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La sexualité confisquée

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Le droit à la sexualité est fondamental. Forts de ce principe, l'IGAS et certains professionnels plaident pour un véritable accompagnement de la vie sexuelle et affective des personnes handicapées.

« La liberté et l'autonomie des personnes handicapées et des malades mentaux doivent être promues par un environnement matériel (préservation de l'intimité), juridique (charte et règlement intérieur) et psychologique (formation des professionnels, aide à l'expression) qui favorise leur épanouissement amoureux et érotique. » C'est un principe extrêmement clair qu'ont posé Marie-Laure Lagardère, Hélène Strohl et Bernard Even, inspecteurs des affaires sociales, dans leur rapport sur Les problèmes posés par les pratiques de stérilisation des personnes handicapées. Rendu public le 30 septembre, ce document avait été commandé, il y a tout juste un an, par Martine Aubry et Bernard Kouchner, après la parution d'un article de presse faisant état de l'existence de nombreux cas de stérilisation forcée, en France, chez des femmes handicapées mentales. La ministre et le secrétaire d'Etat avaient alors chargé l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) de faire la lumière sur cette question et de formuler des propositions.

Concernant la stérilisation proprement dite, les conclusions des rapporteurs sont limpides : elle est illégale et nie la dignité des personnes (voir encadré au verso). Mais au-delà, expliquent-ils, c'est la délicate question du droit des handicapés à une vie sexuelle et affective, notamment en établissement, qui se pose. Un sujet qui avait d'ailleurs fait l'objet d'une vive controverse, en février dernier, à la suite d'un rapport du Conseil national du sida dénonçant le tabou pesant sur la sexualité dans les établissements et services spécialisés. Cette conclusion avait provoqué les réactions indignées de la part de l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées  (Unapei) et de Pierre Gauthier, directeur de l'action sociale (1). Ceux-ci estimaient que l'on niait ainsi les efforts entrepris dans ce domaine depuis un certain nombre d'années (2).

Reste que, si de nombreux établissements cherchent à améliorer les conditions de l'épanouissement sexuel et affectif des personnes handicapées, la situation est encore loin d'être idéale. C'est ce qu'ont rappelé, les 17 et 18 septembre, à Lyon, les participants au colloque « La personne handicapée, d'objet à sujet, de l'intention à l'acte »   (3). Car s'il paraît se lever, le tabou reste immense, immobilisant établissements et familles dans une alternative interdiction/permission peu adaptée à la réalité. « Déjà, l'annonce du handicap a interpellé la sexualité des parents, leur identité... puisque la lignée est atteinte et semble s'arrêter », explique Michel Mercier, professeur de psychologie à Namur  (Belgique). Ensuite, « la grosse problématique vient à l'adolescence, au moment où normalement on prend ses distances et où souvent,  les parents d'enfants déficients vont entrer dans une relation fusionnelle qui, à l'extrême, pourra aller jusqu'aux attouchements prodigués à leurs enfants ». Le « quid » de l'autonomie sexuelle se pose donc pour des personnes que les parents ont parfois du mal à voir grandir et dont ils ont tendance à avoir une représentation fondamentalement asexuée. Sans parler du « consensus profond et puissant entre parents et institutions autour de l'absence de procréation », souligné par Christian Juncker, directeur du foyer pour adultes déficients mentaux, Le Reynard (Sauvegarde du Rhône). Quant à René-Claude Lachal, directeur de recherche au CNRS et lui-même handicapé, il dénonce « les carences sexuelles » qui s'ensuivent et réclame, au nom de la qualité de la vie, la capacité d'avoir recours à d'autres aides « qu'aux expédients occultes et aux cercles clandestins » auxquels la société les renvoie.

