Recevoir la newsletter

« Le RMI a changé ma pratique »

Article réservé aux abonnés

Assistante sociale de polyvalence en 1988, Catherine Hébert dirige aujourd'hui le service spécialisé chargé du RMI de la ville d'Aubervilliers (1). Entretien sur dix années de RMI au quotidien.

Actualités sociales hebdomadaires  : Comment, en 1988, en polyvalence, avez-vous vécu l'arrivée du RMI ? Catherine Hébert  : Il y a eu des réactions assez diverses et, en fait pas très positives dans un premier temps. On avait le sentiment d'un dispositif qui nous tombait dessus sans qu'il y ait eu de concertation avec le terrain. Et la loi avait décidé que les services sociaux devaient s'occuper du volet insertion... vaste domaine ! Le démarrage s'est donc fait dans le flou. En ce qui concerne l'insertion sociale, nous n'avions bien entendu pas attendu le RMI pour nous y atteler. Ce qui, pour nous, était plus difficile à aborder, c'était l'insertion professionnelle. Nous n'étions pas formées dans ce domaine. Nous avions des connaissances sur la législation du travail et sur les droits des chômeurs, mais le champ de l'emploi et de la formation ne faisait pas partie, a priori, de nos compétences. Il y a donc eu beaucoup d'interrogations sur ce sujet. Mais, dans le service, vous étiez favorables au dispositif et à l'idée de contrat ? - En fait, le contrat et son aspect obligatoire ont suscité beaucoup de débats et aussi des résistances. Il a d'abord été vécu comme un objet de contrôle. Et si les assistantes sociales, dans leur grande majorité, se sentaient en phase avec l'idée de donner l'allocation aux gens pour leur garantir un minimum vital, elles voyaient mal avec quels moyens on allait répondre à la demande d'insertion. Cette question des moyens était centrale puisque les programmes départementaux d'insertion ont mis du temps à se mettre en place. Et il faut dire, qu'au début, les départements n'étaient pas plus avancés que nous sur la question. Au-delà des débats, comment vous êtes-vous organisées concrètement ? - Les assistantes sociales se sont saisies différemment de cette question. J'ai fait partie de celles qui s'y sont fortement intéressées. Dans un premier temps, on a essayé de voir ce que l'on pouvait faire avec les allocataires que l'on connaissait déjà sur les secteurs. On a également commencé à rencontrer les commissions locales d'appui, composées de représentants de l'Etat et du département, qui étaient censées nous aider pour orienter des personnes vers des actions de formation notamment. Mais il faut quand même se rappeler qu'au tout début l'ANPE n'était pas associée. Ce n'est qu'à l'automne 1990 que le conseil général de la Seine-Saint-Denis a financé des postes à l'ANPE pour s'occuper exclusivement des allocataires du RMI. Pendant l'année et demie qui a précédé, il a donc fallu faire un moment sans cet organisme. Et ce que l'on craignait se vérifiait : nos compétences d'alors n'étaient pas adaptées aux nouvelles tâches à effectuer. On était vraiment en difficulté : pointer les problèmes sociaux des gens, on savait faire mais pas évaluer un parcours professionnel ou proposer une formation judicieuse. Or, on n'avait pas envie de « remplir des actions de formation » ni de mettre les gens dans des cases. C'est ce qui vous a amenées à créer un service spécialisé ? - Nous avons fait alors un autre constat important qui nous a amenées à la création d'un service spécialisé. La ville d'Aubervilliers était déjà fortement touchée par la précarité et le chômage, et la montée en charge du dispositif a été très rapide. Nous nous sommes aperçues alors, que nombre d'allocataires n'étaient pas connus de la polyvalence, ou ne l'étaient plus depuis longtemps. Et sur certains secteurs, ils représentaient jusqu'à 50 % de la population au RMI. Il s'agissait d'ailleurs de toute une frange de population pour laquelle, avant ce