Quelles sont les « pratiques nouvelles » mises en œuvre dans les structures recevant des jeunes errants ? C'est à cette question que tentent de répondre François Chobeaux, directeur du département politiques sociales des CEMEA, et Michel Hirtz, chargé de mission au sein du même organisme, dans l'étude sur l'accueil des jeunes errants qu'ils viennent de réaliser à la demande de la direction de l'action sociale (1). A cet effet, ils ont enquêté auprès d'une quinzaine de structures spécialisées (équipes de rue, boutiques solidarité, lieux d'accueil de jour, points santé...) réparties dans toute la France. Objectif : pointer les certitudes mais aussi les interrogations des acteurs de terrain.
Premier constat confirmant un fait connu : les financements de ces structures sont généralement précaires et instables. D'où une incertitude qui « ne facilite pas l'installation de rapports éducatifs » dans la durée. A cela s'ajoute une « insécurité liée aux blocages générés par les découpages trop thématiques des dispositifs d'intervention et d'aide sociale ». Sans parler de la « complexité des procédures ». Ce qui pousse, parfois, les intervenants de terrain à « passer outre » des fonctionnements jugés « trop administratifs ». « C'est sans doute pourquoi le fonctionnement en réseau prend tant d'importance parce qu'il est le moyen concret [...] de pallier, de sécuriser, d'organiser », soulignent François Chobeaux et Michel Hirtz. Autre observation : la cohabitation entre salariés et bénévoles, habituelle dans ces lieux d'accueil, ne semble pas créer de tensions particulières. Peut-être « parce que les bénévoles sont conscients de leur obligation de professionnalisme, c'est-à-dire d'exigence et de rigueur dans les façons de faire », notent les chercheurs. D'ailleurs, poursuivent-ils, le personnel de ces structures « ne se situe pas dans un schéma classique où les bénévoles donneraient d'eux sans limites alors que les professionnels seraient plus dans la distance relationnelle ». En effet, « ces deux façons de faire sont mises en œuvre aussi bien par des bénévoles que par des salariés professionnels ».
Par ailleurs, toutes les équipes affirment mettre en œuvre « des démarches d'accueil relativement tolérantes vis-à-vis des comportements des personnes [reçues] ». De même, elles disent accepter le caractère « incertain » des relations établies avec les jeunes errants et se montrent très modestes sur les projets énoncés à l'égard de ces derniers. Une humilité qu'elles justifient en expliquant que « les jeunes accueillis ne sont absolument pas prêts à se projeter dans l'avenir » et qu'ils « risqueraient de rompre très vite la relation » si elle se situait dans un cadre trop pesant. De même, la plupart rappellent que si l'on veut faire du travail en profondeur, « il faut s'installer dans la durée et surtout pas dans un temps limité par une prescription économique ou éducative ». Quant aux mineurs, de plus en plus nombreux dans les structures d'accueil (il s'agit d'adolescents en rupture mais aussi de jeunes enfants, voire de bébés, accompagnant leurs parents), leur présence interpelle les intervenants qui se trouvent tiraillés entre la nécessité de les signaler à la justice ou aux services sociaux et le souci de ne pas rompre une relation éducative toujours fragile.
Reste que si les lieux d'accueil présentent un fonctionnement plutôt homogène, le débat est loin d'être tranché sur le but à atteindre. En effet, pour certains intervenants, il faut aider les jeunes à s'insérer « au plus près des normes et des critères » de la société alors que, pour d'autres, il est préférable de les aider à trouver leur place en respectant leur choix de vie, « aussi inhabituels soient-ils ». Enfin, les auteurs de l'étude s'étonnent du « peu de réflexions touchant au politique » formulées par les différentes personnes interrogées. Comme si celles-ci « se situaient uniquement en accompagnateurs et en répara- teurs d'individus, en estimant que leur travail suffirait à régler les difficultés de ces jeunes et sans plus interroger les conditions sociales et économiques qui contribuent aux dynamiques d'exclusion ». Ce qui leur fait craindre l'apparition d'un phénomène d'usure au sein des équipes lorsqu'elles se trouveront confrontées à « la relative inefficacité de leurs actions », en dépit de tous les efforts qu'elles déploient.
(1) Accueillir l'errance - François Chobeaux et Michel Hirtz - Rapport non diffusé.