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Clermont-Ferrand teste le service unifié

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Les CPAL et les services socio-éducatifs pénitentiaires vont bientôt fusionner au sein des services départementaux d'insertion et de probation. Une réforme expérimentée, depuis deux ans, à Clermont-Ferrand.

« Dans les années 80 et 90, les comités de probation et d'assistance aux libérés [CPAL] et les services socio-éducatifs pénitentiaires n'ont pas su s'adapter aux nouveaux problèmes sociaux. Ils se sont marginalisés et allaient tout droit à une disparition progressive. » C'est un constat sans fard que dresse Jean-Marc Chassagny, directeur du service unifié d'insertion et de probation de Clermont-Ferrand (1). Une structure qui regroupe le CPAL et le service socio-éducatif de la maison d'arrêt, c'est-à-dire le milieu ouvert et le milieu fermé pénitentiaire. D'où l'espoir que cet ancien conseiller d'insertion et de probation met dans la réforme des services pénitentiaires d'insertion et de probation préparée depuis plus de deux ans par le ministère de la Justice (2). Fin mars 1999, en effet, l'ensemble des CPAL et des services socio-éducatifs devraient avoir fusionné, au niveau départemental, sous l'appellation : service pénitentiaire d'insertion et de probation. Une innovation de taille puisque, jusqu'à présent, ces structures, bien qu'appartenant à la même administration et assurant des missions similaires, ont toujours fonctionné de façon indépendante. Les CPAL sont placés sous l'autorité d'un directeur de probation ou, directement, sous celle du juge d'application des peines. Quant aux services socio-éducatifs, ils relèvent du chef de l'établissement pénitentiaire où ils sont implantés. Qualifiée de « majeure » par la chancellerie, cette réforme vise, avant tout, à favoriser le développement des alternatives à l'emprisonnement et à améliorer la réinsertion des détenus de façon à limiter la récidive. Le but étant, surtout, de désengorger des prisons plus que jamais surpeuplées.

Un seul service

A Clermont-Ferrand, l'expérience du service unifié a été lancée il y a plus de deux ans, à l'instar de ce qui se faisait déjà dans une dizaine d'autres sites pilotes répartis dans toute la France (3). L'histoire commence au début des années 90 lorsque Jean-Marc Chassagny et son collègue de Riom (celui-ci a quitté le département récemment et n'a pas été remplacé) se rendent compte à quel point les services d'insertion et de probation pénitentiaires sont morcelés et mal identifiés. « Dans le Puy-de-Dôme, explique le directeur du service de Clermont-Ferrand, on ne compte pas moins de cinq structures qui pouvaient chacune avoir une politique différente. Résultat : personne ne comprenait vraiment qui faisait quoi concernant les publics placés sous main de justice. » Le rapprochement des différents services semblait alors d'autant plus logique qu'il existe, dans le département, deux juridictions très proches mais de taille inégale :l'agglomération de Clermont-Ferrand, qui regroupe environ la moitié de la population, et Riom, siège de la cour d'appel. D'où l'idée de mettre progressivement en place un système de représentation unique, au niveau départemental, pour l'ensemble des services d'insertion et de probation pénitentiaires. « L'objectif était de parler d'une seule voix et d'afficher, de façon cohérente, la présence du service public chargé du suivi de la peine et de l'insertion, notamment face aux associations du secteur socio-judiciaire. Nous avons ainsi réussi à être présents dans les différentes instances départementales, en particulier en matière d'hébergement d'urgence, de santé ou encore de politique de la ville », raconte le directeur. Résultat : plusieurs conventions ont été signées, par exemple sur le dépistage du sida ou encore l'accès aux soins des personnes démunies. Une évolution qui s'est cependant heurtée à certaines résistances, notamment de la part de la maison centrale de Riom qui souhaitait conserver son autonomie.

Le rapport de 1993

Mais le projet d'un service unifié n'est réellement né, dans le Puy-de-Dôme, qu'en 1993, à la suite d'une visite de l'inspection générale des services judiciaires qui préparait alors un rapport sur l'évaluation des CPAL. A l'époque, au ministère de la Justice, on s'inquiétait de la situation de ces services, en particulier de l'inadaptation de leur cadre administratif et de leur manque de reconnaissance par les juridictions. Or, s'appuyant sur une idée développée dans les milieux pénitentiaires (4), les inspecteurs proposaient, dans le rapport remis au garde des Sceaux en mars 1993, de réunir, dans chaque département, les CPAL et les services socio-éducatifs.

