Recevoir la newsletter

La difficile concertation

Article réservé aux abonnés

Réfléchir au rôle de chacun pour mieux travailler ensemble : telle est la préoccupation des acteurs du placement familial qui ont à se situer clairement dans la prise en charge de l'enfant. Mais pour indispensable qu'elle soit, la concertation n'en reste pas moins un objectif souvent difficile à atteindre.

Solution de vie pour l'enfant et ses parents pendant la durée - incertaine et souvent longue - où rester ensemble est devenu impossible, le placement familial est un système d'une grande complexité. Que faire ?Comment ? Et surtout : qui doit faire quoi ? De la définition et du respect de la place de chacun, dépend la qualité de la mise en synergie de tous, c'est-à-dire aussi la cohérence des actions engagées dans l'intérêt du jeune qui est placé. C'est à une tentative d'élucidation des tâches et des rôles des différents acteurs impliqués dans cette relation éducative particulière, que se sont récemment livrés les participants aux journées d'étude de l'Association nationale des placements familiaux  (ANPF)   (1).

A la triade mère-père-enfant, succède une autre relation tripartite : celle qui existe entre les parents, l'enfant séparé de son groupe de parenté, et la famille d'accueil dont l'intervention se situe elle-même dans le cadre institutionnel d'un service de placement. Au cœur du dispositif, l'assistante maternelle et sa famille représentent, pour l'enfant, un espace symbolique stable, avec des repères structurants, où se jouent, dans une logique de respect des générations, des relations sexuées, maternantes, paternantes, fraternelles. C'est bien dire que le quotidien, « un mot qui revient très souvent par rapport à notre travail d'assistante maternelle », n'est pas fait uniquement de tâches matérielles, souligne Suzanne Zehnder. A travers ces dernières, il s'agit de réaliser « l'accompagnement, plus ou moins long, d'un petit d'homme qui va grandir dans notre sphère familiale, entouré de notre affection, de nos valeurs, de nos richesses comme de nos faiblesses. Notre quotidien à nous, assistantes maternelles, n'est-il pas aussi d'apprivoiser, d'écouter, d'apaiser les souffrances, de calmer les angoisses, de contenir les violences - et n'est-ce pas cela l'éducation ? » Mais précisément, estime Suzanne Zehnder, c'est ce quotidien-là, souvent le plus lourd à porter, qu'il semble très difficile à faire partager : « On a souvent l'impression de ne pas être suffisamment entendues. »

Le mari de l'assistante maternelle

Une autre parole, rarement évoquée et pourtant essentielle, est celle du conjoint de l'assistante maternelle. Ce dernier, bien sûr, ne remplace pas le père de l'enfant accueilli, mais il agit, toutefois, au jour le jour, dans les mêmes circonstances que celui-ci. D'ailleurs au moment de l'embauche d'une famille d'accueil, les services insistent beaucoup sur la nécessité, pour l'enfant, d'être intégré à une famille, et que chacun de ses membres tienne sa place auprès de lui. Mais qu'en est-il, ensuite, du suivi du placement, c'est-à-dire comment les pères d'accueil sont-ils réellement pris en compte par les institutions ? Un quelconque travail est-il fait dans leur direction ? Apparemment non, ce qui explique que, manquant probablement plus de distance que leur femme, certains pères d'accueil sont en souffrance par rapport à la souffrance de l'enfant. D'aucuns font état de ce ressenti en disant qu'une fois cet enfant-là parti, le prochain sera moins investi. Cela pose la question, si ce n'est d'une formation - cependant réclamée -, du moins d'un soutien à apporter aux pères pour les aider à élaborer leurs difficultés, d'autant qu'au long du placement, le déséquilibre se creuse avec leur épouse qui est, elle, amenée à faire ce travail de réflexion sur son vécu. D'où l'intérêt que pourrait avoir la présence des pères d'accueil lors des bilans et synthèses effectués à propos de l'enfant. Elle leur permettrait également d'exprimer leur position face à l'intervention du service de placement dans leur propre famille, parfois ressentie comme une intolérable intrusion pouvant, le cas échéant, les mettre en difficulté dans leur rôle d'autorité. C'est par exemple le cas lorsqu'un éducateur autorise à l'enfant une sortie que le père avait interdite, ou lors de tout autre arbitrage différent du sien que peuvent être amenés à faire les travailleurs sociaux. Ne revient-il pas pourtant aux pères d'accueil d'être, chez eux, les garants des règles du jeu familial ? Plaidant pour cette reconnaissance du rôle du mari de l'assistante maternelle, les responsables de plusieurs services de l'ANPF se sont d'ailleurs engagés, depuis quelques mois, dans une recherche-action sur la fonction paternelle en placement familial, qui devrait aboutir au printemps.

