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Prévenir le suicide des adolescents

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Chaque année 40 000 jeunes de 15 à 24 ans tentent de se suicider. Sepia, une association alsacienne, a mis en place une structure de formation des professionnels et d'intervention auprès des jeunes, afin d'écouter leur souffrance. Et prévenir le passage à l'acte.

Un jeune adolescent, la tête entre les mains, est prostré au fond d'un gouffre. Pas moins de huit personnes - dont un clown, un rocker, un acrobate, une ballerine - forment une chaîne et s'apprêtent à le sauver. « Accroche-toi à la vie », indique le slogan de l'affiche qui appartient à l'association alsacienne Suicide écoute prévention intervention auprès des adolescents  (Sepia)   (1). Dans sa naïveté, le dessin traduit fidèlement la démarche de l'association : il est possible de prévenir une tentative de suicide chez l'adolescent, à condition que des professionnels d'horizons différents acceptent de collaborer et fassent jouer leur complémentarité.

Sepia est née de la volonté de Rémi Badoc, assistant social. Confronté à la tentative de suicide d'un adolescent alors qu'il était surveillant dans un lycée, il se rend compte qu'il n'existe aucune aide spécifique pour ce genre de détresse. « Je suis allé le voir à l'hôpital, j'ai essayé de l'aider. Mais lorsqu'il est sorti, il s'est retrouvé tout seul. Cette expérience m'a énormément marqué. » Rémi Badoc se rend dans les hôpitaux, consulte les services sociaux de sa région et réalise alors que le suicide est un sujet tabou, que les travailleurs sociaux ne considèrent pas comme relevant de leur compétence. Devenu assistant social dans le service de psychiatrie de l'hôpital de Rouffach (Haut-Rhin), il constate, en outre, que l'institution reçoit les jeunes enfants ou les adultes, mais n'offre pas de prise en charge spécifique aux adolescents.

Or, on dénombre chaque année 40 000 tentatives de suicide et 1 000 décès par suicide chez les 15-24 ans :c'est la deuxième cause de mortalité des jeunes, après les accidents de la circulation - même si dans la population générale, le plus fort taux de suicide concerne les personnes âgées.

QUELS MOYENS ?

L'association est départementale, ce qui rend le fonctionnement en réseau plus facile. En 1997, Sepia a reçu les subventions suivantes :

 DDASS Haut-Rhin :1 250 000 F 

 conseil général :100 000 F 

 Fondation de France : 150 000 F (fonds d'investissement pour le numéro vert)  

 CPAM de Mulhouse : 100 000 F 

 CPAM de Colmar : 40 000 F 

 hôpital de Rouffach : aide logistique et informatique.

Une démarche novatrice

Ayant entendu parler des travaux québécois et de l'association Suicide action Montréal, Rémi Badoc suit une formation universitaire de un an au Canada. De retour en France, il souhaite créer une association de prévention du suicide sur le modèle canadien et rend visite aux responsables de l'Education nationale, aux CPAM, au conseil général, aux associations locales... « Aucun ne m'a envoyé balader car le suicide engendre un très fort sentiment de culpabilité et d'impuissance, chacun ayant été confronté un jour à une tentative de suicide. » En 1992, la direction de l'hôpital de Rouffach - où Rémi Badoc exerce encore - accepte de le mettre à la disposition de la toute nouvelle association Sepia. « L'hôpital était intéressé par ma démarche, assez novatrice. Je voulais sortir du seul discours psychiatrique sur le suicide, qui n'est pas toujours efficace sur le terrain. »

1998 : Sepia comprend désormais deux sites d'accueil, l'un à Mulhouse, l'autre à Colmar, qui emploient à plein temps trois assistants sociaux et - à mi-temps - deux infirmières de psychiatrie, trois psychologues et deux secrétaires. L'association dispose également d'un numéro vert opérationnel 24 heures sur 24 (0 800 88 14 34) et d'une équipe mobile prête à partir à la rencontre des adolescents qui ne souhaitent pas, ou ne peuvent pas, passer dans l'un des sites d'accueil.