dispositif, aucune réponse n'existait, si ce n'est quelques solutions extrêmement ponctuelles de type aides alimentaires. Le secteur pouvait-il et avait-il les moyens d'aller au devant de cette population croissante ? Compte tenu de notre charge de travail, déjà importante à l'époque, nous pensions que non. Quels étaient alors les avantages attendus d'une action en dehors de la polyvalence ? - Nous estimions qu'accueillir quelqu'un pour traiter avec lui l'insertion professionnelle, en plus des questions ordinaires de la polyvalence (dettes de loyers, aide alimentaire, violences conjugales), était difficilement gérable et ne nous semblait pas satisfaisant. Nous avons donc monté un service social spécialisé composé, à l'origine, de deux assistantes sociales. Ensuite, à partir de 1993, la ville a passé une convention avec le conseil général de la Seine-Saint-Denis pour organiser, sur le territoire communal, un service d'accueil RMI qui n'était plus « service social » au sens strict. Nous sommes passées peu à peu à une équipe de sept personnes, avec une éducatrice spécialisée et des formateurs pour adultes. L'idée était de mettre à la disposition des gens un espace où ils puissent aborder plus sereinement l'insertion professionnelle, sans toutefois exclure l'accompagnement social effectué en partenariat avec nos collègues polyvalentes du service municipal. Je crois que nous ne nous sommes pas trompées car en proposant un service distinct, on a créé un point de repère clair pour les gens. Et nous avons pu toucher ceux qui ne souhaitaient pas fréquenter le service social traditionnel. En quoi le RMI a-t-il changé votre pratique professionnelle ? - Pour moi, me spécialisant, le changement a été assez radical. Je n'avais plus le même champ d'intervention. Je ne m'occupais plus, par exemple, des aides financières autres que celles liées à la formation et à l'emploi. Et puis peu à peu, avec l'expérience - car nous n'avons pas bénéficié de formation particulière - nous nous sommes formées, de manière approfondie, sur le champ de l'insertion professionnelle : les métiers, le marché de l'emploi, les compétences professionnelles. Ce, qu'en fait, ont rarement pu faire les assistantes sociales de secteur. Il faut du temps pour connaître ce secteur vraiment complexe. Enfin, c'est une expérience qui m'a permis de développer davantage le travail en équipe et en partenariat. Vous y trouviez un plus, professionnellement ? - Travailler sur le RMI, ça a été surtout l'occasion de travailler avec la perspective que les gens s'en sortent. C'était envisager un travail social « en tirant vers le haut ». Mais je n'ai pas choisi de me spécialiser dans le RMI par dépit. En polyvalence, je trouvais mon activité passionnante. Il est vrai que j'avais le sentiment, souvent, de mettre des sparadraps sur des jambes de bois, sans sortir véritablement la personne de la précarité. Or, il est sûr qu'aboutir à une insertion professionnelle à l'issue du RMI donne l'impression d'avoir « gagné » quelque chose. Pensez-vous que le RMI a également changé les pratiques de vos collègues de secteur ? - Je pense que le RMI n'a pas changé, sur le fond, la pratique des professionnelles de polyvalence. J'ai l'impression que c'est simplement un autre moyen qui a été mis à leur disposition. Mais mon regard est particulier, car à Aubervilliers, l'existence de notre service a fait que, presque naturellement, la polyvalence a très vite cessé de gérer les contrats d'insertion et qu'elle s'en est dessaisie. Même si, sur le principe, elle peut toujours instruire des dossiers. Sur le terrain avez-vous vu évoluer le visage du dispositif ? - Indiscutablement, il y a eu notamment une très nette évolution au niveau du programme départemental d'insertion. Au début, le conseil général, faute de compétence, passait convention avec des organismes de formation qui ne connaissaient pas le