Rompre l'isolement des différents protagonistes en instaurant des espaces de parole où se reconnaître, tous, partie prenante d'une même équipe, tel est l'enjeu d'un travail éducatif qui repose sur plusieurs têtes. A défaut d'une étroite collaboration, il n'est pas possible d'assurer le soin de ces enfants, ni de leurs parents, insiste en ce sens Myriam David. Mais, précise la pédopsychiatre, on ne peut reprocher à la famille d'accueil d'être fusionnelle : elle ne peut que céder à la demande d'enfants en proie à une persistante et croissante angoisse de séparation. Ce qu'il est opportun de faire en revanche, c'est de l'aider à ne pas s'enfoncer dans ce collage, et à ne pas se laisser entraîner non plus dans l'intolérance et le rejet. « Nous soupçonnons en effet maintenant que les difficultés des familles d'accueil- difficultés qu'elles nous cachent tant qu'elles peuvent  - poursuit Myriam David, sont en réalité les révélateurs, et non la cause, des difficultés et des troubles de l'enfant. Celui-ci, en fait, répète, avec sa famille d'accueil, les relations premières de dépendance et de rupture qu'il a eues avec ses parents. » On sait en outre, explique la pédopsychiatre, que ces enfants ont des structures rigides : elles résistent ou elles éclatent, et cette connaissance permet de comprendre les crises à travers lesquelles évoluent les placements familiaux. « Souvent vécus comme des échecs, ces moments extrêmement émouvants et très décourageants, sont en fait des tentatives de remaniement des positions des uns et des autres. » Autant d'éléments qui contribuent à rendre compte du travail particulièrement complexe à mener dans un placement familial qui, de l'avis unanime, ne peut être accompli sans la mise en œuvre d'un réel partenariat. Ce dernier néanmoins semble loin d'être effectif partout.

Contrôle ou accompagnement ?

Des difficultés de plusieurs ordres peuvent entraver l'instauration de relations confiantes et équilibrées entre les intéressés, parmi lesquelles la position du travailleur social n'est pas la moins problématique. Mettant en cause l'expression souvent utilisée de « l'assistante maternelle et l'équipe » - comme si nous ne faisions pas partie de l'équipe, s'insurgent-elles ! -plusieurs assistantes maternelles font état de leur sentiment d'être « décortiquées » par les travailleurs sociaux, comme s'il s'agissait, continûment, de s'assurer de la qualité de leur travail, plutôt que de les soutenir dans celui-ci. Ce contrôle, en outre, est d'autant plus mal vécu par les intéressées qu'il est souvent le fait de ceux-là mêmes qui ont été chargés de les recruter. D'où la question centrale, encore une fois réitérée, de la place assignée à chacun : à l'institution de sélectionner et d'embaucher les assistantes maternelles, aux éducateurs et assistantes sociales de les accompagner dans leur tâche.

