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« Réaffirmer une ambition nationale »

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Il faut réaffirmer la place de la politique du handicap par rapport à la lutte contre l'exclusion, défend Patrick Risselin, tout juste nommé conseiller technique au ministère de l'Emploi et de la Solidarité et ancien responsable des études à la DAS (1), dans un ouvrage que l'ODAS présente le 19 octobre (2).

Actualités sociales hebdomadaires  : Votre ouvrage s'inspire du rapport que vous avait commandé, en mai 1995, Simone Veil, à l'époque ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville. Comment expliquer que celui-ci ait été enterré ?

Patrick Risselin  : En fait, en 1995, Simone Veil envisageait une grande commission des Sages pour réfléchir aux suites éventuelles à donner à la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées. Mais, avec la perspective des élections présidentielles, la ministre a demandé, de façon plus modeste, un rapport de bilan et de prospective sur la loi à la direction de l'action sociale. Remis à son successeur après le changement de gouvernement, mon travail n'a alors suscité ni enthousiasme ni hostilité particulière. Simplement la question n'était plus prioritaire. Ce rapport a donc été davantage victime des circonstances que d'une volonté délibérée de l'enterrer. Même si ce silence est symptomatique aussi de la question de fond :quelle est la place aujourd'hui d'une politique du handicap ?

ASH  : Justement, en quoi une telle politique a-t-elle encore sa place par rapport à la lutte contre les exclusions ?

P. R.  : Je crois, personnellement, que ce serait une erreur de dissoudre la politique du handicap dans une politique plus vaste de lutte contre les exclusions. D'abord, il n'y a pas automaticité entre les deux situations même si le handicap peut conduire à l'exclusion. Ensuite, à vouloir traiter ces publics ensemble, on prend un double risque : soit de banaliser le handicap, médicalement constaté, dans une sorte de flou de l'exclusion où la personne invalide risque d'être perdue de vue et in fine laissée pour compte  soit, et on le voit bien en Grande-Bretagne ou en Hollande, de faire basculer tout le monde du côté de la handicapologie et de transformer les exclus en handicapés sociaux. Je crois quand même qu'il y a une spécificité des problématiques posées.

ASH  : Par exemple ?

P. R.  : Les handicapés soulèvent ainsi des questions liées à la compensation de leurs déficiences et au rôle que doit jouer la collectivité dans sa prise en charge. Ils renvoient aussi au regard de l'autre et à l'acceptation d'une différence qui marque les corps. Sans compter, tous les débats emblématiques liés au rapport à la vie, à la sexualité des personnes handicapées...

ASH  : Néanmoins, qui dit politique spécifique dit aussitôt risque de ghetto ?

P. R.  : Entendons-nous bien, cette politique spécifique ne signifie pas qu'elle soit déconnectée des autres politiques publiques. Bien au contraire, elle doit mettre en cohérence ce qui se fait ailleurs, dans l'emploi, l'éducation, les ressources... C'est bien toute la contradiction dynamique de la loi d'orientation de 1975 que de reconnaître à la personne handicapée un statut protecteur et, en même temps, d'affirmer qu'il doit être nié par une intégration en milieu de vie ordinaire. Ce que j'appelle à la fois être handicapé et être avec un handicap. J'ajoute-rais que la prise en charge des handicapés a peut-être quelque chose à nous dire pour d'autres politiques : certains savoir-faire développés en matière de formation professionnelle, notamment par les centres de rééducation professionnelle, mériteraient ainsi d'être diffusés plus largement vers d'autres publics.

ASH  : On a pourtant le sentiment d'un décalage entre les objectifs et la réalité.