Le poids de la peur

Une analyse qui fait écho aux observations des inspecteurs de l'IGAS pour qui la sexualité des handicapés est « une pratique et une parole confisquées » et, le plus souvent, « n'est considérée que comme un risque ». Pourtant, rappellent-ils, le droit à la sexualité « est un droit fondamental », même s'il n'est pas exprimé directement dans les textes. En outre, de façon connexe, se pose le problème du droit à la vie privée ou d'aller et venir. Or, constatent les rapporteurs, « le poids de la peur des accidents qui pourraient être entraînés par une trop grande liberté conduit, de fait, les institutions et les familles à restreindre l'exercice de ces droits ». Par exemple, le règlement intérieur des appartements associatifs pour malades mentaux interdit aux résidents « d'héberger une personne étrangère pour la nuit ». Cette clause, qui vise surtout à protéger les résidents, empêche, de fait, de recevoir un amant. Sur cette question de la reconnaissance du droit à une vie sexuelle en établissement, les inspecteurs de l'IGAS proposent plusieurs solutions. En premier lieu, ils préconisent d'établir une charte des droits des handicapés hébergés en institution, sur le modèle de celles des droits des malades et des personnes âgées. Autre piste : concevoir un règlement intérieur type qui fixe « les grands cadres des règles de vie en collectivité respectant les libertés individuelles ». Enfin, une circulaire pourrait être publiée par la direction de l'action sociale afin de rappeler aux responsables d'établissements et à leur conseil d'administration « la nécessité de l'exercice de ces droits individuels et les modalités possibles d'un développement harmonieux qui en découle ».

Mais si la sexualité des handicapés « doit légitimement s'exprimer », les formes qu'elle peut revêtir sont généralement « peu conformes à la norme dominante ». C'est-à-dire qu'elle « ne s'exprime pas toujours dans une relation stable du couple hétérosexuel » et apparaît, parfois, comme une « manifestation parcellaire et désorganisée de'pulsions momentanées " ». Certaines maladies mentales ou déficiences peuvent en effet provoquer une exacerbation de la libido et des difficultés à contrôler les pulsions sexuelles. En outre, il est fréquent que les handicapés expriment leur sexualité par « des comportements moins urbains que la normale ». Dans ces conditions, on comprend les difficultés que peuvent éprouver les professionnels. Néanmoins, préviennent les inspecteurs, il ne faut pas se voiler la face. « La pire des solutions est de laisser une équipe éducative sans moyen de réflexion face aux relations sexuelles des personnes dont elles s'occupent et aux conséquences qu'elles peuvent poser. » Pour eux, chaque association doit développer une « méthodologie d'accompagnement au développement sexuel » adaptée à son public. L'un des objectifs étant de protéger les personnes handicapées et malades mentales contre les violences dont elles sont parfois victimes et « contre les dangers d'une sexualité non maîtrisée ».

Priorité à la contraception

Une sexualité épanouie suppose, toutefois, de poser la question de la contraception. « L'accès de tous à une contraception moderne et diversifiée » est d'ailleurs l'une des priorités énoncées dans le rapport, notamment afin de régler durablement le problème de la stérilisation. La contraception, chez les handicapés, présente cependant des difficultés spécifiques. En effet, les contraceptifs oraux classiques sont parfois incompatibles, d'un point de vue médical, avec certaines déficiences. Quant aux autres techniques, elles sont, soit d'une utilisation trop complexe, soit trop chères. Ce qui provoque la colère des inspecteurs. « Est-il admissible que les populations pour lesquelles on souhaite le plus une maîtrise de la procréation [...] en soient réduites à des moyens de contraception dépassés, alors qu'il existe des méthodes adaptées ? » Toujours est-il que si le recours aux moyens contraceptifs semble être la meilleure solution, encore faut-il que cela se passe dans de bonnes conditions. Ainsi est-il nécessaire d'obtenir, au préalable, le consentement de la personne concernée. Il est également essentiel que celle-ci bénéficie d'un véritable accompagnement, afin d'être « guidée dans l'accès à une vie relationnelle, sexuelle et affective adulte ». Au demeurant, si certains établissements optent encore pour l'interdiction officielle de la sexualité, assortie d'une contraception rarement parlée et expliquée, on ne saurait ignorer les efforts faits par d'autres. Toute la difficulté étant d'inscrire ces stratégie dans « une action éducative globale », soulignait-on lors du colloque de Lyon. Beaucoup de professionnels dénoncent, en effet, l'hypocrisie liée à la mise en place soudaine de séances d'information sur le sida quand la sexualité elle-même est niée. Reste que l'entreprise est complexe, constatent les responsables de certains établissements qui accèdent, depuis plusieurs années, aux demandes de vie de couple des résidents et ne cachent pas les difficultés qu'il y a à rendre possible une sexualité dans le cadre d'une vie collective. Un exemple parmi tant d'autres : la réponse trop rapide ou inadaptée donnée à un couple de personnes psychotiques, complètement effrayées de se retrouver dans la chambre commune mise à leur disposition. Prendre en compte, accompagner et aider à la réalisation de cette vie sexuelle et affective constitue en effet « un nouveau défi pour les professionnels », qui sont très démunis quant aux limites de leur action et qui « manquent absolument de formation sur le sujet », alerte la sociologue Nicole Diederich.

Valérie Larmignat et Jérôme Vachon

LA STÉRILISATION : UN ACTE ILLÉGAL

En 1996, on a repéré 15 cas de stérilisation d'hommes handicapés et 211 de femmes handicapées ou en grandes difficultés sociales (4). Ainsi, « l'ampleur du phénomène [...]apparaît faible mais non marginale », notent les inspecteurs de l'IGAS, rappelant que la stérilisation demeure illégale tant qu'elle n'est pas justifiée médicalement. Concernant les personnes handicapées, elle est « a fortiori illégale car, de toute façon, leur consentement ne serait pas valable et on ne saurait s'en dispenser ». Autre argument développé contre cette pratique : elle est contraire à la dignité des personnes. En effet, « ces interventions constituent souvent un véritable traumatisme pour les personnes handicapées et une atteinte inacceptable à leur intégrité physique [...]. D'autant que des solutions alternatives existent. » Pour les rapporteurs, il s'agit donc de développer « l'accès de tous à une contraception moderne et diversifiée », quitte, parfois, à l'imposer. En tout état de cause, jugent-ils, la stérilisation des handicapés ne doit surtout pas faire l'objet d'un texte spécifique. Quant à la stérilisation en général, trois solutions sont envisageables : le maintien du statu quo juridique actuel  l'autorisation de toutes les stérilisations volontaires (avec interdiction pour les mineurs et les personnes disposant d'une capacité de discernement ou d'expression restreinte)   l'autorisation de la stérilisation quand la contraception est impossible. Des propositions qui devraient être examinées par le groupe de travail dont la création a été annoncée, le 30 septembre, par le ministère de l'Emploi et de la SolidaritéDe son côté, l'Unapei souhaite que la stérilisation ne puisse être envisagée que dans des cas extrêmement rares et sous certaines conditions, notamment l'échec de toutes les formes de contraception. La décision pourrait alors être prise « collégialement, avec la compréhension et le consentement de la personne concernée » et « la participation de sa famille et/ou de son tuteur ».

Notes

(1)  Voir ASH n° 2059 du 20-02-98 et n° 2064 du 27-03-98.

(2)  L'Unapei, notamment, a conduit un travail de réflexion en vue de généraliser les initiatives menées en matière de prévention. Ce qui a d'ailleurs donné lieu à la circulaire sur la prévention du VIH dans les établissements accueillant des handicapés mentaux, publiée le 10 décembre 1996 par la direction de l'action sociale, voir ASH n° 2002 du 10-12-96.

(3)  Organisé par le Collectif de recherche sur le handicap et l'éducation spécialisée et l'Institut des sciences et pratiques d'éducation et de formation de l'université Lumière Lyon-II : 16, quai Claude-Bernard - 69007 Lyon - Tél. 04 78 69 72  11.

(4)  Au total, on compte environ 22 000 stérilisations par an, en France.

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