Recevoir la newsletter

Les tutelles : un dispositif aux multiples dérives

Article réservé aux abonnés

C'est le 24 novembre que devrait être rendu public le rapport sur « le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs » des inspections générales des finances, des services judiciaires et des affaires sociales. Ce document dresse un constat sévère sur le manque de cohérence du système.

C'est la première fois qu'une réflexion interministérielle est menée sur ce dossier brûlant des tutelles (1). Et nul doute que les résultats de cette mission, commandée le 5 février dernier (2) et que révèlent les  ASH, sont fortement attendus sur le terrain. D'ores et déjà, si l'UNAF affiche sa satisfaction que ce rapport soit enfin bientôt rendu public, elle regrette néanmoins que celui-ci n'aborde pas, «  mais ce n'était pas son objet  », la question centrale : « Quel contenu, quelle qualité de mesures, pour quels majeurs ? ».

Comme l'on pouvait s'y attendre, les inspecteurs dressent un tableau assez négatif de la situation. En effet, avec plus de 44 % d'augmentation du nombre de jugements rendus depuis 1990, on assiste à une explosion des mesures depuis six ans. Explosion qui profite surtout aux curatelles, qui ont plus que doublé depuis 1990, alors que les mesures de tutelle connaissent une croissance contenue (de l'ordre de 15 %). Si les familles continuent de prendre en charge 58 % des mesures, la part de celles confiées à l'Etat est passée de 15,3 à 23,3 % sur la même période. Ce qui, selon les inspecteurs, s'expliquerait par l'augmentation du maintien à domicile de la population âgée et des ménages allocataires des minima sociaux ou encore par la sectorisation psychiatrique.

Au total, 500 000 personnes, soit plus de 1 % de la population majeure, se trouvent ainsi sous un régime de protection juridique, constatent les inspecteurs. C'est ainsi que la protection des majeurs pèse de plus en plus lourdement sur la collectivité (l'Etat ou les organismes de sécurité sociale), son coût global pouvant être estimé entre 1,2 et 1,5 milliard de francs en 1997. Les inspecteurs relevant une dérive du coût des mesures, la tutelle aux prestations sociales (TPS) servant «  de variable d'ajustement des budgets d'associations ».

Plus grave, les auteurs pointent également le dérapage du dispositif par rapport à son cadre juridique initial. A l'origine, celui-ci accordait la priorité à la famille, l'Etat n'ayant qu'un rôle subsidiaire quand les soutiens familiaux faisaient défaut. En outre, il distinguait clairement la tutelle aux prestations sociales, mesure éducative, de la tutelle aux majeurs protégés, mesure de protection juridique. Néanmoins, cette « architecture complexe » n'a pas résisté à la pression de l'environnement et a entraîné le brouillage des frontières. Ainsi, au-delà du critère légal d'altération des facultés personnelles, la situation sociale du majeur est également prise en compte pour décider de l'ouverture de la mesure. Les juges notent, par exemple, à côté des populations traditionnelles (personnes âgées, handicapés mentaux profonds), l'apparition d'un public plus jeune et plus souvent marginal, alcoolique ou toxicomane. «  Le besoin d'aide proprement sociale étant alors plus important que le besoin de protection juridique. » A cela s'ajoute, constatent les inspecteurs, «  la grande liberté » des juges « isolés et surchargés » dans le choix et le mode de gestion de la mesure.

Par ailleurs, l'étude relève des dysfonctionnements dans la mise en œuvre des mesures de protection (par exemple, des « s ignalements multiples et mal filtrés », le manque d'audition des majeurs par le juge...), auxquels s'ajoute «  une totale absence d'évaluation de la qualité des prestations fournies ». Enfin, «  ni l'institution judiciaire, ni les DDASS ne parviennent à faire face, dans des conditions satisfaisantes, à leurs obligations de contrôle respectives ». Aussi « l es dysfonctionnements ne sont pas rares et impliquent les gérants privés commes des intervenants associatifs », n'hésitent pas à affirmer les inspecteurs. Lesquels s'attardent en particulier à pointer les dérives liées à la pratique « du compte pivot » largement utilisé par les associations. Compte bancaire ouvert au nom de l'association sur lequel transite l'ensemble des mouvements de fonds des majeurs protégés, il se substitue aux comptes individuels des intéressés. « Générale et répréhensible, dans la mesure où elle conduit les majeurs protégés à financer à leur insu les associations tutélaires par des moyens non prévus par les textes, la pratique du compte pivot sans reversement de ces revenus, n'a fait l'objet d'aucune observation des DDASS, ni de l'administration centrale », relèvent les auteurs.

Réguler le dispositif

Aussi, les propositions de la mission interministérielle visent-elles à assurer au dispositif la cohérence, la régulation et le contrôle qui lui font aujourd'hui défaut.

Les auteurs proposent d'abord la création, à côté des trois mesures de protection existantes (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle), d'une mesure de gestion sociale qui succéderait à l'actuelle TPS adulte.

Ils suggèrent également de réformer les financements des mesures de protection autour de trois objectifs : «  la neutralité des mécanismes au regard du choix de la mesure, une plus grande équité dans la répartition des charges et la pérennité du financement des associations tutélaires ». La mission a ainsi chiffré à 820 F/mois le coût de la mesure, quelle qu'elle soit. Soit une hausse de 19 % du prix plafond des mesures d'Etat et une baisse de 23 % du tarif de l'actuelle TPS adulte et,  au total, selon les auteurs, «  une neutralité financière pour les associations dont les ressources ne devraient pas diminuer ». Parallèlement, l'architecture des prélèvements serait rebâtie, et le majeur désormais amené à contribuer, dans tous les cas, au financement de sa mesure de protection.

Innovation majeure, le rapport suggère, aux côtés des financeurs publics traditionnels que sont l'Etat et la CNAF, l'intervention des collectivités locales en raison de «  leur compétence en matière d'aide sociale ». L'étude insiste aussi sur la nécessité d'une coordination des actions des différents acteurs et préconise d'élargir le champ de l'actuelle commission départementale des TPS à l'ensemble des mesures.

Enfin, pour responsabiliser davantage les familles, la mission propose, outre une redéfinition du cercle familial et de la notion de « vacance », d'instaurer un mécanisme de récupération sur succession des dépenses de tutelle. Soucieux d'apporter le maximum de garanties aux majeurs protégés, le rapport souhaite renforcer le rôle du parquet, parent pauvre du dispositif actuel et sécuriser les fonds des majeurs. Mais surtout, pour garantir la qualité du service rendu, il invite à «  faire du métier de délégué ou de gérant une profession à part entière ».

Sophie Courault et Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Une étude avait été réalisée par le cabinet Fors sur les délégués à la tutelle, à la demande de la DAS - Voir ASH n° 2037 du 19-09-97.

(2)  Voir ASH n° 2075 du 12-06-98.

L'ÉVÉNEMENT

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur