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Quand la musique agit comme un révélateur

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Certains ergothérapeutes et éducateurs spécialisés mettent la musique au service des enfants handicapés. Ce n'est pas une panacée, mais un moyen de renouer avec le monde et avec la vie. Des témoignages de professionnels.

En quoi la musique adoucit-elle le sort des enfants handicapés ? Peut-elle les faire progresser dans leurs apprentissages, les aider à tisser des liens avec le monde extérieur ? Ce sont autant de questions auxquelles les professionnels - éducateurs spécialisés, médecins, ergothérapeutes, musiciens - ont tenté de répondre lors des rencontres organisées à la Cité de la musique à Paris (1). Rien de tel que de partir des expériences de terrain auprès d'enfants souffrant de handicaps moteurs ou de troubles de la personnalité et du comportement, pour observer les bienfaits, mais aussi les limites, de l'activité musicale. Ainsi, Catherine Roy, éducatrice spécialisée à l'institut médico-pédagogique (IMP) Ninon-Vallin (2), à Grenoble, évoque-t-elle la musique d'abord comme un moyen d'expression. C'est sans doute une banalité en milieu ordinaire, mais pas dans le monde du handicap, où les enfants ne maîtrisent pas toujours le langage oral. L'institut médico-éducatif (IME) Ninon-Vallin accueille 36 enfants de 4 à 20 ans, présentant un handicap physique et intellectuel. Ils sont non scolarisables, une minorité marche et seulement une dizaine parle. En 1984, l'équipe souhaite développer différents moyens de communication pour ces pensionnaires et choisit la musique. « Celle-ci dit sans les mots, explique Catherine Roy. L'enfant polyhandicapé est souvent dans l'impossibilité de produire du sonore. Il n'a pas pu babiller avec sa mère, crier à tue-tête, décharger son énergie motrice en envoyant un coup de pied dans une tôle ondulée. La salle de musique devient le lieu où il est possible d'expérimenter sa voix par l'onomatopée ou le chant. » Des séances avec des instruments ont également lieu une fois par semaine pendant une demi-heure : l'enfant choisit celui qui lui convient, piano, accordéon, psaltérion, guitare... « L'adulte encourage l'enfant à explorer une vaste palette sonore tant en intensité qu'en timbre et l'aide à trouver l'instrument qui sera le plus en adéquation avec ses émotions », souligne Catherine Roy. L'éducatrice précise également que l' « instrumentarium » est varié mais surtout d'une belle qualité sonore : produire, par exemple, un son beau et ample sur une grande cymbale est particulièrement gratifiant.

Une ouverture sur le monde

Les éducateurs qui utilisent la musique dans leur pratique professionnelle lui prêtent les mêmes avantages que les autres activités artistiques : ce sont de précieux outils de communication, permettant notamment à l'enfant handicapé d'extérioriser sa souffrance. Ainsi à Bordeaux, ces enfants de 3 à 6 ans, porteurs de handicaps sensori-moteurs invalidants, à qui l'on a demandé d'inventer des instruments, et qui, à travers eux, ont reproduit leur maladie (comme ce tambour qui coulait sans arrêt, créé par un enfant énurétique).

Faire accéder ces enfants à la musique, c'est aussi les relier à la vie, au monde qui les entoure. Ce n'est pas rien lorsque l'on sait que la personne handicapée est tenue à distance par le milieu ordinaire. Patrick Bensoussan, pédopsychiatre à Bordeaux, note que, dès la naissance, l'environnement sonore d'un enfant atteint par un handicap est différent de celui d'un bébé comme les autres. C'est en tout cas ce qu'il constate dans sa pratique : « Toutes les mères du monde chantent à leur bébé, elles retrouvent des berceuses oubliées. Les parents d'un enfant porteur de handicap chantent peu... Traversez les couloirs d'une maternité, l'oreille collée aux portes. D'un côté, le bruit, les rires, la vie, la musique. De l'autre, le silence. » Le pédopsychiatre ajoute que, dans l'unité de néonatologie où il exerce, l'équipe demande aux jeunes couples d'apporter des cassettes de musique pour les faire écouter à leurs bébés :c'est à la fois un moment de détente et de « partage musical » pour les tout-petits et les adultes. « Mais les parents d'enfants porteurs de handicap amènent rarement cette cassette. Ils l'égarent, ou bien ils l'oublient, remarque Patrick Bensoussan. Parfois, ils vivent même cette demande comme une persécution, une provocation. La musique, par son appartenance en propre à l'humain et à la vie, s'absente. Comme si le handicap déshumanisait et dévitalisait l'enfant qui le porte. »