Plus ou moins facile à assumer, c'est bien cette fonction d'accompagnement qu'ont revendiquée, comme leur étant spécifique, de nombreux travailleurs sociaux participant aux journées de l'ANPF. « Il nous revient, de protéger l'enfant, mais aussi la famille d'accueil », explique Jean-Pierre Labrot, éducateur spécialisé, qui qualifie son rôle de « paratonnerre », car sur le travailleur social se concentrent des tensions et des crises qui peuvent être violentes. Quelles que soient leur formation de départ, ajoute son collègue Raymond Grand, les travailleurs sociaux doivent « médiatiser, de façon très stricte, les rapports entre familles d'accueil et familles naturelles, notamment ceux, comme l'organisation des séjours ou les communications téléphoniques qui peuvent donner lieu à des conflits ». Mais s'il faut protéger l'assistante maternelle, il convient aussi, précise Raymond Grand, d'aider cette dernière à respecter l'image des parents de l'enfant. Entre le marteau et l'enclume, les travailleurs sociaux s'efforcent de remettre l'enfant dans sa position d'enfant, c'est-à-dire aussi de lui permettre de s'autoriser à se sentir à sa place dans sa famille d'accueil. « Parfois, cela fonctionne très bien, et nous réussissons à être ce tiers permettant à la parole de circuler, mais le travail d'élaboration commune n'est pas toujours possible », commente une assistante sociale. Et d'exprimer le malaise ressenti quand, entre l'enfant et ses familles d'accueil et d'origine, l'institution avec ses demandes et le contexte juridique du placement familial, on ne réussit pas à concilier toutes les exigences de sa fonction.

Le nombre de situations suivies est à cet égard déterminant, car le travail d'équipe demande du temps. Mais encore faut-il savoir ce qu'on entend par « équipe », estime Jean Biarnès, psychologue clinicien et universitaire (Paris-XIII), pour qui la notion ne doit pas faire référence à une juxtaposition mais à une confrontation de regards, seule susceptible de garantir la globalité de la prise en compte du sujet. Et ce, par rapport à un projet institutionnel personnalisé, construit pour l'enfant, dans lequel les différents acteurs devraient être partie prenante.

Figure centrale d'une relation de suppléance, analyse la psychosociologue Marie-Pierre Mackiewicz, l'assistante maternelle partage la fonction éducative avec l'ensemble des professionnels du placement familial. Cette répartition des tâches - « garantie nécessaire pour que la suppléance ne glisse pas vers la substitution »  - est l'objet de négociations parfois tendues au sein des dispositifs, les tensions pouvant naître dans la rivalité affective autour de l'enfant et à propos des statuts différenciés des uns et des autres (niveaux de formation, de rémunération, etc.). Mais s'il est nécessaire que chaque interlocuteur comprenne la logique d'intervention de l'autre pour que des pratiques cohérentes puissent être instaurées, la présence de « tiers » diversifiés auprès des enfants (éducateurs, assistants sociaux, psychologues) est, de l'avis même des intéressés, une richesse. Les témoignages recueillis auprès de jeunes ayant vécu en placement familial montrent en effet qu'ils attendent quelqu'un avec qui échanger, dans un cadre plus neutre que celui d'une famille. En plus de leur écoute et soutien complémentaires à ceux de la famille d'accueil, ces professionnels peuvent être perçus comme une instance médiatrice et protectrice, les aidant à gérer la complexité des relations avec leurs familles d'accueil.

A la fois parents et usagers

En ce qui concerne par ailleurs les rapports entretenus par l'instance éducative suppléante (assistantes maternelles et travailleurs sociaux) avec les parents des enfants, nombre d'ingrédients, explique Marie-Pierre Mackiewicz, sont réunis pour renforcer leurs antagonismes. Pour les contrer, il est primordial, affirme la psychosociologue, de reconnaître aux parents leurs droits parentaux (maintien de l'autorité parentale) et leurs droits d'usagers du service public constitué par l'aide sociale à l'enfance. C'est une des conditions nécessaires pour « parvenir à une coopération accordée, où suppléants et suppléés se reconnaissent une légitimité mutuelle et mettent en place une forme de coéducation ». A l'horizon de cette pluriparentalité ordonnée, il s'agit, pour l'enfant, de pouvoir se construire, sans se culpabiliser, à l'intérieur des liens multiples tissés avec ses deux familles.

Caroline Helfter

Notes

(1)   « Et toi... c'est où chez toi ?... Parentalité, filiation et représentations sociales »  - Organisées les 1er et 2 octobre à Paris - ANPF : 34, rue de Paradis - 75010 Paris - Tél. 01 47 70 23 95.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur