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Quand la police assure aussi « le relais social »

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A Toulouse, cinq gardiens de la paix s'occupent exclusivement de l'accueil des personnes en difficulté, en liaison avec les services sociaux et les associations. Objectif : agir en prévention sur les situations non pénales que traite le commissariat. Mais jusqu'où la police peut-elle faire du social ?

« En cas de différends familiaux graves, c'est trop souvent la mère et les enfants qui doivent quitter le domicile. C'est un vrai problème. D'autant qu'il manque de places d'hébergement pour les accueillir. » Ces préoccupations sont celles du gardien de la paix Marie-France Sarda. Des questions qui, habituellement, font davantage le quotidien de l'assistante sociale que de l'agent de police, mais qu'elle partage pourtant avec quatre collègues masculins. Ensemble, ils forment, en effet, l'équipe du service d'accueil et de prévention  (SAP) de la police nationale à Toulouse (1). Cette structure un peu particulière, installée au cœur du commissariat central, est spécialisée dans l'accueil des publics en difficulté : femmes battues, enfants maltraités, adolescents en fugue notamment.

15 années d'expérience

Mais attention : rien à voir avec un simple guichet d'aiguillage. Car si ces policiers - en civil -reçoivent, dans leurs bureaux, des personnes qui se présentent spontanément ou qui sont envoyées par leurs collègues d'autres services, ils effectuent aussi des enquêtes et des missions à l'extérieur. Ainsi, alors que certains commissariats ont intégré une assistante sociale dans leurs locaux (2), celui de Toulouse a fait le choix d'affecter, à plein temps, cinq gardiens de la paix volontaires « aux affaires ne revêtant pas un caractère pénal au moment de leur détection ». Ils sont spécialisés, en outre, dans la collaboration avec les services et associations du secteur social. A l'origine de cette option, prise en 1982-1983 sur l'initiative locale d'un commissaire : « La réflexion impulsée alors par le rapport Bonnemaison sur la prévention de la délinquance, la fin du tout-répressif, et le rapprochement nécessaire de tous les acteurs », explique Maurice Duchêne, l'un des piliers du service. Monté à titre expérimental, le SAP l'est resté 15 ans, demeurant un peu à part dans le schéma d'organisation du commissariat, jusqu'à ce qu'il rejoigne, il y a un an, avec les îlotiers et les commissariats de quartiers, le cadre du service de proximité. Ce service vient donc éclairer par son expérience quotidienne le débat, rouvert aujourd'hui, entre acteurs de la politique de la ville, travailleurs sociaux et responsables de la sécurité publique, sur la violence urbaine et sur les limites du rôle de chacun en matière de prévention, de médiation et de répression (3).

En amont du pénal :un rôle proche de la médiation

Le SAP annonce d'emblée la couleur : « Ni substitut aux éducateurs spécialisés, ni aux assistantes sociales, le service accueil et prévention demeure un service de police à part entière. » Et il se définit comme complémentaire des agents traditionnels de voie publique, qu'il dégage en fait de certaines affaires lourdes « pour lesquelles ils s'avèrent en général mal adaptés » ou qu'ils ne peuvent approfondir faute de temps. L'équipe du SAP traite ainsi entre 1 500 et 2 000 situations par an. Il faut dire que les affaires non pénales constituent en moyenne plus de la moitié de celles gérées par la police. L'éventail d'intervention est donc large :aider une personne âgée amnésique et égarée à retrouver son adresse, écouter deux voisins en conflit et tenter de les raisonner, mais aussi accompagner les placements d'office, ou encore réaliser des enquêtes sociales de voisinage, à la demande du parquet ou de la préfecture concernant, par exemple, des cas de maltraitance signalée. Bon nombre de tâches qui étaient auparavant assurées indistinctement au sein du commissariat. Mais, « normalement, nous n'agissons jamais en urgence : un enfant en fugue a d'abord affaire à la brigade des mineurs qui l'interpelle, ce n'est qu'ensuite qu'il arrive chez nous. De même, une femme battue fait le 17 et nos collègues interviennent sur le champ. Nous la voyons un ou deux jours après », précise l'équipe.

