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Les agents de l'action sociale départementale sous pression

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Sondés par la CFDT Interco, les agents de l'action sociale départementale évoquent le durcissement de leurs conditions de travail. En cause notamment : l'industrialisation du travail social.

C'est hier que la CFDT Interco a rendu publics les résultats de son enquête « Travail social en questions », menée auprès de plus de 7 000 agents de l'action sociale des départements (1). Alors que les sociologues du programme de recherche sur l'intervention sociale piloté par la MIRE devraient livrer leurs conclusions au printemps prochain  (2), nul doute que cette étude a le mérite d'apporter le point de vue, souvent peu pris en compte, des acteurs de terrain sur les mutations vécues depuis la décentralisation. Et de faire toucher du doigt la dégradation au quotidien de leurs conditions de travail.

Première affirmation : contrairement peut-être à certaines critiques, les professionnels semblent avoir bien intégré la nouvelle donne de l'action sociale. L'unanimité avec laquelle ils affirment leur qualité de « salariés » signale bien la fin du modèle du travail social libéral, relève l'étude. Les agents se vivent désormais comme des professionnels remplissant des missions définies par la loi et leur employeur. C'est ainsi que 44 %considèrent que ce sont d'abord les élus locaux (et 21 % la hiérarchie) qui contribuent prioritairement à l'élaboration de l'action sociale mise en œuvre par le conseil général. De même, le travail en équipe, qui était loin de faire l'unanimité il y a encore quelques années, est aujourd'hui apprécié par 70 % des enquêtés. Quant aux valeurs humanistes liées à la promotion individuelle et collective des personnes et des groupes, elles restent bien présentes, tant chez les travailleurs sociaux que parmi les administratifs et les médico-sociaux. Mais, s'ils « vivent leur profession comme un engagement au service des autres, en l'occurrence des usagers », les interrogés n'en affichent pas moins un certain réalisme face à la lourdeur des situations rencontrées. 73 % jugent ainsi que leur travail « contribue à régler certaines difficultés » des usagers, et 3 % seulement affirment qu'il permet réellement de sortir des personnes de l'exclusion. A l'inverse, pour 12 %, il ne fait que « conforter un système lui-même producteur d'exclusion ».

Pourtant, s'ils ont intégré cette évolution, ils ont trop souvent le sentiment que leurs employeurs ou responsables restent sur une image ancienne. Et les considèrent encore comme un corps de « travailleurs indépendants » ou des salariés sous-qualifiés. Certains professionnels se plaignent ainsi d'être privés d'informations :près de 57 % ne connaissent pas les critères d'évaluation des politiques sociales décidées par les employeurs. Leurs compétences sont utilisées « trop peu » (6 %) ou « partiellement » (46 %). « Je ne peux prendre des décisions que pour résoudre des difficultés simples », déplorent 45 % des personnes. Près de un agent sur cinq partage ainsi ces sentiments de déconsidération et de non-reconnaissance professionnelle. Proportion qui atteint même 91 % dans un département.

QUI A ÉTÉ INTERROGÉ ?

7 103 agents de l'action sociale dans les départements ont répondu (1).

 90 % sont des femmes et 75 % ont entre 30 et 49 ans.

 26 % sont syndiqués (CFDT ou autres).

 49 % sont des travailleurs sociaux (assistantes sociales, éducateurs, conseillères en ESF, travailleuses familiales)   16 % des agents médico-sociaux (puéricultrices, infirmières, médecins, psychologues, sages-femmes)   26 % des personnels administratifs.

 Seuls 26 % des salariés interrogés n'ont connu qu'un seul employeur, le conseil général  25 % sont passés auparavant dans plus de quatre institutions (entreprise, association ou autre conseil général).

 90 % possèdent au moins le bac et 50 % ont un niveau supérieur à bac+ 2.

Dégradation des conditions de travail

Ce qui domine finalement, c'est le sentiment de ne pas être associés à l'élaboration des politiques sociales et de voir leur compétence et expérience « strictement canalisée, corsetée par des dispositifs hiérarchiques ». « En ce sens, les réactions et la situation des agents se rapprochent curieusement, non pas des autres personnels de la fonction publique, mais d'une catégorie dont a priori ils semblaient bien éloignés : celle des salariés de l'industrie », affirme l'étude (2). Certes, leur situation ressemble encore sur de nombreux points (engagement dans une mission, autonomie dans le travail) à celle des autres personnels du secteur non marchand (Education nationale, santé...). « Un état de grâce » qui évoluerait néanmoins dans un sens moins favorable. La faible augmentation de leurs responsabilités et le manque d'information (ou son irrégularité) de la part de l'employeur les rapprocheraient ainsi des salariés du groupe marchand. Pire, alors que les personnels de l'Education nationale signalent une amélioration du rythme et de l'intensité de leur travail, les agents sociaux verraient leur situation se dégrader de façon plus sévère même que dans les usines d'habillement, du textile et de la viande, déplore la CFDT Interco. En cause, non pas le caractère répétitif de l'activité, mais sa trop grande dispersion liée à la multiplicité des dossiers à traiter. D'où le développement des heures supplémentaires :25 % déclarent en effectuer souvent et 48 %quelquefois.

