36 280 personnes ont fait l'objet, en 1995, d'une naturalisation. Qui sont ces étrangers qui demandent la nationalité française et quelles sont leurs motivations ? Telles sont les questions que se sont posées deux sociologues du Crédoc à la demande de la direction de la population et des migrations. La synthèse qu'ils publient aujourd'hui (1) présente les résultats du dépouillement de 3 000 dossiers d'acquérants de la nationalité française couvrant trois années (1992,1994 et 1995) et d'entretiens plus qualitatifs. Des individus jusqu'ici mal connus et qui, « minoritaires » parmi les étrangers, se distinguent le plus souvent de leur communauté d'origine.
Ainsi les femmes représentent 51 % des naturalisés récents (contre 47 % parmi la population étrangère). Et 54 % d'entre eux ont moins de 35 ans au moment du dépôt de leur demande. Une jeunesse qui explique notamment la proportion importante de célibataires (plus de 40 % contre 23 % chez les étrangers). Autre caractéristique majeure : plus de 80 % des accédants à la nationalité vivent en France depuis plus de dix ans et 40 % depuis plus de 20 ans. Ce qui illustre clairement que « la naturalisation demeure un acte reconnaissant, dans la grande majorité des cas, un processus d'intégration consacré par les années », souligne l'enquête. Cette ancienneté sur le territoire d'individus par ailleurs plutôt jeunes, se comprend par le fait qu'ils sont généralement arrivés enfants ou adolescents en France, contrairement à la majorité des étrangers. Ils y ont donc souvent suivi une partie de leur scolarité. Et, au moment de la demande, plus de 20 % sont étudiants. Plus jeunes et plus diplômés que leurs compatriotes et que les Français, ils sont logiquement plus actifs. A noter, à cet égard, le taux d'activité très élevé des femmes, notamment de celles originaires du Portugal et des pays asiatiques.
Les personnes naturalisées occupent, en outre, des emplois salariés généralement plus qualifiés que ceux tenus par les étrangers :26 % sont cadres ou exercent une profession intermédiaire (contre 16 %). Quant à leur revenu moyen, il atteint 9 500 F, sachant que les disparités sont importantes selon les communautés d'origine, l'écart allant de 1 à 3 entre les personnes venant de Turquie et celles issues des pays d'Asie autres que le Cambodge, le Vietnam et le Laos.
Autant de caractéristiques qui correspondent en partie aux critères de sélection visant « à retenir, parmi les demandeurs, ceux qui sont susceptibles d'apporter un avantage à la société d'accueil ». Car, si le chômage, qui concerne, en 1995, 13 % des nouveaux acquérants, ne semble pas être « un critère d'irrecevabilité ou de rejet », les situations de précarité « sont un obstacle plus sérieux » à l'obtention de la nationalité : les allocataires du RMI sont, par exemple, très peu nombreux, constatent les chercheurs.
En majorité déjà bien intégrés économiquement, les demandeurs inscrivent donc rarement leur démarche dans une motivation professionnelle ou « dans une logique instrumentale ». En fait, il s'agit davantage « d'une aspiration à être reconnu d'un collectif auquel l'individu [...] a déjà le sentiment d'appartenir », indiquent les sociologues. Celle-ci peut révéler, par exemple chez les jeunes femmes, leur souhait « d'adhérer aux modèles sexuels et matrimoniaux de la société française ». Elle marque également le désir d'installation définitive, qui s'exprime parfois au moment de l'acquisition de la nationalité française par les enfants ou par un parent. Outil de cohésion du groupe, la naturalisation est donc bien une affaire de famille.
(1) Migrations Etudes n° 83 - Agence pour le développement des relations interculturelles : 4, rue René-Villermé - 75011 Paris - Tél. 01 40 09 69 19.