Loger dans l'urgence les familles les plus défavorisées est souvent le casse-tête du travailleur social. Les bailleurs sociaux tels que les offices HLM disposent, certes, d'un parc immobilier propre à offrir des logements sociaux. Mais les délais d'attribution et la conception standardisée des logements produits en masse ne répondent pas à toutes les situations, laissant de côté un certain nombre de familles en difficulté. C'est pourquoi des associations ont développé, en marge des bailleurs sociaux traditionnels, des compétences particulières en matière d'offre de logements adaptés, tant au plan de la maîtrise d'ouvrage directe ou indirecte qu'au plan de la gestion immobilière proprement dite. Une transformation qui les met parfois en porte-à-faux avec leur mission sociale, comme en témoignaient récemment certains membres de la Fédération des associations de promotion de l'insertion par le logement (FAPIL) (1).
Ainsi, l'association Accueil et réinsertion sociale (ARS) de Nancy (2), créée en 1979, fait face aujourd'hui à une situation difficile, à cause de responsabilités dont Claude Grivel, son directeur général, considère qu'elles devraient être supportées par les pouvoirs publics qui impulsent les politiques de logement. « Il ne suffit pas de monter des plans de financement, de se lier à des techniciens du bâtiment pour mener à bien cette production d'une offre de logements adaptés, estime-t-il. Nous avons été défaillants sur la gestion dans la durée et sur l'accompagnement social, parfois nécessaire, et pour lequel la loi Besson ne prévoit aucuns moyens. » Or, prestataires de services après le vote des plans départementaux de logement, les associations ont souvent la charge des ménages les plus compliqués, de ceux pour qui le logement n'est qu'une des difficultés auxquelles faire face. S'y ajoutent le chômage, le surendettement, des problèmes comportementaux. « Malheureusement, les procédures sont complexes et les décisions prises trop lentement, par rapport à des situations familiales qui se dégradent plus vite qu'on ne peut y répondre », déplore Claude Grivel.
Initialement gestionnaire de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), l'ARS avait désiré, en se lançant dans la maîtrise d'ouvrage, répondre aux besoins de familles dont le logement était le seul problème social. Une volonté qui coïncida, vers 1989, « avec des blocages plus fréquents des baux glissants (3) , une saturation du marché de l'offre de logement social et un certain raidissement des directeurs d'office HLM de la région », raconte le directeur général.
« C'était l'époque où d'aucuns croyaient qu'il suffisait de loger pour insérer, poursuit-il. Nous voulions pour notre part diversifier l'offre, en types de logements, et en évitant les ghettos. Nous sommes donc partis prospecter le parc privé, avons mis en place une agence immobilière à vocation sociale, sommes allés chercher et trouver des financements auprès de l'Etat et du département, afin de procéder soit à la réfection de logements, soit à la construction de bâtiments. » Lors de ses prospections, l'ARS a été confrontée à deux types essentiels de propriétaires : certains qui n'avaient pas les moyens d'entretenir quelques logements hérités, et d'autres, d'un genre particulier, arborant la triple casquette d'investisseurs, de constructeurs et de « bons samaritains » cherchant à procurer à leur enseigne un visage social. Ces derniers ont eu pour l'association des conséquences lourdes, financièrement et en termes d'image. « Comment, en effet, discuter le fini des travaux, la qualité des matériaux, lorsque le constructeur est également l'investisseur dont l'argent rend possible votre opération ? », s'interroge Claude Grivel.
D'autant qu'en l'occurrence l'association se substitue totalement aux propriétaires, et supporte des risques majeurs, liés à la dégradation des logements dans le temps, au non-paiement des loyers, au support des emprunts. Une situation qui fait ensuite obstacle au glissement du bail car, lorsque l'association souhaite transformer la sous-location en location directe, le propriétaire, se voyant lui-même exposé à ces risques, s'y oppose.
Créé en 1959, et doté d'une plus grande expérience en la matière, le Comité d'action sociale en direction des travailleurs migrants et personnes isolées (Cotrami) (4), à Mulhouse, saisit le problème sous un autre angle :plutôt que de se lancer dans la construction et de supporter des risques incombant au propriétaire, il s'agit uniquement ici de procéder à des réhabilitations de logements anciens, de telle manière que la gestion soit facilitée sur la durée.
Pour Emile Juncker, chef du service Loginser de l'association, « le bail à réhabilitation, institué par la loi Besson, permet de loger des personnes défavorisées sur une période d'au moins 12 ans. Nous répondons à une situation de bâti dégradé, tout en obtenant des subventions qui seraient, sans cela, inaccessibles au propriétaire. De plus, cette rencontre d'intérêts nous permet de capter durablement du logement social, tout en permettant à des collectivités locales de ne pas geler des pans entiers de secteur urbain. »
Le Cotrami devient propriétaire souverain pour plus d'une décennie et peut proposer une réelle alternative à l'hébergement des travailleurs migrants et personnes isolées de ses foyers. Il gère de façon autonome la réhabilitation. « L'Aria, équivalent local d'un Pact-Arim, établit un diagnostic rigoureux du bâti, préconise des réponses techniques, explique Emile Juncker. Après quoi nous allons vers les entreprises qui réaliseront une réhabilitation soignée. »
Deux ou trois immeubles sont ainsi réhabilités chaque année, financés à plus de 60 % par l'Anah-Pst (plan social thématique) de la direction départementale de l'équipement. Le reste du montage financier est réalisé grâce à des prêts du 1 % logement, grâce aux collectivités locales, à la région (au titre des économies d'énergie), à la CAF et à EDF-GDF. Emile Juncker insiste sur deux points essentiels : « Ne contractant jamais d'emprunts au-delà de la faisabilité des opérations, nous visons et réalisons un équilibre financier global. De plus, nous ne mélangeons pas les genres, dans les rapports que nous entretenons avec les bénéficiaires de ces logements. Notre relation est celle de locataire à bailleur, et cette clarté facilite les choses. »
L'expérience du Cotrami bénéficie également du fait que les locataires sont adressés dans le cadre du plan départemental de logement ou de relogement par les communes. « Toutes les attributions de logements sont effectuées via une commission réunissant offices d'HLM, assistants sociaux de secteur et financeurs, qui détermine le degré d'autonomie des familles », souligne ainsi Emile Juncker. Il ne s'agit donc pas de ces « ménages aux situations les plus compliquées », dont les difficultés d'adaptation sont facteurs de dégradations lourdes de l'habitat et dont le poids financier peut mener une association à sa perte. Mais la médaille a son revers : le Cotrami reste tributaire des décisions d'orientation de la commission.
Parmi les débats qui animent les associations membres de la FAPIL, la question n'est plus de savoir si la maîtrise d'ouvrage est bien de leur ressort. Malgré les résultats pour le moins mitigés de l'ARS de Nancy, Claude Grivel affirme qu' « il fallait oser le faire, ne serait-ce que pour provoquer la réaction des bailleurs sociaux et des collectivités locales ». Aujourd'hui, à Nancy, l'association Union et solidarité rassemble les organismes publics qui produisent eux-mêmes des logements pour les familles mal adaptées à leur parc traditionnel ou adressées par des dispositifs tels que le Fonds de solidarité pour le logement.
Les associations qui réalisent à ce jour un relatif équilibre financier dans la production d'une offre adaptée aux besoins des populations les plus modestes semblent actuellement se référer à plusieurs principes : une séparation nette entre le volet « technique et gestionnaire » et le volet « social » de leurs activités une prise en compte des frais de gestion importants, dès le montage financier de l'opération trouver les moyens, d'elles-mêmes ou en partenariat, d'assurer, quand nécessaire, l'accompagnement social adapté.
Christophe Traux
« La militance contre l'exclusion, la volonté d'être aux côtés des plus démunis nous a menés à développer des outils techniques dans la production de logements adaptés, jusqu'à créer, pour des raisons déontologiques, une seconde association, spécialisée dans la technique et la gestion immobilière. » Voici comment et pourquoi l'Association méditerranéenne pour l'insertion sociale par le logement (AMPIL) (5) a donné naissance en janvier 1997 à l'Association service logement insertion méditerranée (ASLIM-13), où Véronique Stella est chargée de mission et de coordination. L'AMPIL propose une permanence d'accueil au centre social de Belsunce, en plein centre de Marseille, qui oriente le public et travaille notamment à la réouverture de droits sociaux une permanence juridique à plein temps de prévention contre les expulsions des ateliers de recherche de logements où, sous forme de tutorat, les bénéficiaires du revenu minimum d'insertion reçoivent une formation rapide à cette recherche dans le parc privé marseillais<193>L'ASLIM, pour sa part, œuvre à l'ouverture de logements vacants, souvent vétustes et nécessitant une réhabilitation. Un architecte conçoit une nouvelle répartition des espaces d'habitation, puis l'association entre en contact avec les entreprises qui réalisent les travaux. L'ASLIM perçoit les subventions de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), évitant au propriétaire les problèmes de trésorerie dus au retard de paiement desdites subventions. Lorsqu'elle parvient à convaincre celui-ci d'engager l'investissement initialement escompté pour les travaux, cela permet, par le doublement du plafond de travaux, une réhabilitation de qualité, et par négociation avec le propriétaire, une baisse du loyer non conventionné. « Les termes de l'ANAH-Social (6) stipulent que, dans ce cadre, le propriétaire s'engage à une location pour au moins six années, précise Véronique Stella. Nous tentons de procéder à un glissement de bail avant cela, remettant nos sous-locataires dans le droit commun, la location directe. Ensuite, nous bénéficions de la délégation de compétence - et de la carte professionnelle -d'une agence immobilière, tentons de sécuriser les propriétaires, non pas financièrement, mais par notre présence dans la gestion du dossier. » Ce qui n'empêche pas certains propriétaires réticents de se retirer ultérieurement. Comme ailleurs en France, avec d'autres associations, la méthode semble porter ses fruits. Dans les Bouches-du-Rhône, la direction départementale de l'équipement a demandé à l'ASLIM d'étendre ses activités à l'échelle de tout le département. Mais Véronique Stella récuse toute instrumentalisation : « Non seulement nous produisons du logement social, mais encore nous procédons à un transfert de nos savoirs en direction de partenaires locaux, comme à Fos-sur-Mer ou Salon-de-Provence. » C. T.
(1) Au cours de son forum d'initiatives « La lutte contre les exclusions : nouveaux enjeux, nouvelles pratiques », le 23 octobre dernier à Montpellier - FAPIL : Le Trident bât. A - 34, avenue de l'Europe - 38100 Grenoble -Tél. 04 76 40 64 04.
(2) ARS : 6, bd d'Austrasie - 54007 Nancy cedex - Tél. 03 83 36 71 71.
(3) Pratique par laquelle une association, jusqu'alors locataire principale, fait glisser le bail au nom de la personne ou de la famille à qui elle sous-louait le logement.
(4) Cotrami : 124, rue Vauban - 68100 Mulhouse - Tél. 03 89 45 28 14.
(5) AMPIL : 10, cours Julien - 13006 Marseille - Tél. 04 91 18 40 26.
(6) Plus précisément intitulée intervention spéciale à caractère social.