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« LA VIOLENCE AUX PRISES AVEC ELLE-MÊME »

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« Le débat actuel sur la violence des mineurs et les manières de la contenir appelle quelques remarques. Contrairement à ce que l'on croit la violence ne s'apprend pas. Elle se désapprend. Elle ne s'apprend à la télé, dans la rue ou en prison que de manière superfétatoire » , considère Charles Ségalen.

« Dans la mesure où elle procède de la primauté accordée au principe de plaisir sur le principe de réalité, la violence participe de la nature humaine dans le sens où l'homme, ne sachant se passer d'autrui, est porté à en disposer jusqu'à ce qu'une retenue, un interdit, une transcendance - une autorité en somme - lui donnent des raisons de différer la satisfaction de son désir  désir qui par là même est domestiqué, civilisé, dans ce qu'il offre alors de réalisation de soi dans du “bien commun”.

« L'opération qui consiste à contenir ce que la pulsion cherche à satisfaire dans l'immédiat commence dès le berceau. Les parents qui n'ont pas su donner à leur enfant des raisons d'attendre, des limites qui permettent au passage de se différencier les uns des autres, voient grandir une créature désordonnée qu'il leur sera difficile et parfois impossible de socialiser. L'enfant développe alors toute une gamme de comportements égocentriques ou tyranniques qui ne lui auront pas tant été appris que permis.

« Cette opération de socialisation - de régulation sociale - va se poursuivre, se renégocier, aux différents stades d'apprentissage de la vie en société. L'école ne pourra ainsi donner de sens aux efforts demandés qu'en l'échange de la garantie d'un accomplissement de soi dans ce que chacun “fera plus tard”. De même l'adolescent, pour achever son développement, a besoin d'un adulte contre qui s'affirmer  le “contre” devant être aussi bien entendu comme “appui sur”. Mais c'est seulement s'il constitue un pôle identificatoire - s'il est représentatif des valeurs dans lesquelles il s'est lui-même accompli - que l'adulte contribuera à ce qu'advienne un autre adulte.

« On dira aussi qu'il n'y a d'inégalité sociale tolérable qu'assortie de l'idée d'une échelle sociale susceptible d'être gravie autrement que par le seul mérite d'avoir battu quelqu'un.

« L'autorité qui préside à cette socialisation, quelle qu'en soit l'étape, n'est respectable que pour autant qu'elle donne à croire en la réalisation de soi - c'est une chose - dans un “bien commun”, lequel suppose - c'est autre chose - la réalisation de chacun. L'autorité en somme n'est fondée à exiger que dans la mesure où, en retour, elle autorise. Il n'est, autrement dit, de façons d'être ensemble qui ne soient précédées de raisons d'être ensemble.

« Sa légitimité reposant sur ce qu'elle autorise, sur sa compétence au fond, c'est à cet endroit précis que l'autorité désapprend la violence. Faute de s'acquitter de cette exigence envers elle-même - inscrire l'individuel dans un collectif lisible et accessible pour chacun - l'autorité se trouve de fait dé-missionnée et la violence, en retour, non seulement possible mais encore permise,  implicitement certes mais sûrement. L'homme est d'abord un loup pour l'homme.

« Si l'Education nationale n'a d'autre ambition à donner à ses élèves que d'être les meilleurs, ce à quoi elle s'attache de plus en plus par une course aux résultats dès l'enseignement élémentaire, et à moins que l'enseignant ne réalise la prouesse de faire terminer ses 30 élèves dans les 10 premiers de la classe, cette école en son sein véhicule une idéologie de battus. Jules Ferry doit se retourner dans sa tombe à l'idée que l'école de la République abandonne la réussite de chacun à celle de l'un contre l'autre. Ce n'est pas aux élèves qu'il faut faire de l'instruction civique ! On a beau jeu alors de s'indigner que certains, précédant le dénouement annoncé, passent à l'acte pour éliminer un rival,  ou s'éliminer eux-mêmes.

« Une société qui n'entend plus réserver de places qu'aux gagnants, s'attache immanquablement à l'institutionnalisation par défaut d'une société de perdants, laquelle en adoptant le chacun pour soi de la loi du plus fort, ne fait que reproduire, avec ses propres atouts, la règle du jeu établie. La crise que nous connaissons est sociétale, dans ce qu'elle a trait aux raisons d'être ensemble, avant d'être sociale, qui renvoie aux façons d'être ensemble lesquelles ne font qu'en résulter. C'est dans le droit d'ignorer l'autre que le recours à la violence, cessant d'être désappris, naturellement au galop revient. La violence ne réside alors pas tant dans les faits que, préalablement, dans le discours qui prétend ignorer - et taire - ce dont elle procède. C'est un discours qui confine au commentaire plaintif, sentencieux ou sécuritaire, sans plus de prise sur les événements qu'un bulletin météorologique, présenté par ces “doxosophes” (P. Bourdieu), les techniciens de l'opinion qui veillent à ce qu'elle ne cesse d'opiner. »

« Il n'est de pire violence que celle qui s'emploie, en le taisant,  à ignorer l'événement. C'est un déni de la réalité qui a valeur de négationnisme avant l'heure. Ce dont les professionnels de l'Education nationale ou de la protection de l'enfance - rudement interpellés dans cette flambée de violence juvénile à laquelle nous “assistons” - ont aujourd'hui à rendre compte, c'est des moyens qu'ils se donnent pour dire, ou taire, ce que du front, les premiers, ils sont témoins : ce ne sont plus “les conditions de son éducation [qui] sont gravement compromises” (aux termes de la loi qui institue la mesure de protection du mineur) mais les résultats promis de son éducation qui sont gravement devenus improbables.

« S'évertuer à parler aujourd'hui des institutions en charge de l'éducation comme de la rééducation des jeunes, en termes de moyens plus que de finalité, conduit à parler des moyens plutôt que des finalités et, pour finir, à la place des finalités. C'est un faux-fuyant. Le déplacement redouté et justement décrié par les magistrats et les professionnels, visant à réserver le dispositif de la protection judiciaire de l'enfance au traitement des mineurs délinquants est déjà observable dans l'augmentation croissante du nombre de dossiers “délinquants” confiés à des services principalement mandatés jusque-là pour de l'action éducative auprès de mineurs “simplement” en danger. Opération douteuse et même dangereuse : ce n'est pas parce qu'il y a plus de dossiers au pénal qu'il y en a moins au civil. Négliger, pour des questions de priorité, l'enfant “simplement” en danger, c'est s'assurer de le rendre à son tour dangereux. C'est au passage banaliser, pour mieux l'ignorer, la notion de danger. C'est opérer un glissement d'identité professionnelle de l'éducatif vers le répressif. Le répressif n'exclut pas l'éducatif, sauf dans ce que nous voyons se produire. Le taire, c'est contribuer passivement mais sûrement au développement de cette population de jeunes, et s'assurer d'aller bientôt grossir le rang de ceux qui à Vitrolles ont été remerciés. »

« Après avoir acquis une compétence remarquable auprès d'eux depuis 50 ans, les institutions spécialisées ne trouveraient-elles, pour l'heure, comme réponse aux passages à l'acte de ces jeunes,  que du passage à l'acte institutionnel ? Curieux et inquiétant miroir. »

Charles Ségalen Educateur spécialisé 1, rue de l'Aqueduc -78170 La Celle-Saint-Cloud Tél.01 39 18 29 22.

Tribune Libre

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