Car l'objectif est bien d'aller vers les jeunes, de tisser un lien avec eux, seul moyen de détecter les signes précurseurs d'un comportement suicidaire. Et c'est là que le travail en réseau est déterminant : un adolescent en détresse, incapable de mettre son mal-être en paroles, ne va pas pousser la porte de Sepia s'il n'y est pas encouragé. L'association propose donc des formations aux assistantes sociales, aux infirmières et aux médecins qui travaillent dans les collèges et les lycées du Haut-Rhin. De façon à ce que ces professionnels, au contact quotidien des jeunes, sachent reconnaître le danger et invitent les adolescents à s'exprimer soit devant eux soit dans les locaux de Sepia. En fait, la nature de l'intervention de l'assistante sociale, de l'infirmière ou de Sepia dépend du chemin déjà parcouru par l'adolescent dans sa « crise suicidaire ».

Au professionnel, donc, de mesurer où en est le jeune dans ce processus qui peut se dérouler en quelques semaines seulement. Pour ce faire, la parole reste le seul moyen d'action. Les mots et le face-à-face sont même déterminants : « Grâce au dialogue, nous allons comprendre où il en est, explique Rémi Badoc. En l'écoutant, nous lui montrons que ce qu'il dit est important pour nous. Nous l'invitons à s'exprimer enfin, nous l'autorisons à pleurer et donc à écouter sa souffrance. Le simple fait de parler permet de ne pas minimiser celle-ci. Car, souvent, les adultes pensent que c'est du cinéma ! » Psychologue au centre d'accueil de Mulhouse, Béatrice Ienny explique qu'elle reçoit « les jeunes comme ils viennent. Il faut être prêt à répondre à des adolescents qui sont dans l'urgence, même si notre réponse ne relève pas, elle, de l'urgence. » A moins que les professionnels ne se rendent compte que le jeune homme ou la jeune fille est très près du passage à l'acte : « Dans ces cas-là, nous hospitalisons immédiatement, reprend Béatrice Ienny. De toute façon, nous sommes des médiateurs : nous écoutons, puis nous passons le relais, même si le temps d'écoute peut durer plusieurs semaines. »

L'organisation en réseau permet de tisser un filet social autour du jeune qui sait qu'il a affaire à plusieurs intervenants. De leur côté, les professionnels se sentent rassurés car ils savent qu'ils ne sont pas seuls à répondre à la demande des jeunes suicidants. « Il nous arrive de ne pas supporter certains témoignages, il est donc important de pouvoir parler entre nous ou de travailler à plusieurs sur un même cas », ajoute la psychologue.

Assistantes sociales, infirmières, psychologues... chacun apporte son savoir-faire, un regard différent en fonction de sa formation, son réseau de correspondants dans le département (hôpital, associations de réinsertion, foyers de jeunes, PJJ, etc.). « Nous ne pouvons rien faire seuls chacun dans notre coin, insiste Rémi Badoc. Une fois que nous avons écouté un adolescent, il faut le suivre et envisager des solutions. Ce peut être prendre rendez-vous avec les parents pour renouer le dialogue, contacter une association qui pourra trouver un stage professionnel, ou tout simplement rappeler l'assistante sociale du lycée pour lui recommander de rencontrer tel adolescent de temps en temps... »

Formation des professionnels, écoute et orientation des jeunes... mais aussi « postvention » auprès des amis de la victime lorsqu'il y a eu passage à l'acte. Il s'agit cette fois-ci de mettre des mots sur la mort, la tristesse, l'incompréhension, la culpabilité : « Ce sont les établissements scolaires qui nous contactent lorsqu'ils jugent - après un suicide - qu'il faut intervenir auprès d'un groupe de jeunes. Nous les faisons parler, nous les laissons pleurer, c'est généralement très pénible pour tout le monde, y compris pour les professionnels. Car les assistants sociaux ne sont pas préparés ou formés à la notion de deuil. »

Pouvoir en parler

Ces groupes de parole sont capitaux, ne serait-ce que parce que les suicides chez les jeunes sont dus, dans de nombreux cas, à un déficit de communication. « Tous, note Valérie Frering, assistante sociale à Sepia, ont comme point commun :l'impossibilité d'être écouté. C'est notamment le cas lorsque les adolescents ont connu un deuil qu'ils n'ont pas pu extérioriser. » Exemple :un des jeunes reçus avait été confronté au suicide de son cousin alors qu'il n'avait que 10 ans. Il n'avait jamais pu en parler... Dix ans plus tard, à l'occasion d'une rupture amoureuse, toute sa détresse était ressortie. « Généralement, les jeunes au comportement suicidaire vivent dans une famille au passé assez lourd, avec des abus sexuels, des morts ou encore d'autres formes de violence », témoigne Valérie Frering.

Sepia a su multiplier les points d'entrée dans le réseau - par l'infirmière ou l'assistante sociale du lycée, par un organisme de formation ou d'apprentissage alerté ou formé par l'association, par le numéro vert, etc. Pour autant, les membres de l'équipe sont conscients de leurs limites : « Pour l'instant, aucun adolescent, parmi ceux que nous avons rencontrés, n'est passé à l'acte. Mais cela peut arriver », reconnaît Rémi Badoc. Et, sans doute, faut-il « continuer de s'interroger sur les origines du suicide chez les jeunes, sur notre façon de dépister les comportements à risque », estime Valérie Frering.

Dans les mois qui viennent, l'Observatoire régional de la santé en Alsace devrait évaluer le travail effectué par l'association à la demande de la Fondation de France. En attendant, Sepia prépare des sessions de formation auprès des professionnels des prisons (2), confrontés au rajeunissement de la population carcérale et à l'augmentation des cas de suicide.

Anne Ulpat

UN PLAN DE PRÉVENTION DU SUICIDE

23 % des garçons et 35 % des filles de 11 à 19 ans disent avoir pensé au suicide dans les 12 derniers mois. C'est pour endiguer ce phénomène que Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, a souhaité faire de la prévention du suicide la grande cause nationale de l'année 1999. Lancé en février dernier pour trois ans (3), son programme vise notamment à multiplier les lieux d'accueil et permanences téléphoniques, mieux former les médecins généralistes et les inciter à travailler en réseau, développer des actions de communication et améliorer la prise en charge des adolescents à l'hôpital. Sur ce dernier point d'ailleurs, « un effort important a été entrepris pour adapter la prise en charge en cas de tentative de suicide », relèvent plusieurs recherches menées par la Fédération nationale des observatoires régionaux de la santé sur cinq régions de France (4). Dans plus de 80 % des services d'urgence, une hospitalisation est systématiquement proposée ainsi qu'un entretien avec un psychiatre ou psychologue. Même si les travailleurs sociaux occupent une place non négligeable puisqu'ils sont contactés « souvent ou toujours » par 34 %des services, un besoin accru de coordination avec les structures médico-sociales à la sortie se fait sentir. De plus, si la prévention du suicide suscite de nombreuses actions sur le terrain, celles-ci concernent souvent les jeunes, au détriment des personnes âgées. Et elles souffrent du manque de coordination globale, relève l'étude qui plaide pour le développement de réseaux.

Notes

(1)  Sepia Colmar : 7, rue Kléber - 68000 Colmar - Tél. 03 89 20 30 90. Sepia Mulhouse : 8, avenue R.-Schuman - 68100 Mulhouse - Tél. 03 89 35 46 66. Ouvertes de 8 h 30 à 18 h.

(2)  Cette initiative fait suite à la circulaire du 19 mai 1998 émanant du ministère de la Justice sur « la prévention des suicides dans les établissements pénitentiaires ». Voir ASH n° 2082 du 28-08-98.

(3)  Voir ASH n° 2058 du 13-02-98.

(4)  Aquitaine, Bretagne, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes - Bilans régionaux-Prévention des suicides et tentatives de suicide - Disp. sur demande à la CNAM : 66, avenue du Maine - 75014 Paris - Tél. 01 42 79 30 30 et Mutualité française : 255, rue de Vaugirard - 75015 Paris - Tél. 01 40 43 30 30 - Voir ASH n° 2081 du 21-08-98.

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