C'est ainsi que, fin 1993, les directeurs de probation de Clermont et de Riom étaient chargés de réfléchir à la création d'un service unifié, d'abord sur leurs juridictions respectives, puis sur l'ensemble du département. Un projet mis en œuvre assez rapidement à Riom mais accueilli plutôt fraîchement par les travailleurs sociaux de Clermont-Ferrand. « A la différence de ce qui s'est passé ailleurs, raconte Jean-Marc Chassagny, ils n'étaient pas à l'origine de ce projet qui venait d'en haut. Et s'ils en ont admis les finalités, cela ne les a pas convaincus de changer de méthodes de travail. Or, pour moi, ce qui est en cours nécessite une profonde évolution des mentalités avec la mise en place progressive d'une politique de service. » De fait, ce n'est qu'au terme d'un long travail de concertation mené avec l'ensemble des personnels et avec l'aide d'un cabinet conseil, qu'un protocole sur la création du service unifié a finalement été signé, en octobre 1995, concernant, uniquement, le CPAL et la maison d'arrêt de Clermont-Ferrand (5). Ce document prévoyait, notamment, la constitution d'un dossier social unique regroupant l'ensemble des informations pénales et sociales, la mise en commun du partenariat entre milieux ouvert et fermé, l'établissement de passerelles avec le service unifié de Riom et l'installation de travailleurs sociaux référents sur des thèmes tels que le logement, la toxicomanie ou encore l'emploi.

Des professionnels réservés

Néanmoins, pour Jean-Marc Chassagny, ce texte n'a pas pleinement atteint ses objectifs. « Par exemple, les passerelles entre les équipes de Clermont et Riom n'ont jamais vraiment fonctionné. Les gens n'ont pas réellement intégré le fait qu'ils appartiennent à une équipe », regrette-t-il. Il faut dire que les travailleurs sociaux, même s'ils s'en défendent, ont été quelque peu bousculés par la mise en place du service unifié. Ainsi, le simple fait de décloisonner les milieux ouvert  (CPAL) et fermé (services socio-éducatifs) a modifié considérablement l'organisation de la prise en charge dans la mesure où, désormais, un travailleur social peut être amené à intervenir aussi bien en prison qu'à l'extérieur. « Par exemple, explique Bernard Autier, assistant de service social au CPAL de Clermont-Ferrand, il arrive qu'un condamné bénéficiant d'un sursis avec mise à l'épreuve se retrouve en prison parce que j'ai signalé au juge qu'il ne remplissait pas ses obligations. Dans ces conditions, est-ce que je dois, ou pas, continuer à travailler avec cette personne en milieu fermé ? » Une incertitude liée au fait que la réforme en cours laisse une grande marge de manœuvre dans l'organisation des services. Autre difficulté : la mise en place d'un véritable travail d'équipe. En effet, dans les CPAL, l'habitude de travailler uniquement sur mandat judiciaire crée, bien souvent, un lien étroit entre le travailleur social et le magistrat. Ce qui ne laisse guère de place à une réflexion collective telle qu'on la pratique dans d'autres services sociaux. « Pour le juge, ce qui compte, c'est le respect des obligations attachées à la peine. Le travail social est secondaire. Ce qui fait que nous sommes parfois un peu écartelés », constate d'ailleurs Gérard Fasson, conseiller d'insertion et de probation. Une analyse qui fait écho à celle de Jean-Marc Chassagny. « Pendant longtemps, l'insertion n'était pas un enjeu majeur au sein de l'administration pénitentiaire. Pour un magistrat, la peine de référence reste la prison. Quant au chef d'établissement, sa priorité, c'est la sécurité. Notre discours n'était donc pas entendu. »

Reste que le bilan du service unifié est loin d'être négatif. « L'administration pénitentiaire est aujourd'hui mieux représentée vis-à-vis de ses partenaires extérieurs », reconnaît Gérard Fasson. De même, renchérit Bernard Autier, « l'existence des référents est plutôt une bonne chose ». Quant à Jean-Marc Chassagny, même s'il regrette de n'avoir pu aller plus loin, il estime que des « avancées essentielles » ont eu lieu et il espère les conforter grâce à la réforme des services d'insertion et de probation. C'est d'ailleurs lui qui a été chargé de mettre en place les nouvelles structures, dans le Puy-de-Dôme et le Cantal. Pour lui, « la réforme devrait remettre la réinsertion à sa vraie place. Car si la punition n'est pas négociable, il faut qu'elle puisse être conçue comme un investissement... à condition de proposer quelque chose de crédible », s'enflamme-t-il. Son objectif : parvenir à concilier une approche individuelle, liée aux mandats que délivrent les juges, avec une conception plus collective de l'intervention en direction de groupes identifiés : les jeunes délinquants, les toxicomanes, les détenus illettrés, les longues peines... Au sein de l'équipe de Clermont-Ferrand, on reste cependant circonspect, même si l'on ne conteste pas les objectifs de la réforme. « Le service rendu aux justiciables ne pourra s'améliorer que si l'on tient effectivement compte de nos deux missions, insertion et probation », prévient Bernard Autier. Autre crainte : que la nouvelle organisation ne se traduise par une dégradation des conditions de travail,  notamment en termes de moyens humains. « Il ne faudrait pas que cela se termine par un redéploiement de personnel,  alors que nous gérons déjà de 150 à 170 dossiers chacun. Mais tant que l'on n'a pas vu les textes, on ne peut rien dire », ajoute l'assistant social. Une inquiétude que ne partage pas le directeur du service : « Nous allons avoir de nouveaux locaux ainsi que des moyens financiers importants pour nous installer et un travailleur social supplémentaire est déjà arrivé. » Pour lui, néanmoins, il faudra aller plus loin pour répondre aux objectifs de la réforme. « Actuellement, nous sommes 15 personnes pour en suivre 2 000, chaque année, sur le département. Idéalement, il faudrait arriver à un effectif total de 20 », estime-t-il. Au sein de l'appareil pénal, les avis sont également partagés. « Cette réforme ne changera pas grand-chose », affirme ainsi Robert Vidal, juge d'application des peines à Clermont-Ferrand, qui redoute, pourtant, que l'aspect probation passe désormais au second plan par rapport à l'insertion. « En fait, pour désengorger les prisons, on veut nous faire croire qu'il est possible de resocialiser tous les délinquants », critique-t-il. Autre point de vue : celui de Dominique Blaise, chef de la maison d'arrêt de Riom. « Pour moi, le fait d'être déchargé de la responsabilité du service socio-éducatif est un soulagement. De plus, les services d'insertion auront désormais pignon sur rue et seront véritablement reconnus. »

Dernière ligne droite

Quoi qu'il en soit, il ne reste plus que quelques mois avant l'entrée en vigueur de la réforme. Dans le Puy-de-Dôme, on achève actuellement de dresser un état des lieux complet de l'activité des services. Une phase de diagnostic qui devait déboucher, fin septembre, sur l'élaboration d'un rapport à partir duquel un projet départemental doit être arrêté. Date butoir : le 30 octobre. Un comité de pilotage, composé des magistrats concernés, des chefs d'établissements pénitentiaires et de représentants du personnel, sera associé à cette réflexion. Courant novembre, le projet d'organisation du service départemental sera présenté, pour validation, aux directions régionale et centrale de l'administration pénitentiaire. Enfin, après une probable phase d'harmonisation des projets au niveau national, la réforme devrait se mettre en place, officiellement, dans le département, en décembre 1998. A condition que tous les délais soient tenus.

Jérôme Vachon

Notes

(1)  Service unifié d'insertion et de probation de Clermont-Ferrand : Tribunal de grande instance - 16, place de l'Etoile - 63000 Clermont-Ferrand - Tél. 04 73 31 77 00.

(2)  Voir ASH n° 2076 du 19-06-98.

(3)  Charleville-Mézières, Coutances, Dunkerque, Grasse, la Roche-sur-Yon, le Mans, Nevers, Poitiers, Tours et Valence - Voir ASH n° 2076 du 19-06-98.

(4)  Avant même la remise du rapport d'inspection, en février 1993, une circulaire émanant du ministère de la Justice précisait les modalités de fonctionnement des services unifiés.

(5)  Un second protocole a vu le jour, quelques mois plus tard, sur la mise en place d'un service pénitentiaire d'insertion et de probation pour l'ensemble du Puy-de-Dôme, mais il n'a été que partiellement appliqué.

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