s'enfoncer inexorablement dans « la galère ». Quant au réseau Alerte, longtemps réservé sur cette question, il affirme aujourd'hui que tout jeune de moins de 25 ans doit pouvoir bénéficier « d'un parcours d'insertion assorti d'un plancher de revenu ». Une logique que la FNARS pousse à son terme en demandant que « personne ne soit exclu » du droit à un revenu minimum, ni les jeunes, ni les prisonniers, ni les personnes résidant en France régulièrement mais qui ne peuvent pas fournir la preuve de trois années de séjour régulier exigée pour obtenir le RMI.

Au final, tout le monde attend maintenant les effets concrets de la loi et du programme de lutte contre les exclusions, présentés comme « le pendant »   de la loi sur le RMI. Il s'agit d'un « outil majeur pour dynamiser l'insertion », affirme ainsi le gouvernement. Pour les associations, néanmoins, la vigilance reste de mise. En effet, rappellent-elles, « les objectifs fixés en matière de logement par la loi Besson, en 1990, ainsi que la réforme de l'aide médicale, en 1992, furent un progrès. Mais leur mise en application fut décevante ». Et elles s'alarment de la lenteur de certaines réformes, notamment de l'instauration de la couverture maladie universelle, pourtant promise depuis longtemps.

Isabelle Sarazin et Jérôme Vachon

RMI :on y entre moins, on en sort plus

On comptait 1,08 million d'allocataires au 30 juin 1998. Ce qui représente un peu plus de 2 millions de personnes concernées - 3,1 % de la population en métropole et près de 15 %dans les DOM - et un coût total, pour l'allocation, de 24,5 milliards de francs en 1997 et 25,9 milliards de francs prévus en 1998 (4). Le RMI a connu une croissance explosive jusqu'en 1994, avec une hausse moyenne de l'effectif de 15 % par an. Depuis, cette progression s'est cependant nettement ralentie : 4,7 % en 1995, 7, 5 % en 1996 et 5,8 % en 1997. Et, en 1998, pour la première fois, le nombre des entrées au premier semestre a été inférieur à celui de l'année précédente, sur la même période. A noter que la géographie du RMI recouvre globalement celle du chômage et des concentrations urbaines, les plus fortes densités d'allocataires étant situées dans les départements du Sud-Est, du Nord et de l'Ile-de-France. En outre, on quitte plus rapidement le RMI qu'auparavant. Les sorties sont en effet passées de 25 à 35 % de l'effectif total entre 1993 et 1997. Une rotation qui s'est accentuée l'an dernier, le solde entre les entrées et les sorties n'était plus « que » de 57 000 contre 120 000 quatre ans plus tôt. Un résultat que le ministère de l'Emploi et de la Solidarité attribue, notamment, à la baisse du chômage. Concrètement, en 1997, les 237 000 sorties du RMI vers l'emploi se répartissaient entre les secteurs marchand (75 000 recrutements non aidés, 35 700 CIE, 12 000 entrées dans l'insertion par l'économique et 7 000 créations d'entreprise) et non-marchand (98 300 CES et 9 000 CEC, les DOM comptabilisant 27 800 entrées dans les mesures pour l'emploi). Des chiffres qu'il convient toutefois de nuancer, car sur le total des personnes sortant du dispositif, 15 à 20 % y reviennent. Autrement dit, si le RMI constitue, pour certains, le tremplin vers une insertion stable il n'est, pour d'autres, que l'une des étapes du cycle de la précarité : travail précaire, chômage, RMI... Sachant que si la moitié sont dans le dispositif depuis moins de deux ans, à l'inverse, en métropole, 7 % des allocataires, soit environ 65 000 personnes, y sont depuis sa création. Par ailleurs, il subsiste de fortes disparités départementales en matière d'insertion. En effet, si la majorité des départements respectent leurs obligations dans ce domaine, plus d'une dizaine enregistre des taux de consommation de leurs crédits d'insertion inférieurs à 85 % (ils étaient plus de 20 en 1995). Ce qui, selon le ministère, « reflète l'inégale implication des acteurs départementaux ». Résultat : le « taux de couverture » (la proportion des bénéficiaires accédant à un emploi) va de 1 à 7. Ainsi, avec un taux de chômage particulièrement élevé, les départements du Nord et du Pas-de-Calais obtiennent un taux de couverture proche de la moyenne nationale (18,8 %) alors que ceux du pourtour méditerranéen oscillent entre 14 et 16 % et ceux de la région parisienne entre 6 et 13 %. Reste qu'au niveau national, le taux de consommation des crédits d'insertion est considéré comme satisfaisant,  flirtant avec les 94,5 % du montant de l'obligation légale et des concours (FSE notamment), soit, en 1997, un total de 4,4 milliards de francs. Une fois déduits les 15 %consacrés à l'aide médicale, ces crédits se répartissent entre l'insertion professionnelle  (41 %), l'insertion sociale (27 %), le logement (11 %) et les actions de santé (4 %). A cela s'ajoutent les frais de structure qui se montent à 16 %. Plus concrètement, le nombre des contrats d'insertion signés a connu une hausse de 12 % entre 1996 et 1997, pour atteindre 711 797 en métropole. Dans deux cas sur trois, ils portent sur l'insertion professionnelle : réalisation d'un bilan, aide à la recherche d'emploi, entrée en stage ou en formation... Quant au profil des allocataires, on est loin de l'image stéréotypée du SDF. En effet, on trouve moins de 10 % de personnes vivant dans des conditions d'habitat précaires et moins de 4 % de sans domicile fixe (l'accès au logement reste cependant un problème criant, le tiers des personnes au RMI étant hébergées chez des parents ou des amis). Tout en étant relativement hétérogène, le profil des allocataires n'a d'ailleurs que peu évolué depuis la création du dispositif avec 60 % de personnes isolées (surtout des hommes), 20 % de familles monoparentales et 20 % de couples. Et, au total, il y a autant d'hommes que de femmes dans le dispositif. Enfin, si les moins de 30 ans sont relativement nombreux (trois sur dix), leur part n'a quasiment pas varié depuis 1989 - elle était même en baisse de 2,3 % en 1997 - alors que l'effectif total était multiplié par trois.

Notes

(1)  Voir ASH n° 1776 du 13-03-92.

(2)  Voir ASH n° 2062 du 13-03-98.

(3)  Voir ASH n° 2091 du 30-10-98.

(4)  Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité rappelle que le RMI est une prestation très contrôlée avec un taux de fraude extrêmement marginal, de l'ordre de 0,6 %. Par ailleurs, il indique que 30 000 suspensions du RMI sont prononcées chaque année à l'encontre d'allocataires refusant un emploi sans motif légitime ou ne voulant pas s'engager dans une démarche d'insertion.

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