La reconduite à la frontière d'un étranger qui a rompu ses attaches familiales dans son pays d'origine doit être annulée. Ainsi en a jugé le Conseil d'Etat dans un arrêt du 23 septembre.
En l'espèce, une jeune Marocaine était entrée en France en 1988, avec un visa accordé pour une durée de 60 jours. Pour échapper à un mariage forcé dans son pays natal, elle était cependant restée irrégulièrement sur le territoire français en séjournant pendant plus de quatre ans chez sa tante. L'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, pris à son encontre en 1993, avait été annulé par le tribunal administratif de Nantes, ce dernier estimant que l'intéressée devait « être regardée, eu égard à la conception qui prévaut dans certains milieux de son pays de l'honneur de la famille et de la durée de son séjour chez sa tante, comme n'ayant plus d'attaches familiales au Maroc ».
Une analyse confirmée par le Conseil d'Etat : « Compte tenu, d'une part, des circonstances dans lesquelles Mme Zemmou a rompu ses attaches familiales au Maroc pour rejoindre sa tante, régulièrement installée en France, chez laquelle elle vit depuis le mois de septembre 1988, et d'autre part, des risques personnels qu'elle encourait en cas de retour dans son milieu familial d'origine... », l'arrêté de reconduite à la frontière est « entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle » de l'intéressée.
En l'état actuel de la jurisprudence, l'autorité administrative doit s'assurer que la mesure d'éloignement n'est pas de nature à entraîner des conséquences d'une gravité exceptionnelle sur la situation personnelle de l'étranger (c'est-à-dire essentiellement son état de santé, son activité professionnelle ou ses études) et qu'elle ne porte pas atteinte à sa vie familiale. Or, dans le cadre de ce dernier contrôle, l'existence de liens familiaux joue traditionnellement en faveur de la reconduite à la frontière. L'arrêt du 23 septembre mérite donc d'être souligné. C'est la première fois en effet, à notre connaissance, que le Conseil d'Etat examine, sur le fond, la qualité des liens familiaux pour apprécier les conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressé.