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Des animaux au cœur du projet d'établissement

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Reconnus comme source de bienfaits pour les adultes et les enfants handicapés, les animaux font une entrée timide dans les projets éducatifs des établissements, tant leur présence nécessite de soins et de contraintes.

« Vous êtes en train de découvrir les bienfaits que procurent les animaux à l'homme et notamment aux enfants handicapés ! Mais nous, éleveurs, nous le savons depuis plus de 25 ans ! », s'exclamait un intervenant au colloque consacré à la ferme et aux handicapés, qui s'est déroulé à Rambouillet (Yvelines)   (1). On ne saurait pourtant ignorer que les professionnels connaissent depuis longtemps les intérêts thérapeutiques et éducatifs de l'animal, notamment pour les jeunes et les adultes handicapés. Mais il y a loin entre l'approche théorique ou la simple présence d'un lapin ou d'un chien dans un établissement et la conception du projet éducatif autour de l'animal.

Favoriser la création de liens

L'équithérapie, par exemple, est pratiquée depuis le milieu des années 60 par des éducateurs férus d'équitation qui utilisent le cheval comme un médiateur. Il n'est évidemment pas question d'enseigner ce sport, mais plutôt de favoriser la création de liens, d'une connivence entre l'animal et l'enfant pour aller vers un mieux-être de ce dernier.

Depuis le début des années 90, on assiste également au développement des fermes pédagogiques conçues pour tous les enfants, y compris ceux porteurs de handicaps. Ces derniers peuvent y passer quelques heures ou bien plusieurs jours d'affilée. Ce fut par exemple le cas, en octobre 1996, de six jeunes adolescents autistes et psychotiques vivant en internat thérapeutique à la fondation Vallée, à Gentilly, dans le Val-de-Marne. Deux professeurs de « vie sociale et professionnelle », accompagnés d'un soignant, les ont emmenés à la Bergerie nationale, à Rambouillet, pour un séjour d'une semaine. Spécialisée dans l'enseignement agricole, cette grande école dispose également d'une ferme pédagogique, où les enfants sont en contact direct avec les animaux et repèrent les tâches et les gestes quotidiens liés à une exploitation agricole. Pour Dominique Cointreau, enseignante, l'intérêt thérapeutique est évident : « Les animaux présentent l'avantage de ne pas posséder la parole, marque de l'humain. Les petits animaux de la Bergerie, et en particulier le mouton, ne présentent pas, a priori, de danger d'envahissement psychotique. » L'enseignante ajoute que l'environnement de la ferme, avec ses bruits particuliers, ses bonnes et ses mauvaises odeurs, sa chaleur émanant de la respiration des animaux, la forêt proche plongent les enfants dans le vivant : « Cela les pousse à communiquer leurs émotions, à nous poser des questions, à parler entre eux, ce qui est nouveau, explique-t-elle. En fait, ils s'affranchissent de leurs angoisses et deviennent disponibles pour faire de nouvelles acquisitions. Personnellement, je pensais qu'ils ne pouvaient plus faire d'apprentissages. Mais en fait, si. Lorsque ceux-ci s'appuient sur quelque chose de réel, ils peuvent les intégrer. » Annie Gonzalès, infirmière, mesure d'ailleurs la réussite du séjour par le fait que, pour une fois, l'activité des enfants les plus atteints était enviée par les pensionnaires plus autonomes de la fondation.

Depuis peu, des animaux sont même physiquement présents dans des maisons de retraite ou des services de long séjour hospitaliers (2). Un chien, un labrador le plus souvent, tient lieu de compagnon aux personnes âgées. Il recrée du lien social entre elles et apporte de la vie, tout simplement.

Une ferme « éducative »  ?

Néanmoins certains éducateurs spécialisés sont allés plus loin. Tel Jean-Jacques Pudoyeux, éducateur spécialisé et chef de service de la Ferme des Vallées, à Saint-Amand de Montmoreau, en Charente (3). Ici, l'élevage n'est pas une activité éducative parmi d'autres, mais il constitue le cœur du projet d'établissement. Au début des années 90, le directeur d'un institut médico-éducatif  (IME) s'interroge sur le devenir des jeunes adultes handicapés qu'il reçoit, la majorité d'entre eux étant finalement orientés vers l'hôpital psychiatrique. Il charge Jean-Jacques Pudoyeux de mettre en place un accueil adapté. L'idée de la ferme est aussitôt acceptée, « car là, il y a de la place pour tout le monde, il y a du travail pour chacun des pensionnaires », explique l'éducateur.

Aujourd'hui, la Ferme des Vallées dispose d'un foyer de vie accueillant 32 personnes, âgées en moyenne de 26 ans, et atteintes d'autisme ou de psychose infantile pour la plupart. Sur le même lieu, on trouve une ferme conservatoire d'animaux domestiques en voie de disparition avec 70 bovins, ovins, caprins, porcins et équidés, une centaine de volailles (poules, oies, dindons, pigeons) et une ferme d'animations pédagogiques ouverte au grand public. Chaque journée est rythmée par les activités d'élevage : nourrir les bêtes, les sortir, nettoyer les bâtiments, faire le foin... L'animal nécessite que l'on s'occupe de lui, mais il permet également de faire le lien avec l'extérieur de l'établissement, puisqu'il faut aussi livrer les produits de la ferme, tenir un stand lors d'une foire... D'où des rencontres régulières avec les paysans de la région. De plus, les personnes handicapées font réguliè- rement visiter les lieux à des enfants des écoles et des adolescents.

A la Ferme des Vallées, chacun agit en fonction de ses capacités : « Il y a du travail pour les plus actifs, mais il y a aussi une place pour les contemplatifs, explique Jean-Jacques Pudoyeux. Nous avons d'abord fait l'acquisition des animaux pour un projet collectif et ensuite nous avons adapté notre stratégie pour chaque personne handicapée : les autistes vont aller plus facilement vers les lapins car ils sont plus doux. Les plus caractériels sont plus intéressés par les taureaux, qui en imposent davantage... » Bien sûr, un solide encadrement s'impose : un éducateur spécialisé, cinq moniteurs-éducateurs et une dizaine d'aides médico-psychologiques participent aux tâches quotidiennes. Ces derniers étaient d'ailleurs des agriculteurs, des plombiers, des maçons, des éleveurs connaissant le travail de la terre avant de recevoir une formation à l'IRTS de Poitiers ou de Bergerac. Le personnel est suffisamment nombreux pour prendre en charge les bêtes 365 jours sur 365, tout en travaillant selon des horaires classiques.

« Ici, l'activité n'est pas occupationnelle. Il nous semblait important de donner un sens à la vie de chacun, qui peut, à partir de tâches et d'activités simples, faire acte d'utilité », souligne Jean-Jacques Pudoyeux. L'animal, selon lui, est certes facteur d'activités, mais pas uniquement. Il favorise une relation sans aléa, il est source et objet d'affection, d'apaisement, de contacts physiques, de soins, de distraction, de contacts sociaux... Avec les énormes contraintes que cela suppose, comme on peut l'imaginer. « Auparavant, les éducateurs pouvaient organiser des sorties en ville avec quelques personnes. Nous, nous ne pouvons plus nous le permettre. Même si nous n'en avons pas envie, nous devons aller casser la glace le matin pour que les animaux puissent boire », indique l'éducateur. Lequel estime que les animaux ont obligé à structurer davantage les activités. Il est certain qu'un tel projet suppose une réelle motivation de l'ensemble du personnel qui doit aimer les travaux d'élevage et posséder une fibre agricole. De plus, chacun est amené constamment à jongler avec les impératifs liés aux travaux de la ferme et les besoins des personnes handicapées. Néanmoins, la Ferme des Vallées n'aurait jamais vu le jour sans l'appui logistique de l'IME, explique Jean-Jacques Pudoyeux. De plus, dès le départ, celui-ci s'est entouré de spécialistes, comme un conservateur connaissant parfaitement les espèces en voie de disparition.

Exploitante agricole et éducatrice

Autre expérience, celle d'une éducatrice spécialisée qui partageait autrefois son temps entre son travail en établissement, et l'aide qu'elle apportait bénévolement dans l'exploitation de ses beaux-parents. Lorsque ceux-ci prennent leur retraite, Claudette Lees-Melou décide de reprendre l'affaire et demande l'agrément pour ouvrir une ferme d'animation éducative (4). Elle présente ensuite son projet aux associations de prise en charge des enfants handicapés, jusqu'à ce que le Groupement d'études pour l'insertion sociale des trisomiques accepte de la salarier.

Désormais, elle intervient le matin dans une classe spécialisée recevant des enfants déficients mentaux. L'après-midi, elle les reçoit à la ferme, et leur fait accomplir des gestes simples, puis de plus en plus complexes. Il s'agit, d'une part, d'illustrer de façon concrète ce qui a été appris le matin en classe et, d'autre part, de développer progressivement leur autonomie. « La ferme offre une multitude de matériaux, la palette est très riche, affirme Claudette Lees-Melou. Alors qu'une activité traditionnelle, comme la poterie, est plus limitée. » L'éducatrice spécialisée souligne d'ailleurs que toutes les associations rencontrées étaient convaincues de l'intérêt de son projet. Manquaient les finances. « C'est un luxe », lui faisait-on remarquer. A présent, Claudette Lees-Melou dispose d'un double statut : elle est salariée de l'association qui l'emploie et exploitante agricole, ce qui signifie qu'elle paie la nourriture des animaux, l'entretien des bâtiments et l'outillage nécessaires à sa ferme. Ce qui n'est sans doute pas pour rien dans l'acceptation de son projet.

Des risques calculés

Quant à Roger Castel, directeur d'un établissement pour personnes handicapées mentales, et ancien éducateur, il lui aura fallu 20 ans pour accepter l'idée que des animaux puissent franchir le portail de son établissement. « Je pensais que j'avais autre chose à faire que de m'occuper de bestioles », explique-t-il. Aujourd'hui il dresse la liste des obstacles et des limites auxquels il a été confronté, en partant du principe qu'une fois « vaincues les difficultés pour créer une telle structure, il faut s'atteler aux difficultés pour la faire fonctionner ». Roger Castel souligne d'abord la contradiction entre les discours officiels et la réalité : « Notre tutelle nous demande d'être innovants, mais lorsque nous le sommes elle nous dit que ce n'est pas dans les textes. Ensuite, elle nous oppose les risques infectieux. Mais à nous d'être très vigilants et de prendre des risques calculés. »

Des animaux prétextes à un projet éducatif, cela signifie aussi une somme de travail considérable pour le personnel et un engagement dans la durée. De plus, les directeurs d'établissement mettent souvent en avant le coût excessif d'un tel projet. Jean-Jacques Pudoyeux a ainsi dû dépenser environ 50 000 F pour créer la Ferme des Vallées : « Il y a un investissement au départ, mais ensuite cela ne coûte pas vraiment plus cher qu'une autre activité », remarque-t-il néanmoins. Sans compter, bien évidemment, les contrôles très stricts de la direction des services vétérinaires et les demandes d'agréments auprès de la Jeunesse et des Sports et de l'Education nationale si l'établissement reçoit le grand public. Aussi, pour Roger Castel, « lorsqu'on arrive à ses fins, c'est que l'on était vraiment motivé. Mais cela vaut le coup : une ferme apporte de la vie, mais aussi et surtout une qualité de vie. »

Anne Ulpat

Notes

(1)   « La ferme et les enfants handicapés et malades », le 28 septembre 1998 - La Bergerie nationale : Parc du Château - 78120 Rambouillet - Tél. 01 34 83 68 00.

(2)  Voir ASH n° 2066 du 10-04-98.

(3)  Ferme des Vallées : 16190 Saint-Amand-de-Montmoreau - Tél. 05 45 60 28 88.

(4)  La ferme thérapeutique de Gan : Chemin Castagnet - 64290 Les Hauts de Gan - Tél. 05 59 21 70 63.

Les fermes thérapeutiques

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