Or, notre société est envahie par la musique, celle-ci accompagne toutes les activités humaines. Introduire du chant ou des instruments dans les établissements spécialisés permet finalement de raccorder ces enfants, isolés du reste du monde, à la société qui les entoure. C'est à partir de ce constat que des professionnels ont monté le projet Musicautisme en janvier 1997 à Chantilly. Une enseignante et une musicienne interviennent dans une classe extériorisée d'un hôpital de jour, dont les enfants, âgés de 4 à 8 ans, souffrent d'autisme ou de troubles du développement. « Le paradoxe a été pour nous de repérer comment ces enfants en retrait, repliés sur eux-mêmes, ayant du mal à entrer dans le sens commun, y sont parvenus par l'action de la musique », souligne Magali Viallefon, musicienne. « Mon intervention, conjuguée à celle de l'enseignante, met à la disposition des enfants leur possibilité de création, entraînant les enfants à leur tour dans un mouvement, dans leur action propre, qui peu à peu deviennent des acquis sans qu'on les attende ou les demande. Le pouvoir de la musique serait donc de'baigner" ces enfants dans l'ordre du monde - alors qu'ils s'y opposent d'ordinaire. »

Un regard différent

Educateurs spécialisés et ergothérapeutes avouent que cette activité culturelle a changé le regard qu'ils portent sur les capacités de certains enfants. Le centre de rééducation motrice pour tout-petits (CRMTP) d'Antony (3) en a fait l'expérience. Une artiste de l'association Enfance et Musique est venue animer des séances de chant, étalées sur plusieurs semaines. Lors de la première rencontre, Thomas, 5 ans, atteint d'un retard de parole et de langage important, se contente de battre la mesure avec son pied, sans vraiment participer au groupe. Au cours des séances suivantes, il devient de plus en plus actif, en détournant les instruments de leur usage, en les donnant aux enfants qui ne peuvent les attraper seuls... jusqu'au jour où il se met lui-même à inventer une chanson. « Il a alors particulièrement insisté sur la prononciation en s'appuyant sur le rythme de la guitare pour produire les mots plurisyllabiques. Sa syntaxe était plus riche, il utilisait le passé simple comme dans une histoire ainsi que des phrases plus complexes, raconte Hélène Michaud, ergothérapeute. L'aisance acquise lors des séances s'est prolongée dans la vie en classe. Il est maintenant bien plus actif. » Cette professionnelle reconnaît qu'auparavant, l'équipe considérait avant tout Thomas comme un garçon passif et inhibé. Aujourd'hui, elle saisit mieux combien il a lui-même conscience de son trouble et de l'inhibition qui en découle. « La conjugaison de son évolution et de notre nouvelle perception lui a donné un nouvel élan dans tous les domaines, reprend Hélène Michaud. Il est plus persévérant dans son travail et s'affirme davantage face aux adultes et aux enfants. » Changement de regard du côté des professionnels, mais aussi des parents. Ainsi cette maman qui a entendu sa fille, 5 ans, infirme moteur cérébral, chanter pour la première fois : « Elle a vu la petite Nadine dans une activité valorisante qui peut lui redonner confiance et contribuer à améliorer les liens avec sa fille, souligne Hélène Michaud. Cette relation devrait aussi avoir un effet positif pour Nadine en faisant le lien entre la maison et le centre où elle passe toute la semaine. »

A l'IMP Louise-Michel de Pantin (4), Michel Ciordia, instituteur spécialisé, et Samia Smaïl, éducatrice spécialisée, constatent que l'expression musicale a permis à une jeune pensionnaire d'avancer dans trois directions : acquisition de l'image corporelle et du langage, et socialisation. Après la création d'un atelier comptines (activités autour de la voix, de la danse et des percussions), ces professionnels ont monté une chorale unissant le personnel et les enfants. « Cette chorale, qui a lieu de façon hebdomadaire, pendant environ 45 minutes, est sans conteste un moment fort de l'établissement, affirme Michel Ciordia. Elle donne aux enfants un sentiment d'appartenance et de reconnaissance au sein d'un groupe dans lequel tous peuvent s'exprimer et quelles que soient les difficultés, chacun est admis et soutenu. »

En outre, musiciens et professionnels soulignent la notion de plaisir - tout simplement - liée à la musique et au chant. L'enfant est acteur, il choisit sa chanson, son instrument, son degré de participation. Dans cette optique, l'IMP de Grenoble souhaite qu'à certains moments, la salle de musique soit accessible à tout enfant qui le désire, sans que cela soit inscrit d'une façon formelle dans son projet pédagogique. La médaille a évidemment son revers. A Grenoble toujours, l'activité musicale existe depuis de nombreuses années et a parfaitement trouvé sa place. Pourtant, elle est régulièrement remise en cause pour des raisons logistiques ou budgétaires. « Si son intérêt semble reconnu pour la plupart des membres de l'équipe, ce n'est pas toutefois une activité indispensable comme la rééducation ou les activités d'apprentissage », note Catherine Roy, éducatrice spécialisée. A tel point qu'il est parfois difficile de maintenir coûte que coûte et semaine après semaine la pérennité des séances. Jeanne-Charlotte Carlier, médecin-directeur du centre de rééducation fonctionnelle pour tout-petits d'Antony, avoue que le fait que les membres du personnel s'absentent pour participer à des stages -avec l'association Enfance et Musique dans le cadre de la formation continue - est parfois extrêmement difficile à gérer... et forcément mal vu par quelques-uns de leurs collègues.

Un moyen parmi d'autres

Certains instituts qui tentent de travailler avec les conservatoires en milieu ordinaire parlent de la lourdeur de l'organisation (budget, transport, disponibilité des salles) et de la difficulté à maintenir une telle activité. Une difficulté d'autant plus grande que la musique n'est finalement qu'un moyen - parmi d'autres -mis à la disposition des éducateurs pour établir un lien avec l'enfant ou l'adulte handicapé, et lui permettre, à lui aussi, de s'exprimer sur un mode artistique. Et elle ne fait bien souvent pas partie des priorités des établissements. Sachant que le choix de cette activité est surtout le fait de structures recevant des personnes atteintes de maladies mentales, et moins d'institutions spécialisées dans le handicap sensori-moteur. « L'idéologie productiviste est toujours dominante dans de nombreux éta- blissements... Il y aurait l'indispensable et l'accessoire », souligne Gérard Bonnefon, formateur. Pour lui, « de telles situations sont le résultat d'une absence de dialogue dans l'institution et d'un référent qui est le garant du projet global. Or celui-ci ne peut pas s'inscrire dans la durée, s'il n'est pas patiemment expliqué - cela ne veut pas dire édulcoré - lors des réunions des équipes de travail. »

Anne Ulpat

Notes

(1)   « L'enfant handicapé et la musique »  - Colloque organisé, le 14 septembre 1998, par Enfance et Musique : 17, rue Etienne-Marcel - 93500 Pantin et l'Association nationale des équipes et des centres d'action médico-sociale précoce (Anecamsp)  : 10, rue Erard - 75012 Paris - Tél. 01 43 42 09 10.

(2)  IMP Ninon-Vallin : 12, rue Ninon-Vallin - 38100 Grenoble.

(3)  CRMTP : 37, rue Julien-Périn - 92160 Antony.

(4)  IMP Louise-Michel : 64, rue Charles-Auray - 93500 Pantin.

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