P. R.  : La loi a quand même renouvelé complètement l'approche du handicap en s'attachant davantage à ses conséquences sociales qu'à ses origines. Et tout le monde s'accorde à reconnaître que, sur les 20 ans écoulés, elle a été un facteur de progrès. Par exemple, le système de prestations qu'elle instaure, aussi critiquable qu'il puisse être, a été un formidable amortisseur social. Globalement, les personnes handicapées, même si mes propos doivent être nuancés, n'ont peut-être pas été les plus directement victimes de la crise. En outre, la loi a favorisé le développement de la couverture d'établissements spécialisés pour les enfants et les adultes dont l'insuffisance tend progressivement à se résorber. Enfin, même si c'est plus difficile à mesurer, je crois qu'une perception différente du handicap par les personnes valides s'est imposée.

ASH  : L'intégration reste pourtant encore trop souvent un vœu pieux.

P. R.  : C'est vrai, la loi n'a pas atteint son objectif d'intégration, à savoir permettre aux personnes handicapées d'être intégrées dans tous les aspects de la vie collective : l'école, l'emploi, la vie sociale... Et je crois que l'un des échecs patents en l'espèce, ce sont les carences de nos politiques en matière de maintien à domicile des personnes handicapées. Nous avons beaucoup de difficultés à apporter des solutions cohérentes et efficaces à celles qui souhaitent rester chez elles.

ASH  : A quoi attribuer cet échec ?

P. R.  : Il y a bien évidemment la détérioration de la situation économique et sociale. Mais sans doute aussi une question de fond : y a-t-il eu réellement, y compris de la part des personnes handicapées et de leurs représentants, une volonté d'intégration ? Car si l'intégration est un objectif attractif, c'est aussi un risque énorme. On sait très bien que dans certains centres d'aide par le travail, des travailleurs handicapés auraient les compétences suffisantes pour aller en atelier protégé, voire en milieu ordinaire. Or ils sont moins de 1 % chaque année à faire le pas. Outre que les centres ont tout intérêt à conserver leurs « bons éléments », il faut bien se rendre compte aussi de la difficulté pour un travailleur handicapé de quitter cet environnement protégé, sans garantie en cas d'échec.

ASH  : Mais la décentralisation n'a-t-elle pas aussi freiné les efforts d'intégration ?

P. R.  : C'est vrai, l'entrée en vigueur des lois de décentralisation a été un facteur particulièrement perturbant pour les différents acteurs. Car, peut-être plus que dans d'autres champs de l'action sociale, la répartition des compétences de la politique du handicap s'est faite de façon à peu près équilibrée entre l'Etat, les départements et la sécurité sociale sans qu'un chef de file soit clairement désigné. Je pense néanmoins que la décentralisation n'a pas été la catastrophe annoncée car elle a été aussi l'occasion pour des élus locaux de se familiariser à cette problématique particulière, d'engager des réalisations parfois remarquables en termes de créations de services à domicile, de solutions alternatives... Même si tout cela s'est fait un peu dans le désordre et sans cohérence d'ensemble.

ASH  : Pas question donc, pour vous, de revenir sur la décentralisation ?

P. R.  : Il s'agit moins, à mon avis, de revenir sur le principe lui-même - ce qui serait une illusion - que d'approfondir le processus en établissant des règles du jeu suffisamment claires pour savoir comment cela marche entre les acteurs et comment les personnes peuvent s'y repérer. Car au-delà de la cuisine institutionnelle, la visibilité et la transparence des dispositifs sont aussi l'une des conditions d'exercice de la démocratie par les personnes handicapées.

ASH  : Faut-il alors remettre à plat la loi d'orientation de 1975 ?

P. R.  : Je ne pense pas qu'il faille remettre la loi sur la table. Mais au moment où l'on serait peut-être tenté d'en faire le parent pauvre des politiques sociales, parce que les urgences sont ailleurs et que le problème dominant est celui de l'exclusion, je crois qu'il est important de réaffirmer une ambition nationale pour les personnes déficientes. Car si l'élan a été donné il y a 20 ans, la politique du handicap n'a surtout évolué, ces dernières années, que par contrecoup à d'autres problématiques. Par exemple, le débat autour de l'allocation compensatrice tierce personne ne s'est focalisé que sur l'aspect de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées. Les modalités d'attribution de cette prestation ont été « durcies » sans que l'on s'interroge fondamentalement sur son adaptation aux besoins des personnes handicapées. De même, c'est à l'occasion de la loi hospitalière et des ordonnances portant réforme de la sécurité sociale, qu'on a décidé que des hôpitaux pourraient gérer des établissements pour handicapés.

ASH  : Comment redonner un nouvel élan à la loi de 1975 ?

P. R.  : Globalement ses principes sont toujours valables. Tout le problème, c'est de les rendre effectifs et de pousser leur logique jusqu'au bout. Il me paraît essentiel ainsi de garantir aux personnes le respect de leur dignité sur lequel nous sommes constamment interpellés à travers les questionnements éthiques liés aux progrès médicaux, aux dépistages anténatals, à la stérilisation des handicapés... De même, les personnes doivent pouvoir exercer une totale liberté de choix de leur mode de vie, lorsqu'elles peuvent l'exprimer. Ce qui signifie très concrètement que les dispositifs existants ou à construire n'opposent plus l'institution et le milieu ouvert, mais assurent une plus grande fluidité entre les deux...

ASH  : Mais, faut-il encore que les ressources des personnes handicapées favorisent leur intégration.

P. R.  : C'est vrai qu'il s'agit là d'un maquis d'une extrême complexité, peu lisible et souvent injuste qui globalement incite peu à l'intégration dans les dispositifs de droit commun. Je ne sais pas si les esprits sont mûrs, mais je crois qu'il conviendrait au moins d'ouvrir une réflexion sur la façon de concevoir peut-être un système plus cohérent, plus incitatif.

ASH  : Et aussi plus harmonisé avec les autres minima ?

P. R.  : Sans doute, encore que la question soit extrêmement délicate. Il faut tenir compte, en effet, des corporatismes et, je dirais, de la frilosité qui bloque toutes les évolutions nécessaires. De plus, il ne s'agit pas non plus de montrer du doigt les personnes handicapées en les désignant comme les « nantis » parmi les pauvres, ce qui serait foncièrement injuste. Car tout dépend de ce que l'on veut faire dire à ces minima sociaux. Ainsi l'allocation aux adultes handicapés est-elle seulement une prestation de subsistance ou vise-t-elle également à compenser le handicap ? Ce type de question doit être abordé. Sachant qu'il faut aussi rester extrêmement prudent sur certaines idées reçues. Comme celle selon laquelle, bon nombre d'exclus glisseraient progressivement par un effet d'attraction du RMI vers l'AAH et seraient de « faux handicapés ». Un a priori pourtant largement surfait si l'on en croit toutes les études sur le sujet.

ASH  : Les acteurs vous semblent-ils prêts à cet effort d'intégration ?

P. R.  :Toute la difficulté justement, c'est qu'il faut une volonté d'intégration partagée par l'ensemble des acteurs. Les personnes handicapées et leurs associations y sont-elles disposées ? Les pouvoirs publics sont-ils prêts sachant que c'est beaucoup plus simple de créer un établissement que de donner des moyens pour mettre en relation tel service d'infirmière à domicile ou d'auxiliaire de vie. La collectivité est-elle aussi décidée à en payer le prix, car le maintien à domicile a un coût sur lequel nous n'avons encore aucune certitude. Enfin et surtout, la société est-elle prête à mieux connaître le handicap pour mieux anticiper ? Nous n'avons que des informations parcellaires qui ne permettent pas de répondre à la question toute simple : combien y a-t-il de personnes handicapées en France ? Pour ma part, je propose le chiffre de 1,8 million d'enfants et adultes sévèrement handicapés.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Où il était chef du bureau des Etudes, de la prospective et de l'évaluation.

(2)  Lors d'une conférence-débat organisée au Sénat - ODAS : 37, boulevard Saint-Michel - 75005 Paris - Tél. 01 44 07 02 52 - Handicap et citoyenneté au seuil de l'an 2000 -150 F.

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