Et de fait, un mot revient sans cesse dans la bouche des salariés : la pression. D'abord, celle des usagers dont les situations s'alourdissent. L'étude met bien en évidence l'état de stress des professionnels soumis d'ailleurs à une augmentation des violences physique et psychologique des usagers. En Moselle, 76 % des personnels y ont été confrontés et 95 % des agents des unités territoriales d'action sociale ont subi une fois ou l'autre des agressions. Tous, qu'ils soient travailleurs sociaux, personnels médico-sociaux, agents administratifs, médecins de la PMI, ont désormais le sentiment de jouer les « pompiers du social ». « Lorsqu'on visite une famille, j'ai toujours peur de ne pas sentir un problème énorme, du genre attouchement sur un enfant. C'est une pression constante qui me mine jour après jour. Celle du loupé absolu », avoue ainsi une assistante sociale. Confrontés à une clientèle plus nombreuse et au sentiment parfois que le service public devient la voiture-balai pour les cas lourds, les agents ont de plus en plus de mal à gérer ce stress. D'autant que 70 % d'entre eux signalent l'insuffisance des effectifs, mais aussi le manque de moyens matériels, l'empilement des dispositifs ou encore la complexité de l'organisation des services. Ce qui n'empêche pas les salariés de continuer à placer l'usager au cœur de leur action. 58 %souhaitent travailler en priorité pour résoudre ses difficultés, « même si aucun dispositif n'est prévu ».

A la pression des usagers, s'ajoutent les nouvelles contraintes liées à « l'industrialisation du travail social ». C'est ainsi que l'espoir suscité par les tentatives de réorganisation des services, impulsées par les départements, est aujourd'hui retombé. Ayant le sentiment d'avoir été peu ou mal associés à leur mise en œuvre (67 %), les salariés se trouvent confrontés à une hiérarchie de plus en plus lourde et procédurière. Et dans de nombreux départements, ils constatent une réduction de leur autonomie. Certaines directions de services sociaux scrutent ainsi à la loupe les tâches des agents afin de réorganiser le travail, mais surtout rationa- liser son exécution. Ce qui aboutit le plus souvent à la parcellisation des tâches. Par exemple, en Moselle, les travailleurs sociaux relèvent que les tâches répétitives leur prennent de plus en plus de temps au détriment de la relation d'aide. « Nos employeurs veulent nous faire passer au stade industriel, alors que l'action sociale relève de l'artisanat », analyse un agent. Pour la CFDT Interco, les consultants et divers cabinets d'audit ont « réussi ce tour de passe-passe, que nul n'imaginait possible, de ne s'intéresser qu'au quantitatif, en négligeant tout ce qui n'est pas mesurable ».

Mieux prendre en compte l'usager

Pas question pourtant de considérer les acteurs du social comme des passéistes, affirment les auteurs de l'étude. La moitié d'entre eux jugent « indispensables » les nouvelles organisations de travail. Certains notent même, dans les expériences engagées, des « avancées positives » en termes de restructuration des missions, d'unification des procédures et de définition des priorités de travail. Mais ils souhaitent que les employeurs, s'inspirant des dernières évolutions du management, mettent en place des équipes souples, pluridisciplinaires, permettant de mieux aider les usagers. S'il ne s'agit pas de revenir à la polyvalence totale (non souhaitée d'ailleurs par les agents), souligne la CFDT Interco, ces constats invitent néanmoins à remettre au cœur de la réflexion, le concept de polyvalence en déficit d'image depuis quelques années. Car, selon elle, ce modèle « représente une réponse aux besoins sociaux, une reconnaissance par la société d'un savoir-faire, d'une légitimité d'intervention, d'expertise et d'une fonction de médiation ». Il suppose en outre une profonde réorganisation des découpages territoriaux calquée davantage sur les réalités sociales. Par exemple, dans la Drôme, les agents proposent une nouvelle organisation prenant en compte le bassin de vie. Autre revendication : multiplier les personnes-ressources qui supervisent le travail au sein des équipes pluridisciplinaires. Apparaissant timidement dans certains départements, celles-ci permettent aux professionnels de prendre du recul face à certaines situations difficiles à gérer. Néanmoins une véritable réorganisation autour du concept du travail d'équipe n'aura de sens que si les spécificités de chacun sont reconnues par une fiche de poste détaillée, défendent certains. Or, seuls 51 % des agents interrogés voient leurs missions explicitées dans un tel document. Pour le syndicat, son absence « transforme toute évaluation en une notation administrative fondée sur des critères les plus flous », note l'étude.

Toutefois, faire évoluer l'organisation du travail suppose de nouveaux moyens en qualité et en quantité, affirme l'ensemble des personnels. 26 % souhaitent une amélioration de leurs conditions de travail et 13 % de l'ambiance. Un « mal-être » qui, observe la CFDT Interco, pourrait déjà être soulagé par des réponses simples : remplacement du matériel, mise en place des CHSCT... Mais au-delà, 25 % des sondés citent la réduction du rythme et de l'intensité du travail comme un chantier prioritaire et réclament un accroissement des effectifs. Pour 47 %, la pénurie actuelle ne permet que l'exercice des missions obligatoires et, pour 23 %, ces dernières ne sont même pas assurées. L'amélioration de l'emploi arrive ainsi en tête des préoccupations avec l'augmentation des salaires (34 %), devant la réduction de la durée du travail (18 %) et la formation continue.

Enfin, 27 % des salariés souhaitent la clarification des objectifs de l'employeur et 46 % demandent à participer à l'élaboration des missions de l'action sociale mises en œuvre par le conseil général. Par ailleurs, se sentant insuffisamment soutenus par leur responsable de service, ils réclament une hiérarchie qui définisse les priorités de travail après avoir consulté les professionnels de terrain. Ce qui permettrait d'atténuer le décalage qu'ils ressentent actuellement entre les missions qui leur sont confiées et leur pratique professionnelle.

Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Le nombre total des agents est estimé entre 30 000 et 35 000.

(2)  L'enquête de la CFDT Interco s'inscrit dans le cadre plus général d'une enquête sur « Le travail en questions » menée par la CFDT.

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