Que font-ils alors ? Ils écoutent, d'abord, parce qu'ils en ont le temps et aussi parce que ce moment est essentiel pour les victimes de violences, mais pas seulement. Il peut s'agir, par exemple, de trouver un foyer à une jeune majeure maghrébine ayant fui de chez ses parents pour échapper à un mariage convenu et de convoquer ces derniers, si elle le souhaite, pour un rappel de la loi française. Leur rôle peut aussi consister à accompagner un salarié chez son ancien patron pour qu'il puisse récupérer ses affaires quand la démission a été précipitée, très conflictuelle, voire violente. Leur intervention protège, certes, mais a aussi, selon eux, « une vertu éducative et préventive bien spécifique », notamment dans le cas des situations pour lesquelles ils sont le plus fréquemment sollicités : les différends familiaux et les violences conjugales. Des interventions qui nécessitent bien évidemment un partenariat avec les services sociaux et les associations spécia- lisées, indique-t-on aussitôt au sein du service. Recueillant sur une « main courante » le témoignage d'une femme battue par son mari, ils convoquent ce dernier pour un rappel à la loi, mais aiguillent aussi la personne concernée vers une association d'aide aux victimes de violences conjugales. A l'Association pour la promotion des initiatives autonomes des femmes  (APIAF)   (4), l'une d'entre elles, on conseille d'ailleurs aux femmes qui souhaitent prendre contact avec la police d'aller voir l'équipe du SAP. Se prépare alors, en partenariat, un éventuel dépôt de plainte. « Une décision toujours difficile et qui se réfléchit », souligne Marie-France Sarda. Mais « ce qui est très important », défend de son côté Evelyne Mabilat, salariée de l'APIAF, « c'est que le SAP représente la loi face à un mari resté impuni. Et puis on a affaire à un discours plus averti. Bref, le fait qu'il existe un service sensibilisé à ce type de problème permet une aisance dans le travail qui n'existe pas toujours avec les autres policiers. » Elle regrette cependant que le SAP ne puisse pas prendre les plaintes des femmes, lesquelles doivent obligatoirement être enregistrées au commissariat de quartier du domicile.

Le partenariat ne s'arrête toutefois pas là. Le SAP participe notamment aux commissions départementales organisées pour le droit des femmes. Et il est présent dans bon nombre d'instances locales de coordination : conseil communal de prévention de la délinquance, comité d'environnement social de l'Education nationale, réunions du développement social urbain. « On a appris à se connaître, en se rencontrant ainsi dans des commissions de travail », reconnaît Brigitte Corpel, responsable de circonscription d'action sociale à Toulouse. Des contacts qui ont permis de faire tomber les préjugés : « Au début, on reprochait au SAP de vouloir juste coller une étiquette sociale sur du répressif », se souvient-elle. Aujourd'hui, une collaboration fondée sur la complémentarité semble effectivement exister :l'équipe de policiers, quand elle est sollicitée pour une expulsion, interpelle les assistantes sociales pour savoir si un relogement ou une aide est prévue pour la famille. Il lui est même arrivé d'accompagner les travailleurs sociaux dans certaines familles qui les avaient menacés.

Franchir les barrières : jusqu'où ?

Mélange des genres dommageable ? Si les policiers ont effectivement un rôle à jouer en matière de prévention, jusqu'où peuvent-ils aller sans perdre leur visibilité clairement répressive et contribuer ainsi à brouiller des repères déjà bien flous ? « Si chacun garde bien ses limites, on peut être complémentaire », juge Brigitte Corpel : pas question par exemple, pour elle, de confier des éléments confidentiels ou encore de dénoncer quelqu'un. Et si elle considère que « le travail d'écoute n'est pas un domaine réservé des travailleurs sociaux », elle désapprouve l'aide alimentaire directe que le SAP effectue parfois. Pourtant, les missions diffèrent, retorque-t-on au SAP. Les interventions sont avant tout ponctuelles et il n'y a ni dossiers sur les personnes, ni suivi des situations, indique-t-on, en précisant que ce travail de longue haleine est réservé aux assistantes sociales.

Quant à Maurice Duchêne, il avoue mal comprendre en quoi l'action du SAP serait source de confusion : « De toute façon, n'importe quel policier est confronté à des tâches non répressives. » Et l'équipe n'y est d'ailleurs pas « accrochée à tout prix ». Quand des points accueil parents-enfants se sont développés, elle a alors cessé de remplir cette fonction de lieu protégé de rencontre. De même, poursuit-il, « si les adultes n'hésitaient pas à porter secours, à rappeler à l'ordre et à la loi certains jeunes, à intervenir en tant que citoyens, on serait moins utiles ». Enfin, il ne pense pas cultiver une position particulièrement ambiguë : « Aussi bien en tant que père, qu'en tant que professionnel, il me semble que ce peut être le même adulte qui réprime et éduque, punit et aide. » Pour Etienne Legros, commandant au bureau de l'action préventive et de la politique de la ville de la direction centrale de la sécurité publique, la réalité s'accommoderait mal, en tout état de cause, de solutions trop tranchées. « Certes, le traitement social des affaires n'est pas du ressort des services de police. Mais, une fois que l'on a dit ça, il y a forcément quelque chose d'insatisfaisant à laisser en plan des situations qui ont été soulevées. Et c'est pourquoi il nous semble important qu'un relais social soit pris. »

Néanmoins, si l'efficacité du SAP est reconnue au sein de la police, il n'est pas pour autant question de généraliser ce type d'expérience, notamment en raison des réticences des gardiens de la paix eux-mêmes. Certains regardent ainsi d'un œil parfois dubitatif ou amusé ces collègues qui ne passent pas les menottes. « Nous sommes gentiment brocardés par eux », reconnaît Thierry Meahe, l'un des membres de l'équipe : « Assistantes sociales » ou encore « police qui dort » sont des surnoms courants. Mais au-delà de ces réticences internes, explique le commandant Etienne Legros, « nous laissons chaque commissariat gérer ces missions d'accueil et de prévention comme il l'entend et surtout comme il le peut ». Difficile d'exiger plus, en effet, de beaucoup de commissariats qui fonctionnent déjà avec peu de moyens humains et matériels. Selon les locaux, les effectifs, mais aussi selon les besoins évalués au niveau local, ce « relais social » sera pris en charge par une assistante sociale présente au commissariat, par l'ensemble de l'équipe de manière plus diffuse, ou bien par des permanences d'associations d'aide aux victimes. « Et le but n'est donc pas nécessairement que ce type de service se développe, aussi légitime soit-il », mais que soit pris en compte l'accueil, l'écoute et la confidentialité dans le cadre d'une « police de proximité ».

Reste qu'à Toulouse, s'est peu à peu bâtie une culture partenariale particulière entre les services sociaux et le SAP. Lequel s'est formé aux problématiques de la toxicomanie, du sida et des violences conjugales avant de recevoir en stage de nombreux étudiants en travail social et d'intervenir dans les centres de formation des travailleurs sociaux. Or, il y a 20 ans, rappelle Maurice Duchêne, « il était difficile d'envisager qu'un policier rentre dans une école d'éducateurs ».

Valérie Larmignat

Notes

(1)  Service d'accueil et de prévention - Commissariat central : 23, boulevard de l'Embouchure - 31000 Toulouse - Tél. 05 61 12 75 21.

(2)  Voir ASH n° 1789 du 12-06-92.

(3)  Voir notamment l'entretien avec les sociologues Nicole Le Guennec et Sophie Body-Gendrot, ASH n° 2070 du 8-05-98.

(4)  APIAF : 31, rue de l'Etoile - 31000 Toulouse - Tél. 05 62 73 72 22.

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