public RMI. C'était assez maladroit et certaines formations restaient sans candidats car inadaptées. Aujourd'hui, le programme est réfléchi en fonction des besoins des gens et, nous-mêmes, nous avons appris à mieux nous servir des outils. Ce qui ne veut pas dire que tout est parfait. En dix ans, on a aussi vécu la montée en charge du dispositif. Sachant que la modification du régime de l'Unedic a marqué un tournant important. On a assisté à une nette recrudescence du nombre d'allocataires avec le passage à l'allocation unique dégressive. En fait, les gens arrivent plus vite au RMI. Et s'insèrent aussi moins facilement ? - Il est clair que la loi insiste sur la contrepartie et l'obligation d'insertion. Or, concrètement on a vu peu à peu beaucoup de personnes au RMI depuis des années pour lesquelles on pouvait se demander si l'allocation transitoire n'était pas devenue un RMI à vie. Il y a, aujourd'hui, des retraités dans le dispositif, qui n'ont pas accès au minimum vieillesse : pour eux, il s'agit effectivement d'un revenu de subsistance, d'existence. Mais il y a aussi des personnes de 40 ans qui ne semblent pas voir au-delà du dispositif. Toute cette population pose vraiment question. A Aubervilliers, avez-vous rencontré beaucoup de personnes qui semblaient ainsi ne plus pouvoir s'insérer ? - Martine Aubry a récemment envoyé une circulaire aux départements leur demandant de faire des bilans-diagnostics avec les allocataires du RMI qui sont dans le dispositif depuis dix ans. Cela a été l'occasion pour nous de constater que, sur Aubervilliers, 239 personnes sont au RMI depuis 1988, qui présentent pour beaucoup des problèmes de santé mentale. Ce qui n'est pas négligeable puisque cela correspond à presque 10 % de la population des allocataires sur la ville. On s'est aperçu que la moitié d'entre eux ne sont pas connus de la polyvalence et que notre service spécialisé n'en avait vu qu'une soixantaine. Beaucoup sont donc « dans la nature », sachant que certains, de fait, se débrouillent d'ailleurs comme ça, sans les institutions. Le problème est pour les autres, ceux qui sont incapables de se projeter dans l'avenir. Il y a souvent pour eux un travail d'accès au droit à faire, surtout pour les sans domicile fixe. Il est clair qu'il y a des réponses manquantes, par exemple en matière de santé, notamment sur le plan psychologique voire psychiatrique. Quelle insertion pour les gens qui sont au RMI faute d'accéder à l'allocation adulte handicapé ? Quel jugement portez-vous finalement sur ce dispositif ? - Le problème de fond, c'est qu'en 1988 certains croyaient encore au retour au plein emploi, alors qu'aujourd'hui tout le monde est d'accord pour dire que c'est un conte. Donc, si l'on considère que l'insertion c'est uniquement la sortie du RMI vers l'emploi, on sait bien que ça ne concernera jamais tous les bénéficiaires. Il est voué à devenir un revenu minimum d'existence pour un certain nombre d'entre eux, c'est évident. A partir de ce constat, sur quoi travaille-t-on avec ceux qui sont très éloignés de l'emploi ? L'insertion, ça peut être la protection sociale et un logement. Est-ce suffisant ? Pour certaines personnes, je pense que ça peut l'être. Mais je crois qu'il faut faire attention à ne pas mettre n'importe quoi dans ce contrat, il faut que ça garde du sens... Ça n'est pas facile. Je conserve néanmoins une vision positive, car notre travail consiste à dépenser beaucoup d'énergie, pour que quelques-uns s'en sortent et je vois finalement beaucoup de gens s'en sortir. Même s'il y a toujours autant de personnes qui demandent le RMI : aujourd'hui, à Aubervilliers, il y a entre 80 et 100 nouvelles demandes par mois. Propos recueillis par Valérie Larmignat

Notes

(1)  Service du dispositif RMI : 7, rue Gilles-Domart - 93300 Aubervilliers - Tél. 01 48 39 53 66.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur